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Face aux mobilisations de la rue, le gouvernement et les capitalistes brésiliens dans la tourmente
par : Val Lisboa

10 Jul 2013 | Le 5 juin dernier, Dilma Roussef déclarait allégrement : « nous démontrons qu’il est possible de connaître un phase de croissance économique tout en préservant l’environnement, et tout en partageant les richesses ».

Por Val Lisboa

Le 5 juin dernier, à l’occasion du Jour Mondial de l’Environnement, la présidente du Brésil Dilma Roussef déclarait allégrement : « nous démontrons qu’il est possible de connaître un phase de croissance économique tout en préservant l’environnement, et tout en partageant les richesses ». Elle poursuivait ainsi le discours de la période faste du régime de Lula, selon lequel le Brésil était devenu un modèle, notamment après le pic de la crise capitaliste mondiale en 2008.

A peine quelques jours plus tard, la presse, le gouverneur de l’Etat de Sao Paulo Geraldo Alkmin, le maire de la ville de Sao Paulo Fernando Haddad et toute la caste politicienne du pays n’ont cessé de réprimer les manifestations avec la méthode classique de la bourgeoisie hostile aux couches populaires : comme déclarait Alkmin, il s’agissait « d’une affaire qui exigeait l’intervention de la police », et la répression brutale a été déclenchée sans hésiter !

La quatrième manifestation contre l’augmentation du prix des transports, le 13 juin, a marqué un point d’inflexion : la brutale répression avec des tirs de balles de caoutchouc, des gaz lacrymogènes et des coup violents d’une police assassine comme celle de l’Etat de Sao Paulo n’a pas seulement touché les manifestants, elle s’est aussi abattue sur les journalistes. Cela a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Depuis ce jour-là , le mouvement contre l’augmentation des prix du transport public a gagné la sympathie et l’adhésion des masses dans tout le pays. Lundi 17 juin, lors de la cinquième manifestation, plus de cent mille personnes ont comblé les rues de Sao Paulo.

Jusqu’au 21 juin, des manifestations avaient lieu dans 438 villes du pays, rassemblant plus d’un million de personnes. Après celles de la fin de la dictature (1983-1984), dénommées « Diretas Já ! », et celles pour la démission du président Fernando Collor de Mello (1992), il s’agissait d’une des plus grandes mobilisations populaires au Brésil. En revanche, à la différence de ces deux premières mobilisations, qui tournaient autour de revendications politiques (pour des élections et pour la démission d’un président), les mobilisations actuelles se sont caractérisées par leur contenu « social », exprimant directement les revendications des classes exploitées, ce qui lui donne un caractère plus profond parmi la population.

Le grand acteur de ces mobilisations a été la jeunesse, principalement les étudiants, qui très audacieusement ont libéré des énergies inespérées, mais aussi de la potentialité de diverses couches sociales qui venaient d’une longue période de « paix sociale ».

Face ã ces mobilisations, les responsables politiques ont été pris au dépourvu. Ce qui se jour ici, c’est en réalité la fin du temps de la paix instauré par le régime de Lula : stabilité sociale, consumérisme, réformisme social, passivité politique et sociale des masses. Le masque du PT est désormais tombé, il a perdu son masque progressiste et il vient de perdre son principal rôle : celui du « parti de la contention sociale » - garantie de « paix sociale » pour que les affaires des capitalistes aient le vent en poupe. C’est Lula lui-même qui ne cessait de répéter que « les capitalistes n’avaient jamais fait autant de profit dans l’histoire » que pendant son gouvernement !

Les mobilisations de juin démasquent le discours sur la force du Brésil en tant que soi-disant « pays émergent ». Elles montrent que le régime du PT a été la continuité de la période néolibérale (contre-réformes sociales, privatisations et des profits de plus en plus grands pour les monopoles capitalistes nationaux et impérialistes), combinée ã une petite dose de « projets sociaux » (« Bolsa Família », augmentation de la consommation et du taux d’emploi, la plupart étant précaires). La réalité du Brésil, avec sa régression sociale aggravée depuis la prise du pouvoir par la droite du PSDB en 1994, a ainsi été révélée au grand jour. Face au pire service public de transport du monde, les manifestants exigeaient un transport public de qualité, alors que l’accès aux soins et à l’éducation se détériore de jour en jour, fruit des privatisations et de la spoliation des ressources nationales par les monopoles nationaux et impérialistes. Ces mobilisations ont révélé aux yeux du monde entier un pays qui, malgré le cycle de croissance, n’investi pas pour répondre aux nécessités sociales de l’écrasante majorité de la population. Bien au contraire, ce sont les patrons et la caste politicienne bourgeoise qui se sont enrichis !

