WEB   |   FACEBOOK   |   TVPTS

 
Un gouvernement au service du patronat et des syndicats au service du gouvernement
par : Courant Communiste Révolutionnaire - Plateforme Z dans le NPA , Jean-Patrick Clech

09 Dec 2012 | Ce qui s’est discuté une bonne partie de l’été et en ce début d’automne, dans les couloirs ministériels et les salons de l’Elysée, c’est le calendrier des contre-réformes, qui sont dans les cartons depuis l’élection de Hollande, ainsi que leurs modalités d’application. Depuis la rentrée, en effet, le gouvernement ne fait plus vraiment mystère de ses (...)

Par Jean-Patrick Clech

Ce qui s’est discuté une bonne partie de l’été et en ce début d’automne, dans les couloirs ministériels et les salons de l’Elysée, c’est le calendrier des contre-réformes, qui sont dans les cartons depuis l’élection de Hollande, ainsi que leurs modalités d’application. Depuis la rentrée, en effet, le gouvernement ne fait plus vraiment mystère de ses intentions et a tout mis sur la table.

Choc, pacte et impact : la valse ã trois temps des mauvais coups socialistes

Il y a d’un côté l’austérité, même si elle ne dit pas son nom. De l’autre, c’est la question du marché du travail et du démantèlement consciencieux du cadre actuel, pour mieux coller ã ce qui se fait Outre-Rhin ou de l’autre côté des Alpes en termes de flexibilisation, de précarisation et de fragmentation des contrats de travail [1]. Ce n’est sans doute pas un hasard si les contre-réformes du marché du travail ont été menées tambour battant, il y a quelques années, lorsque la « gauche » était au gouvernement dans les deux pays, sous le gouvernement Schröder en Allemagne et avec le premier gouvernement Prodi en Italie. Ce n’est pas anodin non plus si, dans les deux cas, les attaques ont été portées avec le soutien sans faille de la bureaucratie syndicale, respectivement de la DGB et de la CGIL-CISL-UIL. C’est là le troisième volet de la stratégie qu’est en train de déployer Hollande. Dans les modalités d’application de ces réformes, il y a également la méthode et les socialistes comptent bien s’appuyer sur les directions syndicales pour faire passer les mauvais coups en faveur du patronat. D’où la nécessité du « compromis historique » que Hollande appelle de ses vœux. Le Président sait aussi que le temps lui est compté pour mener ã bien cette politique pro-Medef. Les marchés, pour l’instant, sont sur le qui-vive. Il n’y a bien que notre camp social qui, par-delà des luttes fragmentées contre licenciements, PSE et fermetures de site, se situe bien en deçà de ce qu’exigerait la situation. Mais rien n’est encore joué. Les attaques et les probables ripostes, d’ampleur bien supérieure ã ce que l’on connaît actuellement, n’ont pas encore eu lieu. De là l’impérieuse obligation, à l’extrême gauche, pour les révolutionnaires, de s’outiller en conséquence et de discuter des tâches préparatoires auxquelles nous devons nous atteler.

Couacs et atermoiements : une façon de préparer le terrain

Les journalistes et la droite (avant de se retrouver elle-même dans un beau pétrin qui lui cloue temporairement le bec…) s’en sont donné ã cœur joie au cours des dernières semaines en parlant de couacs, de faux-pas et d’erreurs de communication du gouvernement.

Il s’agissait, bien sûr, de l’expression des dissensions entre les différentes ailes de la majorité, au sens large du terme, à la fois majorité de gouvernement et majorité de soutien plus ou moins intermittente à l’Assemblée et au Sénat. Elles n’ont pas toujours été, il est vrai, à l’unisson sur la manière et le calendrier ã adopter pour mettre en musique ces contre-réformes. Mais ces différents couacs apparents étaient également et surtout, de la part du gouvernement, autant de ballons d’essai, histoire de prendre le pouls de la situation et d’anticiper d’éventuelles réactions.

C’est la raison de « l’absence de tabous » récurrente chez Jean-Marc Ayrault, pour reprendre une expression chère au Premier ministre. C’est la raison pour laquelle, au détour d’une interview pour Le Parisien, il a pu avouer que, pour lui, les 35 heures n’étaient pas un horizon indépassable (dans le sens, on l’aura compris, non pas d’une réduction mais d’un allongement de la semaine de travail). C’est la raison également pour laquelle il a pu évoquer le retour de l’apprentissage ã quatorze ans, adopté sous Villepin, à la suite de la révolte des banlieues, puis abrogé par Fillon dès 2007.

