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Profonde crise économique, politique et sociale en Slovénie
par : Courant Communiste Révolutionnaire - Plateforme Z dans le NPA , Philippe Alcoy

09 Mar 2013 | Alors que pendant des années la Slovénie était présentée comme un « modèle de transition » à l’économie de marché et à la « démocratie » pour les pays d’Europe Centrale et de l’Est, le mythe commence ã s’effriter.

Par Philippe Alcoy

Alors que pendant des années la Slovénie était présentée comme un « modèle de transition » à l’économie de marché et à la « démocratie » pour les pays d’Europe Centrale et de l’Est, le mythe commence ã s’effriter. En effet, après des mois de mobilisations des masses contre la corruption et les partis du régime instauré depuis plus de vingt ans, combinées ã des journées de grève et de mobilisation, certes isolées, appelées par la bureaucratie syndicale pour répondre à la pression de la base remontée contre les mesures d’austérité, le gouvernement de Janez JanÅ¡a (centre-doit), arrivé au pouvoir il y a ã peine plus d’un an, est tombé mercredi 27 février. Le tout sur fond d‘une crise politique et économique profonde.

Les mobilisations ont commencées au mois de novembre ã Maribor, deuxième ville du pays, contre des mesures prises par le maire. Très vite la contestation a gagné tout le territoire du pays allant jusqu’à remettre en cause l’ensemble du régime politique corrompu. Des manifestations massives se sont déroulées dans les grandes villes du pays, ainsi que des grèves dans le secteur public contre les mesures d’austérité. C’est finalement à la suite d’un rapport rendu par la Commission pour la lutte contre la corruption qui incrimine le premier ministre JanÅ¡a, que la coalition au pouvoir a éclaté et qu’une motion de censure a été votée au Parlement contre le gouvernement.

Du fait de ces événements, le gouvernement de JanÅ¡a a non seulement perdu le soutien de ses partenaires politiques mais aussi d’une partie des classes dominantes et du capital impérialiste. Ces derniers, à l’image du Citigroup, conseillaient alors de former un nouveau gouvernement afin de désamorcer la crise politique, et pouvoir ainsi mener les réformes structurelles, débarrassés de la pression sociale s’exerçant par la rue. Ce projet butte cependant sur un obstacle majeur : l’oligarque Zoran Jankovic, maire de Ljubljiana et principale figure d’opposition au gouvernement précédent baigne également dans de vifs scandales de corruption. Il est de fait discrédité et dans l’incapacité de jouer le rôle de remplaçant. Face ã cette impasse, et pour cependant maintenir l’image d’un renouvellement du personnel politique, c’est la figure d’Alenka BratuÅ¡ek, Première Ministre par intérim nouvellement arrivée en politique, qui est mise en avant pour former ce nouveau gouvernement, et fédérer autour d’elle… les anciens partenaires de JanÅ¡a !

Le mécontentement populaire visant de front les partis et les représentants politiques du « régime de transition », la manœuvre pour désamorcer durablement la révolte populaire qui traverse le pays s’avère très difficile. Et cela d’autant plus qu’une crise économique aiguë touche le pays, et accentue la dégradation des conditions de vie des masses.

Un pays durement frappé par la crise mondiale

La Slovénie, pays d’un peu plus de deux millions d’habitants, membre de l’UE depuis 2004 et ayant adopté l’euro depuis 2007, connaissait jusqu’en 2008-2009, pic de la crise capitaliste mondiale, une situation macroéconomique relativement stable et « saine » : chômage aux alentours de 5%, une dette d’à peine plus de 20% du PIB, un budget excédentaire, croissance de 4 ã 5%… Brutalement frappée par la crise, son économie s’est depuis effondrée et presque tous les indicateurs sont passés au rouge.

En trois ans le déficit budgétaire (par an) a atteint 6,4% du PIB, sa « croissance » en 2009 a été de -8% et reste anémique, et le chômage frôle aujourd’hui 9% des actifs, le secteur privé étant le plus touché. En effet, ce chiffre aurait pu être encore plus élevé sans l’intervention de l’Etat qui a essayé de maintenir la « paix sociale » en embauchant dans le secteur public et en augmentant les salaires des fonctionnaires (au moins jusqu’à l’arrivée de JanÅ¡a au pouvoir). Cependant, cet « achat de la paix sociale » a été l’un des facteurs de l’augmentation très rapide de la dette de l’Etat. Bien que certains analystes parlent d’une dette faible (un peu plus de 45% du PIB) par rapport à la moyenne de l’UE (87%), ce qui impacte c’est la rapidité avec laquelle celle-ci a monté : elle est passé de 8,2 milliards d’euros en 2009 ã 17 milliards en 2012 !