Après les manifestations de juin, le Brésil n’est plus celui d’avant. Le pays s’est soulevé et a mis en évidence le faux « progressisme » du PT de Lula et Dilma, ainsi que leur soumission aux intérêts des grands capitalistes et leurs relations intimes avec les secteurs les plus rétrogrades de la politique nationale.

Le gouvernement Dilma et les politiciens cherchent ã sauver leur peau et les intérêts capitalistes

Pris par surprise, les dirigeants politiques ont cherché des solutions pour instaurer une forme de« dialogue » avec les mobilisations. De façon très démagogique, ils se sont empressés de promettre qu’ils allaient « écouter la rue » et répondre aux revendications. Dilma Roussef a ainsi lancé ce qu’elle a appelé le « pacte en cinq points ».

En réalité, c’est dès le premier point qu’on a pu clairement voir qui elle « écoutait » : les capitalistes, les détenteurs de titres de la dette publique, les monopoles nationaux et impérialistes. En effet, dans son premier point, Dilma a annoncé qu’elle garantissait la « responsabilité fiscale », un autre mot pour organiser la limitation des dépenses de l’Etat. Autrement dit, elle cherche ici avant tout ã rassurer les capitalistes, en déclarant réserver des ressources économiques pour payer religieusement les intérêts de la dette publique. C’est une preuve que le PT, même avec les masses dans les rues, ne cessera pas d’offrir les richesses nationales aux capitalistes. Cette politique de vente du pays se cache derrière une soi-disant « stabilité économique ».

Depuis Fernando Henrique Cardozo, en passant par Lula et Dilma, le pays a vu son infrastructure privatisée et bradée. Des gares routières et ferroviaires, des ports et des aéroports sont devenus des sources d’immenses profits pour des entreprises nationales et impérialistes. Et évidemment, c’était aussi des sources de corruption pour certains politiciens. Il manque des métros, des bus et des trains… Tout ça parce que ces gouvernements successifs ont cédé pour un rien les services publics de transport ã des entreprises qui n’offrent aujourd’hui que des services désastreux tout en empochant des profits faramineux.

L’un des autres points du pacte de Dilma, approuvé récemment par les députés, est la concession de 75% des royalties du gaz et du pétrole au secteur l’éducation, accompagné d’une concession de 25% pour le secteur de la santé. Mais contrairement ã ce que dit la présidente, ces ressources n’existent pas car le gaz et le pétrole ne dégageront des profits qu’à partir de 2016 !

Pour les transports, le gouvernement a promis 50 milliards de Reais. Cependant, Dilma a maintenu les plans pharaoniques pactisés avec les grands monopoles. Le futur train de haute vitesse (liant Sao Paulo et Rio, en passant par Campinas) sera rendu plus « attractif » pour les capitalistes : le taux de profit sera augmenté, le gouvernement recevra 30 milliards de Reais, alors que l’entreprise chargée de gérer la concession recevrait 244 milliards de Reais. Comme d’habitude, les travaux seront financés par le gouvernement et les entreprises n’auront qu’à percevoir les profits et exploiter les services. Le gouvernement n’est rien d’autre que le « gérant des affaires » des grands capitalistes. Il est clair que le PT est contesté précisément parce qu’il gouverne pour les capitalistes et les riches et non pour la majorité de la population.

Un gouvernement des travailleurs qui s’oppose aux capitalistes et gouverne avec et pour les couches populaires élaborerait de manière cette fois réellement démocratiquement un plan national de transport, sous contrôle de comités de travailleurs et d’usagers. Voilà qui signifierait une véritable révolution dans la qualité de vie des masses !

Si l’on additionne toutes les dépenses des hauts fonctionnaires du pouvoir judiciaire au niveau fédéral, des Etats et des municipalités, des maisons de fonction et des hauts salaires des élus, des juges et des négociations avec des capitalistes, on découvrirait beaucoup de fonds qui pourraient être utilisés pour satisfaire les nécessités sociales de la majorité de la population.