Rien de mieux qu’un bon rapport « de gauche » pour poursuivre une bonne politique « de droite »

Comme rien n’avait été laissé au hasard, quoi que veuille faire croire la communication du « président normal », le terrain avait été au préalable labouré par différents « experts » de gauche, à l’analyse soi-disant incontestable.

C’est ainsi que dès le 2 juillet, Didier Migaud, Président de la Cour des comptes, rend son rapport sur la situation des finances de l’Etat, commandé par Ayrault le 18 mai, juste après la constitution du gouvernement. Migaud n’étrille pas du tout la gestion précédente, comme auraient pu le penser certains parlementaires de la « gauche » du PS. Il recommande, en revanche, une hausse de la CSG et de la TVA et la poursuite de la baisse des effectifs dans la Fonction Publique (savoir la RGPP). Il s’agit, selon Le Monde du 3 juillet, « d’un audit qui rend inévitable une politique de rigueur », comme s’il y avait fatalité. Mais comment reprocher ã Migaud de forcer le trait, lui, l’ancien député PS, nommé par Sarkozy à la tête de la vénérable institution de la rue Cambon ? Rien de mieux, donc, qu’un bon rapport de gauche, pour poursuivre une bonne politique de droite…

Le deuxième acte de la mascarade a été constitué par la remise du rapport Gallois. Dans le cas de Louis Gallois, on est encore dans la même configuration communicationnelle que pour Migaud. Il a l’avantage d’être « un vrai patron », qui « connaît » de l’intérieur son petit monde de l’entreprise, mais ce n’est ni un Jean-Marie Messier, ni un Arnaud Lagardère, ni un Vincent Bolloré. Il est, lui aussi, de « gauche ». Son expertise serait donc au-delà de tout soupçon.

La copie est rendue cinq mois, jour pour jour quasiment, après le rapport Migaud. Le Monde, toujours en pointe, feint la surprise en titrant « Compétitivité : le rapport qui dérange », comme si les conclusions n’étaient pas écrites à l’avance. Gallois, dans son rapport, réclame un véritable « choc de compétitivité ». Ayrault, qui ne veut pas paraître en reste, annonce dès le lendemain dans les colonnes des Echos du 7 novembre : « Nous allons plus loin que le rapport Gallois ». Il fut un temps où il fallait lire Le Populaire pour décrypter la politique des sociaux-démocrates français. Désormais, c’est directement dans la presse du patronat qu’ils s’expriment. Le seul bémol par rapport à l’ancien patron de la SNCF, c’est qu’ Ayrault en appelle ã un « pacte » et non ã un « choc ». L’impact, au final, pour les travailleurs, la jeunesse et les classes populaires, sera le même. C’est la méthode qui change.

Vingt milliards de cadeaux annuels supplémentaires au patronat

Un simple coup d’œil ã ce qui est retenu dans ce « Pacte pour la croissance, la compétitivité et l’emploi », qui structurera la politique gouvernementale dans les prochains mois si rien n’est fait pour le stopper, suffit ã dessiner les contours de l’offensive ã venir ; le rapport Gallois n’est qu’un premier amuse-bouche pour le patronat.

La mesure phare de ce que propose le gouvernement, c’est le crédit d’impôt de vingt milliards accordé aux entreprises. Ce transfert direct au compte du patronat va venir s’ajouter aux quelques 170 milliards de cadeaux annuels que l’Etat fait au Medef et aux entreprises sous forme d’exonérations diverses et variées, niches et cadeaux fiscaux de toute sorte. Ce n’est pas Sarkozy qui est à l’origine de l’ardoise, mais bien la Gauche plurielle de Jospin qui n’a pas hésité, entre 1997 et 2002, ã recourir ã grande échelle ã cette politique des vases communicants.

Parallèlement, le gouvernement affirme vouloir faire passer le déficit de 4,4 ã 3% du PIB l’an prochain. Le manque ã gagner pour l’Etat, Bercy et Ayrault l’ont déjà trouvé du côté d’un relèvement de deux des trois taux actuels de TVA. La manoeuvre laisse un arrière-goût d’escroquerie. Qui disait, pendant la campagne, que la fameuse TVA sociale de Sarkozy était « inopportune, injuste, infondée et improvisée, (…) la compétitivité [n’étant] qu’un faux prétexte » ? Hollande, bien entendu, qui s’était fait pendant la campagne le grand pourfendeur de cette mesure ; l’un des seuls textes de la Sarkozye qu’il ait d’ailleurs abrogé lors de son arrivée à l’Elysée. Les dix milliards restants seront rabotés sur les dépenses publiques.