Autre facteur fondamental pour comprendre cette fulgurante augmentation de la dette publique : la recapitalisation des entreprises publiques en difficulté, notamment du secteur bancaire (fortement contrôlé par l’Etat) très exposé aux « actifs toxiques » liés à la spéculation immobilière. C’est d’ailleurs en ce sens que l’un des objectifs fondamentaux du gouvernement JanÅ¡a, élu fin 2011, était de créer une « Bad Bank » qui reprendrait les créances douteuses pour assainir le système bancaire, ce qui coûterait 4 milliards d’euros. En réalité, ces « créances douteuses » s’élèveraient ã 6,5 milliards d’euros, soit 18% du PIB. Voilà pourquoi, beaucoup d’analystes prédisent inévitable la demande d’aide financière internationale (auprès du FMI notamment) pour la Slovénie.

Approfondir la « thérapie de choc » néolibérale

A la différence d’autres pays de la région ayant vécu le processus de restauration du capitalisme, en Slovénie le rythme des privatisations a été relativement plus lent. En effet, dans le contexte de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie et de montée du sentiment national/nationaliste, il était dangereux pour le régime qui se mettait en place d’appliquer des politiques trop clairement pro-impérialistes, de trop ouvrir l’économie nationale aux capitaux étrangers. D’autant qu’une telle politique aurait porté atteinte aux intérêts des bureaucrates nationaux, aspirant ã devenir propriétaires des entreprises d’Etat sous leur contrôle. Conserver le contrôle sur ces quelques secteurs fondamentaux de l’économie a permis à la bureaucratie restaurationniste des années 1990 et 2000 d’instaurer une « transition » vers le capitalisme sans contestation sociale, dans une région déjà fortement perturbée par des conflits armés et qui fut l’un des foyers de contestation ouvrière les plus importants dans les années 1980, alors que la bureaucratie yougoslave tentaient d’appliquer des politiques d’ajustement dictées par le FMI pour faire face au grave endettement de la Yougoslavie « socialiste ».

Cette situation a créé un « capitalisme d’amis » qui reposait « notamment sur les anciens directeurs des entreprises publiques, traditionnellement liés aux gouvernements de centre-gauche qui ont dirigé le pays de l’indépendance ã 2004 » [1]. Ce n’est en effet qu’à partir de cette date, et avec l’entrée à l’UE, que le processus de privatisations s’est accéléré, bénéficiant d’ailleurs les mêmes oligarques dirigeant les entreprises d’Etat. Ceci n’empêchant pas le fait que « la Slovénie dispose toujours d’un des meilleurs systèmes de santé du monde, et l’éducation y est entièrement gratuite jusqu’au troisième cycle universitaire » [2].

Cependant, avec l’approfondissement de la crise dans le pays et en Europe, des factions de la bourgeoisie nationale associées à l’impérialisme cherchent ã accélérer et ã approfondir le processus de privatisation des secteurs stratégiques et potentiellement rentables de l’économie slovène encore sous contrôle de l’Etat, notamment le secteur bancaire. C’était un objectif affiché du gouvernement récemment déchu de Janez JanÅ¡a. Ainsi, son ministère des finances avait annoncé la création d’un Holding souverain regroupant toutes les entreprises publiques en vue de faciliter leur privatisation. Parmi les entreprises ã privatiser on trouvait la Nova Ljubljanska Banka (la banque la plus importante du pays), Telekom Slovenije, la compagnie nationale d’énergie Petrol, etc.

Mais cette intervention de l’Etat pour créer des conditions plus favorables au capital ne se limite pas aux privatisations. Elle va au-delà , notamment en adoptant des mesures pour baisser le soi-disant « coût du travail » en libéralisant le marché du travail. Ainsi, au dernier trimestre 2012 le coût de la main d’œuvre avait reculé de 2,1% par rapport à l’année dernière. Aussi, on prévoie dans le budget de 2013 des coupes dans l’éducation, dans la santé et dans les dépenses en général de l’Etat. Egalement, en mai 2012 le gouvernent et la bureaucratie syndicale avaient signé un accord qui prévoyait, entre autres, la baisse de 8% des salaires des fonctionnaires.

