FT-CI

Chris Marker, l’artiste multimédia, est mort ã 91 ans

Le fond de l’air est désormais moins rouge…

12/08/2012

Par Violeta Bruck et Javier Gabino [1]

En 2010 un court-métrage sur la révolte de la jeunesse grecque et l’assassinat d’Alexis Grigoropoulos, September Seeds, signé Chris Marker, paraît sur internet. Largement diffusé, le film fait polémique. Certains pensent que l’auteur est réellement Chris Marker. Pour ‘autres, il s’agit de la signature collective de jeunes vidéastes grecs. Marker, de son côté, n’a jamais rien dit, le plus important étant la lutte en Grèce, et peu importe qui aurait édité les images.

Dans Le fond de l’air est rouge, réalisé en 1977, sur la base de différents fragments filmés et glanés au hasard des processus révolutionnaires aux quatre coins du monde, Marker souligne que les véritables auteurs de ce films sont les innombrables cameramen, ingénieurs du son, témoins et les militants, dont le travail s’oppose de façon systématique ã celui du pouvoir et dont les images ne s’effaceront jamais de notre mémoire. Chris Marker travaillait et réfléchissait en fonction des propositions les plus avancées de son époque, car sa logique de travail était bien plus avancée que celle-ci.

Au début des années 1970, des réalisateurs chiliens contactent Chris Marker, qui avait connu le Chili avec Costa-Gavras, pour lui demander s’il voulait les soutenir dans la réalisation d’un film documentaire sur la révolution chilienne. Patricio Guzmán, un des jeunes réalisateurs, racontera plus tard qu’ils ne s’attendaient pas ã avoir une réponse. Elle est leur est effectivement parvenue très vite, et très concrètement. Dans plusieurs témoignages, Guzmán a dit combien, plusieurs fois pendant le tournage, ils ont senti l’élan du processus révolutionnaire, mais aussi l’engagement de Marker et son courage. Ils ne voulaient pas le « décevoir ». Fini quelques années plus tard, en exil, La Bataille de Chili a eu le succès que l’on sait.

Ces quelques « anecdotes » nous permettent de saisir le « personnage Chris Marker ». Sa pratique remet en question l’institution de « l’artiste » et du « réalisateur », deux définitions qu’il récusait comme autant de caricatures de « l’artiste par excellence ». Accusé de cultiver le mystère (quasiment aucune photo n’a été publiée de lui) il toujours répondu que celui qui refuse de passer à la télé est accusé de cultiver le mystère. Et qu’alors, il valait mieux laisser les choses en l’état. là où le marché cherche ã imposer une concurrence dans la production, sa logique de la réalisation audiovisuelle proposait la collaboration la plus désintéressée. là où le marché pousse à la défense de la « propriété intellectuelle » des images, il voyait un bien social construit collectivement.

Cet article n’a pas pour objet de dresser une liste de ses films ni d’être un obituaire. On se contentera simplement d’attirer l’attention des camarades et des militants les plus jeunes sur son œuvre de façon ã ce qu’elle soit connue, vue et diffusée. C’est sans doute le meilleur hommage qu’on puisse lui rendre.

Marker s’est intéressé aux principaux conflits du XXème siècle. En 1953, un de ses premiers documentaires, Les statues meurent aussi, dénonce le colonialisme français en Afrique, raison pour laquelle Marker commence ã fréquenter la censure. Il collabore également ã Nuit et Brouillard, d’Alain Resnais, un des plus beaux documentaires sur le nazisme contre lequel Marker avait d’ailleurs résisté pendant la guerre.

En quête des traces que la révolution laisse dans le monde, il voyage un peu partout et tourne en Chine, en Russie et ã Cuba. Il réalise une incursion dans la fiction avec La jetée, un court-métrage dans lequel il forge un langage propre, sorte de roman-photo fait de photomontage centré sur une histoire futuriste et avec lequel il acquiert une stature internationale, le film étant salué unanimement par la critique.

Dans les années 1950 il rejoint le groupe de cinéastes de « La rive gauche » aux côtés d’Alain Resnais, d’Agnès Varda et d’autres réalisateurs amis. Depuis cet espace, ils vont réfléchir sur le cinéma et le langage et sur son rapport avec le monde social et politique.

Dans les années 1960, Marker participe ã plusieurs expériences collectives de cinéma politique. En 1967, c’est un des promoteurs du film collectif Loin du Vietnam, film composé de plusieurs court-métrages réalisés par différents cinéastes, de Joris Ivens en passant par Claude Lelouch, Jean-Luc Godard ou William Klein, regroupés pour condamner l’agression impérialiste.