Quand l’imposition des riches rapporte de l’argent aux riches….

Romain Lamel

Ce devait être « la » mesure anti-riches du gouvernement de François Hollande, celle qui devait montrer qu’il était vraiment un homme de gauche : imposer ã 75 % les revenus supérieurs ã 1 million d’euros. On savait déjà que cela ne toucherait que quelques milliers de foyers, que cela ne rapporterait que 0,2 milliard d’euros à l’Etat, contre 10 milliards environ d’augmentation prévue de la TVA, que cette mesure serait provisoire. Mais, une étude attentive montre l’étendue de la supercherie : par peur que le Conseil Constitutionnel censure la mesure comme confiscatoire, le gouvernement a mis en place un « plafonnement global ã 75 % », un bouclier fiscal version François Hollande, qui coûterait….667 millions d’euros soit trois fois plus que le fameux impôt anti-riches. On voit toute l’étendue de l’arnaque de l’élection de mai 2012, non seulement les promesses de François Hollande n’avaient qu’un caractère extrêmement symbolique mais en plus, ces mesures symboliques ne sont même pas mises en œuvre jusqu’au bout !


Le hollandisme est un sarkozysme (mais plus pernicieux)

Si besoin était, le pacte Hollande-Gallois serait une illustration non seulement de la continuité mais y compris de l’aggravation de la politique menée lors du précédent quinquennat par Sarkozy. Avec Hollande, on est passé à la vitesse supérieure, ou du moins s’y prépare-t-on. Deux éléments supplémentaires pour s’en convaincre.

Pour ce qui est des éléments de langage communiqués aux membres du gouvernement pour défendre la ligne Ayrault sur la compétitivité, on se croirait au bon vieux temps de la Sarkozye, lorsque Luc Chatel, l’ancien VRP de Mme Bettencourt chez l’Oréal, était en charge de la communication de Fillon et des siens : « Le gouvernement a fait le choix du courage après dix ans de gabegie et d’incurie (…). Il présente un plan d’ensemble dont l’enjeu majeur est l’emploi ». L’emploi est ã chercher à la loupe, car la plupart des commentateurs notent, à l’image de Mathieu Plane, économiste à l’OFCE, que « les entreprises devraient surtout profiter [des mesures Ayrault] pour améliorer leur trésorerie et moins pour investir en innover, alors que les capacités de production sont encore sous-utilisées ». Même son de cloche du côté de Jean-Claude Laffet, de Natixis, qui souligne combien « le crédit d’impôt va permettre de répondre au problème majeur du manque de profitabilité des entreprises ». Lorsque l’on sait par exemple, que le titre Bolloré a flambé de 40% depuis la fin août, il y a des coups de pacte qui se perdent…

Le 14 novembre, au matin des grandes mobilisations en Europe du Sud contre l’austérité, Ayrault a assumé ses choix politiques en affirmant sur France Info qu’il défendait « une politique rigoureuse pour bien maîtriser nos comptes publics [bien différencier de] l’austérité, [c’est-à-dire] la baisse des pensions, des prestations familiales, des milliers de suppressions d’emplois de fonctionnaires ». « Et ce n’est pas ce que nous pratiquons », a-t-il ajouté pour finir. Inutile de lire dans le marc de café pour savoir que la marge est étroite entre politique rigoureuse, politique de rigueur et austérité. Ayrault aurait mieux fait de rajouter en conclusion de son intervention « ce n’est pas ce que nous pratiquons pour l’instant et ã grande échelle ». Car si l’on s’en tient à la définition stricte du terme « austérité » donné par le Premier ministre, c’est déjà ce qui a lieu, avec par exemple le gel du point d’indice des fonctionnaires depuis trois ans et l’instauration d’une journée de carence, un recul au niveau des prestations sociales.

Le hollandisme, en fin de compte, n’est rien d’autre qu’un sarkozysme, d’un nouveau type, plus pernicieux. Il représente la continuité, sous d’autres formes et avec d’autres méthodes, de la défense des intérêts de la bourgeoisie française en temps de crise.