Un autre facteur de pression pour augmenter la « compétitivité » de la Slovénie et devenir plus attractive pour les capitaux internationaux et pour les fonds de l’UE, c’est l’entrée de la Croatie à l’UE en juillet 2013. En effet, la Slovénie pourrait perdre son statut « d’investissement pont » vers les marchés des pays issus de l’ex-Yougoslavie et de la région. Or, le « dilemme » pour les partis du régime est que pour atteindre cet objectif ils devront continuer ã appliquer de dures attaques contre les travailleurs et les couches populaires, au risque d’attiser encore plus la révolte populaire qui secoue le pays.

Mécontentement populaire et remise en cause du régime

Entre la pression à l’attractivité des capitaux étrangers, à la compétitivité internationale, et celle de la rue, la marche de manœuvre est étroite. Voilà pourquoi certains secteurs souhaitent la formation d’un « gouvernement technocratique de transition », à l’image de ce qui s’est fait en Grèce ou en Italie (!), jusqu’aux prochaines élections en 2015 : « cette transition permettrait de stimuler le capital nécessaire pour les institutions financières. En outre, il permettrait la mise en œuvre des mesures d’austérité » [3].

Cette tentation pour une option de type « bonapartiste », violant les mécanismes les plus élémentaires de la démocratie bourgeoise, répond ã une perte de légitimité de l’ensemble des partis du « régime de transition », instauré depuis plus de vingt ans. On assiste actuellement d’ailleurs ã un mouvement similaire en Bulgarie [4]. En effet, le mécontentement qui s’exprime ã travers la dénonciation « des politiciens » et de la corruption, est un reflet du malaise populaire face à la dégradation des conditions de vie et de travail, conséquence des mesures d’austérité prises par les différents gouvernements. Mais c’est aussi une expression de la perte de légitimité de la propagande bourgeoises sur "la fin de l’histoire" qui a connu son apogée dans les années 1990 et un peu au-delà . Dès lors, l’approfondissement des politiques néolibérales apparaissent, dans la situation actuelle, comme une « provocation ». La révolte populaire en Slovénie sonne la fin du discours triomphaliste qui accompagnait le « régime de transition », discours qui se décompose sur la base d’une crise historique du système capitaliste au niveau mondial.

L’expression de ce profond mécontentement et mépris vis-à-vis du régime politique est particulièrement vive chez les jeunes qui sont nés dans les années 1980-1990. En effet, « la crise a réussi ã changer le visage de l’Europe telle que nous la connaissions, et la situation est particulièrement visible chez les jeunes de l’UE. Les jeunes du sud, autrefois heureux d’étudier et de chercher un emploi dans leur pays d’origine, partent maintenant en direction du nord à la recherche d’opportunités (…) En même temps, ceux qui choisissent de rester dans leur pays sont incapables de trouver un emploi et se voient dans l’obligation démoralisante de retourner vivre chez leurs parents (...) En Slovénie, l’insatisfaction chez les jeunes s’est généralisée, le chômage a grimpé de 2% ã 17,5% rien que l’année dernière » [5].

Mais ce début de crise des régimes politiques en Europe, prend une signification toute particulière dans les pays ayant connu des processus de restauration du capitalisme dans les années 1990, notamment dans ceux comme la Slovénie qui faisaient figure de « modèle ã suivre » pour les autres. Alors qu’à la chute des régimes staliniens en Europe centrale et de l’Est, le capitalisme, dans sa version néolibérale de surcroît, et la démocratie bourgeoise étaient présentés comme les seules options capables de résoudre les problèmes des masses, aujourd’hui les masses, de manière confuse, commencent ã remettre en cause ces « certitudes » mêmes. C’est un coup porté ã toute la propagande impérialiste des dernières décennies, non seulement en Europe mais au niveau mondial.

Les vents sont en train de changer. Le système capitaliste et ses crises est en train de poser les bases pour que les travailleurs et les classes populaires commencent ã se poser des questions sur d’autres alternatives ã cette société d’exploitation et oppression. En ce sens, les marxistes révolutionnaires ont un rôle fondamental ã jouer en mettant en avant la perspective de la construction d’une vraie société socialiste, et non l’imposture aberrante que les peuples de la moitié de l’Europe ont connu pendant presque cinquante ans.

8/3/2013

 

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