C’est cette même année qu’il connaît le réalisateur russe Alexandre Medvedkine. A partir de cette rencontre, ils ont l’initiative de baptiser du nom de « Groupes Medvedkine » les collectifs de cinéma politique qui filmeront les conflits ouvriers les plus importants d’avant, pendant et d’après les évènements de Mai 68. L’expérience de Medvekine, qui avait fait partie de l’armée Rouge et qui après la révolution avait développé le « Cinétrain » afin de parcourir le vaste territoire soviétique, pour raconter la vie des ouvriers et des paysans, est source d’inspiration pour ces jeunes cinéastes. Les groupes développés par Marker étaient constitués de jeunes réalisateurs et ouvriers de différentes entreprises. Leurs films documentaires étaient diffusés par des canaux alternatifs, étaient l’objet de débats et ont permis de montrer ce monde du salariat, occulté dans la plupart des productions cinématographiques.

En 1977, Marker réalise Le fond de l’air est rouge. Ce travail exceptionnel de montage d’images d’archive montre la force et les contradictions des révoltes et révolutions « des années 1968 ». Le regard proposé élargit celui du spectateur et permet de poser différemment un certain nombre de questions politiques. Le film montre ainsi les luttes ouvrières et étudiantes en France et le rôle du PCF, l’internationalisme et l’impact de la mort du Che, avec un Mario Monje, dirigeant du PC bolivien, expliquant pourquoi les communistes ne l’ont jamais soutenu, les images des tanks soviétiques au cours du printemps de Prague combinées ã celles d’un Fidel Castro essayant d’expliquer pourquoi il faut soutenir « d’une façon ou d’une autre » l’intervention soviétique. On découvre également comment Castro pose la nécessité de « l’institutionnalisation » de la révolution, que Marker associe de façon critique à la « stalinisation » du régime avec l’image d’un congrès du PC cubain singeant de façon caricaturale bureaucratie soviétique.

Dans Le tombeau d’Alexandre on retrouve la critique du stalinisme. Ce film sur la vie de Medvedkine montre les contradictions, les poursuites et la censure auxquelles devaient faire face les plus grands cinéastes soviétiques. Le film confronte l’élan créatif de la Révolution russe à l’indigence du réalisme socialiste stalinien. Réalisé en 1993, le film finit par des images de la chute du mur de Berlin. Loin de valider les lieux communs réactionnaires sur la « fin des idéologies » caractéristiques de l’époque, les images mettent au contraire l’accent sur l’espoir pour que les nouvelles générations puissent apporter quelque chose au cinéma du point de vue de ces « derniers bolcheviks ».

Comme nous l’avons dit, Chris Marker n’aimait pas apparaître publiquement. Il se montrait ã partir de ce qu’il faisait. Agnès Varda, son amie, l’a interviewé dans ses mémoires filmées et l’a représenté comme un chat, avec la voix d’une étrange machine. Malgré l’énorme reconnaissance de la critique, ses films n’ont jamais été diffusés massivement. Films d’agitation et de dénonciation le plus souvent, son œuvre, belle et intense, faite d’histoires ouvrières et de révolutions, nous intéresse au premier chef en tant que militant-e-s trotskystes.

Mais son œuvre est loin de se réduire ã ces deux axes. Il suffit de penser ã des films comme Sans soleil (1983), qui va au-delà du documentaire et explore la mémoire en plus de représenter un travail novateur au niveau du montage et de la mise en fiction. En 1997, il réalise Level 5, film qui s’appuie très largement sur la technologie numérique, alors qu’il a déjà 76 ans. Il poursuit par la suite son exploration de la création audiovisuelle ã partir de nouveaux formats de CD et DVD interactifs, comme dans Inmemory par exemple. Mais tout ceci n’est qu’un aspect partiel de son œuvre.

Vertov, réalisateur soviétique qui a pensé les dispositifs interactifs avant qu’ils n’existent, avait pour habitude de dire que « le champ visuel, c’est la vie ; le matériel de construction pour le montage, c’est la vie ; les décors, c’est la vie ; les artistes, c’est la vie ».

Par la suite, en raison d’une polémique qui l’accusait de ne pas être suffisamment accessible aux masses, il répondait : « tout en admettant qu’il y aurait quelques travaux difficiles ã comprendre, doit-on en déduire qu’il ne faut plus réaliser le moindre travail sérieux, la moindre recherche ? Si les masses ont besoin de brochures d’agitation faciles à lire, doit-on en déduire qu’elles ne peuvent pas lire les articles d’Engels ou de Lénine ? Vous avez peut-être parmi vous un Lénine du cinéma et vous l’empêchez de travailler sous prétexte que les produits de son activité sont nouveaux et incompréhensibles... ».

Chris Marker, l’agitateur, le philosophe de la mémoire, le jeune explorateur des nouvelles technologies est décédé. C’est un des meilleurs cinéastes du XXIème siècle qui nous a quittés.