Clins d’œil, appels du pied et déclaration d’amour : les socialistes et le Medef

Hollande a donc choisi de mettre en œuvre, sur toute la ligne, la politique du Medef. Après les clins d’œil au patronat au cours de la campagne, après les appels du pied succédant aux sorties inconvenantes et mal polies sur la famille Peugeot du début de l’été (on songera à la présence de Ayrault et de ses ministre à l’université d’été du Medef au mois d’août ã Jouy-en-Josas), c’est finalement ã une véritable déclaration d’amour que s’est livré Hollande.


Montebourg : Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es !

RL

Durant la primaire socialiste de 2011, Arnaud Montebourg proposait la mise sous tutelle des banques. Une telle déclaration avait fait bondir Jean-François Copé qui n’avait pas hésité ã comparer la proposition de l’actuel ministre du Redressement productif ã « ce qu’ont fait les bolcheviks en 1917 ». Copé (encore une fois…) avait tort. La revue L’Usine nouvelle a étudié la trajectoire sociale des membres du cabinet que Montebourg a constitué. Scoop : pas un seul bolchevik, de prés ou de loin ! Parmi eux, on trouve une directrice de la stratégie de Saint-Gobain, un manager de PSA, un conseiller du président d’EADS, un consultant de la Banque de France, un membre du directoire de la compagnie financieÌ€re Saint HonoreÌ , la secreÌ taire geÌ neÌ rale du ComiteÌ interministeÌ riel de restructuration industrielle… L’ensemble des élites (industrielle, financière, administrative) sont représentées. Dans un ministère chargé de gérer la vague de plans sociaux que le patronat essaie d’imposer, la composition sociale du cabinet ne saurait être plus claire. Par delà ses marinières et les envolées de Montebourg sur les « nationalisations temporaires », lorsqu’il faudra trancher en faveur des travailleurs ou du patronat, pour qui va trancher ce cabinet ministériel ? S’il fallait une preuve, une de plus, que ce gouvernement est au service du patronat, la voici. Dis-moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es !

Laurence Parisot, la patronne du Medef, ne s’y est pas trompée. Elle a d’abord commencé par envoyer ses fantassins au front, en la personne des « pigeons », début octobre. Puis, fin octobre, ça a été le tour de la grosse cavalerie, avec la déclaration belliqueuse des 98 grands patrons membres de l’Association Françaises des Entreprises Privées (AFEP), qui regroupe la majorité des groupes du CAC 40. Parisot peut en effet se déclarer finalement satisfaite de la réussite de son opération Blitzkrieg. « Nous avons été entendus », a-t-elle déclaré à la suite des confidences d’Ayrault dans Les Echos. « Nous pensons très clairement que les principes énoncés par le gouvernement vont dans la bonne direction ».

Certes, comme les patrons ne sont jamais contents, elle dit regretter l’intrusion des administrateurs salariés dans les conseils d’administration des grands groupes. Qu’elle se rassure tout de même et demande leur avis ã ses homologues allemands de Bosch, Siemens ou Volkswagen AG : la présence d’administrateurs salariés issus de la bureaucratie syndicale dans les conseils n’a jamais été un obstacle pour fragmenter, fragiliser et précariser le prolétariat. Elle déplore également que le gouvernement n’ait arrosé ses amis que de dix milliards d’euros supplémentaires, à la place des vingt annoncés. Mais là encore, ça fait partie de la propagande. Le patronat dans son ensemble, Medef et CGPME confondus, exulte après avoir gagné cette première manche, au côté du gouvernement, contre le monde du travail. Il n’y a bien que ses secteurs les plus réactionnaires (CroissancePlus) ou poujadistes (l’Union Professionnelle Artisanale) qui trouvent quelque chose ã redire.

Hollande, c’est le gouvernement du « compromis historique »

Mais la grande nouveauté, c’est que le gouvernement Hollande est plus qu’un gouvernement au service du patronat, à l’image de celui de Sarkozy, l’homme du Fouquet’s et du yacht de Bolloré. Le gouvernement Hollande, c’est avant tout le gouvernement qui appelle de ses vœux au « compromis historique ». C’est l’orientation défendue par Hollande depuis la mi-novembre, lors de sa première conférence de presse.