Toutes les mesures proposées par Dilma, le Sénat et la chambre de Députés, ne sont que des écrans de fumée qui visent ã dévier l’attention des vrais problèmes et solutions posés par la rue.

Pour que tout reste en place, Dilma propose une réforme politique et un plébiscite

La grande manœuvre de Dilma pour sauver sa peau et sa réélection en 2014 a été la proposition de réforme politique. Le but était de démontrer qu’elle « écoutait la rue », tout en déchargeant le poids de la crise politique sur les parlementaires. Au début elle a parlé de Constituante Exclusive.

Dans un premier temps, la Présidente du Brésil a évoqué la possibilité d’organiser l’élection d’une Assemblée Constituante dite « exclusive », proposition qui a provoqué la levée de bouclier des politiciens et des juges. Ils y voyaient en effet un risque clair de ne pas pouvoir contrôler la réaction des masses qui pourraient, même dans des élections antidémocratiques, rejeter la caste politicienne actuelle. Dilma a alors reculé, en ne proposant plus qu’un plébiscite limité ã quelques points de la réforme politique initialement envisagée.

Malgré cela, ni le gouvernement ni ses alliés ne sont jusque là parvenus ã se mettre d’accord, et la crise est désormais générale. Dans une réunion entre le vice-Président Michel Temer, le Ministre de la Justice et des dirigeants de la majorité le 4 juillet dernier, Temer déclarait que le plébiscite n’aurait pas lieu en 2013 comme promis par Dilma. Le soir même il revenait sur ses propos, laissant entendre qu’il avait subi la pression de sa chef. Le PT reste divisé sur cette proposition.

Face aux très mauvaises prévisions de croissance du PIB (on estime au mieux une croissance de 2%), de la rétraction de la consommation, de la fuite de capitaux (8 milliards de dollars en juin), de dévaluation du Real, d’inflation grandissante, de ralentissement du flux de capitaux étrangers, de déficit de la balance de payements et des comptes courants et voyant les indices de popularité du gouvernement faiblir ã cause du mécontentement populaire et de l’incapacité dans laquelle elle se trouve ã offrir une réponse politique, la présidente Dilma vivra une longue période d’instabilité politique et sociale.

Dans ce cadre, ã 18 mois des élections présidentielles, Dilma cohabitera avec « la pression de la rue » et celle du fantôme du « Reviens Lula ! » qui a commencé ã circuler. Ces nouvelles conditions politiques ouvriront des brèches pour des nouvelles mobilisations et, principalement, pour des larges couches de travailleurs dont les revendications et les potentialités sont pour l’instant contenues par les bureaucrates syndicaux qui contrôlent les grandes confédérations syndicales (CUT, Força Sindical, CTB, UGT).

Vers un virage ã droite : Dilma hausse le ton contre les mobilisations

S’il y avait des doutes là -dessus ceux-ci sont complètement dissipées. C’est avec empressement que le gouvernement, et le sénateur Cândido Vaccarezza, l’ancien dirigeant du secteur bancaire à la centrale syndicale CUT, viennent de faire voter au Parlement une loi dite « antiterroriste ». Il s’agit d’un texte si réactionnaire qu’il dépasse même la législation de la dictature. Le PT et ses alliés pro-patronaux affirment qu’il s’agit d’une loi spéciale pour la Coupe du Monde. Même si c’était vraiment le cas, cela ne ferait que démontrer comment ce gouvernement se plie aux ordres de la FIFA et des grands monopoles. Mais, comme ce genre de texte partout dans le monde, cette loi vise en fait la répression des mobilisations sociales.

Elle caractérise en effet comme « crimes terroristes » tout une série d’actes liés à la résistance populaire, et les punit avec des peines d’entre 15 et 30 ans. Elle encadre en outre « le droit de grève dans la période qui précède et durant le déroulement de la Coupe du Monde, entre autres ». Par conséquent, les manifestations politiques et les grèves seront alors considérées comme des actes terroristes. Même certains membres de la majorité demandent ã ce que la loi soit modifiée, craignant que « des mouvements sociaux comme le Mouvement des Sans Terre puissent être criminalisés ».

Avec cette loi et cette attitude, le PT répond donc aux exigences non seulement de la FIFA et des monopoles capitalistes, mais aussi des secteurs les plus réactionnaires du Brésil. Voilà le vrai « progressisme » du PT de Lula et Dilma.

 

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