  • NOTAS
    ADICIONALES
  • [1Violeta Bruck et Javier Gabino militent au PTS d’Argentine. Cinéastes, membres de Contraimagen, ils collaborent ã TVPTS. Ils ont réalisé avec Gabriela Jaime Memoria para reincidentes, un documentaire sur l’insubordination ouvrière et sociale en Argentine dans les années 1970 qui est sorti sur les écrans fin 2011.

Notes liées

No hay comentarios a esta nota

Journaux

  • PTS (Argentina)

  • Actualidad Nacional

    MTS (México)

  • EDITORIAL

    LTS (Venezuela)

  • DOSSIER : Leur démocratie et la nôtre

    CCR NPA (Francia)

  • ContraCorriente Nro42 Suplemento Especial

    Clase contra Clase (Estado Español)

  • Movimento Operário

    MRT (Brasil)

  • LOR-CI (Bolivia) Bolivia Liga Obrera Revolucionaria - Cuarta Internacional Palabra Obrera Abril-Mayo Año 2014 

Ante la entrega de nuestros sindicatos al gobierno

1° de Mayo

Reagrupar y defender la independencia política de los trabajadores Abril-Mayo de 2014 Por derecha y por izquierda

La proimperialista Ley Minera del MAS en la picota

    LOR-CI (Bolivia)

  • PTR (Chile) chile Partido de Trabajadores Revolucionarios Clase contra Clase 

En las recientes elecciones presidenciales, Bachelet alcanzó el 47% de los votos, y Matthei el 25%: deberán pasar a segunda vuelta. La participación electoral fue de solo el 50%. La votación de Bachelet, representa apenas el 22% del total de votantes. 

¿Pero se podrá avanzar en las reformas (cosméticas) anunciadas en su programa? Y en caso de poder hacerlo, ¿serán tales como se esperan en “la calle”? Editorial El Gobierno, el Parlamento y la calle

    PTR (Chile)

  • RIO (Alemania) RIO (Alemania) Revolutionäre Internationalistische Organisation Klasse gegen Klasse 

Nieder mit der EU des Kapitals!

Die Europäische Union präsentiert sich als Vereinigung Europas. Doch diese imperialistische Allianz hilft dem deutschen Kapital, andere Teile Europas und der Welt zu unterwerfen. MarxistInnen kämpfen für die Vereinigten Sozialistischen Staaten von Europa! 

Widerstand im Spanischen Staat 

Am 15. Mai 2011 begannen Jugendliche im Spanischen Staat, öffentliche Plätze zu besetzen. Drei Jahre später, am 22. März 2014, demonstrierten Hunderttausende in Madrid. Was hat sich in diesen drei Jahren verändert? Editorial Nieder mit der EU des Kapitals!

    RIO (Alemania)

  • Liga de la Revolución Socialista (LRS - Costa Rica) Costa Rica LRS En Clave Revolucionaria Noviembre Año 2013 N° 25 

Los cuatro años de gobierno de Laura Chinchilla han estado marcados por la retórica “nacionalista” en relación a Nicaragua: en la primera parte de su mandato prácticamente todo su “plan de gobierno” se centró en la “defensa” de la llamada Isla Calero, para posteriormente, en la etapa final de su administración, centrar su discurso en la “defensa” del conjunto de la provincia de Guanacaste que reclama el gobierno de Daniel Ortega como propia. Solo los abundantes escándalos de corrupción, relacionados con la Autopista San José-Caldera, los casos de ministros que no pagaban impuestos, así como el robo a mansalva durante los trabajos de construcción de la Trocha Fronteriza 1856 le pusieron límite a la retórica del equipo de gobierno, que claramente apostó a rivalizar con el vecino país del norte para encubrir sus negocios al amparo del Estado. martes, 19 de noviembre de 2013 Chovinismo y militarismo en Costa Rica bajo el paraguas del conflicto fronterizo con Nicaragua

    Liga de la Revolución Socialista (LRS - Costa Rica)

  • Grupo de la FT-CI (Uruguay) Uruguay Grupo de la FT-CI Estrategia Revolucionaria 

El año que termina estuvo signado por la mayor conflictividad laboral en más de 15 años. Si bien finalmente la mayoría de los grupos en la negociación salarial parecen llegar a un acuerdo (aún falta cerrar metalúrgicos y otros menos importantes), los mismos son un buen final para el gobierno, ya que, gracias a sus maniobras (y las de la burocracia sindical) pudieron encausar la discusión dentro de los marcos del tope salarial estipulado por el Poder Ejecutivo, utilizando la movilización controlada en los marcos salariales como factor de presión ante las patronales más duras que pujaban por el “0%” de aumento. Entre la lucha de clases, la represión, y las discusiones de los de arriba Construyamos una alternativa revolucionaria para los trabajadores y la juventud

    Grupo de la FT-CI (Uruguay)