‘Compromesso storico’ : la « gauche », les syndicats contre les travailleurs et la jeunesse

L’expression utilisée par Hollande a été choisie avec soin. Les mots ont un sens et les formules une histoire, notamment en politique. Par « compromis historique », Hollande fait référence à la politique mise en œuvre par le PC italien d’Enrico Berlinguer au cours des années 1970, années au cours desquelles s’est produit « le mouvement social le plus large et irréductible jamais produit par le monde occidental de l’après-guerre ». Alors peut-être que l’ancien militant d’extrême gauche et romancier (en cavale…) Cesare Battisti, à l’origine de l’expression, exagère un peu, mais il est sûr qu’au cours de cette période la péninsule vit un processus de crise sociale, politique et économique de grande envergure, et les prolétaires et la jeunesse refusent d’en payer la facture. C’est les années du « mai rampant ». Face ã cette situation d’insubordination généralisée, le PC propose à la Démocratie Chrétienne, son concurrent historique, au gouvernement depuis l’Après-guerre, ses bons et loyaux services. Berlinguer sait qu’avec son syndicat, la CGIL, il peut jouer un rôle central pour gérer cette situation et rétablir l’ordre dans les usines, à l’université, dans les écoles. Car le PCI n’a aucun intérêt ã voir les années 1970 tourner au processus révolutionnaire. Le PCI est Communiste sur le papier, Italien dans les intérêts qu’il défend au final, et contre-révolutionnaire dans sa pratique contre le mouvement social, qu’il tente tour-à-tour de chevaucher, de canaliser puis de briser en deux. PCI et CGIl n’hésiteront pas ã collaborer avec les flics et la magistrature pour faire arrêter les militants et casser la dynamique ouvrière. Ce que Hollande appelle de ses vœux, ce n’est pas, bien évidemment, la collaboration d’une force pour brider une poussée ouvrière qui n’existe pas (encore). Mais il souhaite que les syndicats (ou la plupart d’entre eux) collaborent à la mise en place des réformes, pour cogérer la crise avec un vernis de gauche, et agissent, en dernière instance, non seulement comme garde-fous face aux possibles retours de flamme ouvriers et populaires, mais également, au besoin, comme police du capital au sein même du monde du travail.

Le « compromis historique », c’est l’une des clefs de voûte de l’orientation de l’Exécutif qui souhaite arriver avant la fin de l’année ã un compromis sur la question du marché du travail en associant « organisations syndicales et patronales [qui] doivent nouer un compromis historique (…) [avec pour objectifs de] donner aux salariés et aux entreprises plus de souplesse et plus de protection face aux aléas de la conjoncture ». Dans la fiction de l’égalité du monde bourgeois, lorsque l’on met sur un pied d’égalité travail et capital… c’est généralement les salariés qui trinquent.

Depuis la victoire de Hollande, à laquelle ils ont d’ailleurs largement contribué, les syndicats ont tout fait pour éviter le plus possible de mettre en difficulté le gouvernement. Bien entendu, cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas pu ni dû appeler ã manifester et ã se mobiliser, que ce soit le 29 septembre, le 30 ou encore le 14 [2]. Mais la logique qui a présidé à leurs appels, c’est toujours celle d’être associés, d’influencer, infléchir ou assouplir la politique du gouvernement. C’est bel et bien la ligne que défendent, depuis la rentrée, les principales organisations syndicales, ã commencer bien entendu par la CFDT (qui veut garder la place de partenaire et interlocuteur privilégié du gouvernement), FO, mais aussi la FSU et la CGT.

L’exemple du Pacte pour la croissance, la compétitivité et l’emploi de Hollande-Ayrault est assez révélateur ã ce sujet. De son côté, François Chérèque s’est « félicité des mesures de compétitivité » regrettant tout de même que l’entrée en vigueur du crédit d’impôt ne soit pas « conditionné par des contreparties en termes de qualité de l’emploi ». Jean-Claude Mailly, pour FO, a été beaucoup plus clair. A l’image de Parisot, il est lui aussi « satisfait ». Il en arrive ã se féliciter qu’il n’y ait « ni baisse massive des cotisations, ni relèvement fort de la TVA ou de la CSG » (ce qui est une parfaite contre-vérité) allant même jusqu’à évoquer « un ballon d’oxygène de la part de l’Etat aux entreprises qui n’aura pas d’impact sur la Sécurité sociale ». Comme quoi, les patrons ne sont jamais mieux servis que… non pas par les syndicats patronaux, mais par les directions bureaucratiques des syndicats de salariés. La CGT, il est vrai, s’est montrée beaucoup moins enthousiaste,. Cela ne l’a cependant pas poussée ã proposer des mesures concrètes pouvant aller vers un début d’opposition au braquage annoncé d’Ayrault en faveur du patronat.

Le second volet de la politique de contre-réforme que veut mettre en place le gouvernement, a été annoncé lors de la conférence sociale de juillet et réitéré mi-novembre par Hollande, lors de sa conférence de presse. Il a trait à la réforme du marché du travail que l’Exécutif entend mettre en place avec l’aval des partenaires sociaux, c’est-à-dire dans le cadre d’un véritable « compromis historique ». Dans un premier temps, le dialogue social préventif, organisé par les ministères de tutelle, avait pour but de renforcer l’attentisme postélectoral. Avec le « compromis actif », c’est ã une véritable trahison que Hollande appelle. Il n’est pas sûr que toutes les directions marchent dans la combine, au regard notamment du prix ã payer en termes d’image auprès d’une base militante qui est certes déboussolée parfois, mais qui n’a pas l’intention de laisser partir ses acquis avec le sourire en prime. là encore, l’intention n’est pas d’essayer de frapper un grand coup comme aurait pu le faire Sarkozy, mais d’associer le plus possible les directions syndicales, d’abord à la logique de la négociation puis à la signature, pour mieux mettre au pas les récalcitrants. C’est ce qui a déjà commencé, par voie de presse notamment, autour de l’affaire Arkéma de Pierre-Bénite dans la banlieue lyonnaise. La CGT de l’entreprise et les salariés se sont opposés, pendant trois semaines de conflit, au chantage à la compétitivité que veut imposer le premier groupe chimiste français sur son site rhodanien qui est sans doute l’un des plus combatif dans l’Hexagone [3]. C’est aujourd’hui la section CGT d’Arkéma qui est montrée du doigt, comme si c’étaient les travailleurs et leur syndicat à la base qui devaient porter le chapeau des menaces de licenciement.

Tout économiste un tant soit peu sérieux sait pertinemment qu’il n’y a pas de différence sensible entre le salaire moyen horaire en Allemagne et en France, pour ne prendre que les deux exemples ressassés à l’envi par les médias. Ce qui joue en revanche, pour la sacro-sainte compétitivité, c’est l’ensemble des filets de sécurité, des acquis sociaux et des modalités contractuelles qui subsistent en France, alors qu’elles ont largement volé en éclats, Outre-Rhin. C’est notamment sous Schröder, ã travers la mise en place de l’Agenda 2010, avec la collaboration de la DGB, que des attaques majeures ont été portées, au plus grand bénéfice du patronat allemand. L’étape suivante pour Hollande, c’est l’atomisation du marché du travail, que le patronat appelle de ses vœux, et à laquelle aucun gouvernement n’a encore osé s’atteler. Seul un gouvernement « de gauche » est capable de la mettre en musique, avec dans un premier temps l’implication de l’ensemble des syndicats dans une négociation dont les dés sont pipés à l’avance. Par la suite, Hollande sait pertinemment qu’il pourra au besoin, marginaliser telle ou telle organisation, fédération ou union départementale ou locale qui renâclerait, comme a pu le faire le patronat italien avec la FIOM (metallos de la CGIL) par exemple [4], ou comme on a pu le voir, ã petite échelle, avec « l’affaire Arkéma ». En cas d’absence d’accord (ou d’accord partiel), Hollande a annoncé qu’il prendrait « ses responsabilités ». Nul doute ã avoir là -dessus. Il prendra la responsabilité de mettre en place ce que le patronat lui aura demandé. En attendant de pouvoir disposer d’un cadre national, les patrons de l’automobile commencent déjà ã anticiper la logique, avec les accords que Renault veut mettre en place ou ceux qui ont déjà été signés ã SevelNord (PSA) par exemple.

Une base sociale qui s’écorne… d’où la nécessité de maintenir « le dialogue »

Cette politique ne se fait pas sans un coup politique certain. En témoigne par exemple le rétrécissement accéléré de la base sociale ayant porté Hollande au pouvoir. L’antisarkozysme qui avait servi de ciment n’est aujourd’hui plus suffisant au moment où Hollande poursuit et amplifie le projet de détricotage ã grande échelle des acquis sociaux du monde du travail.

La réduction de l’assise sociale du gouvernement n’est pas sans poser problème. Ce n’est pas impunément que l’on stagne ã 44% d’opinion favorable au bout de six mois passés à l’Elysée, surtout lorsque l’on doit disposer de marges de manœuvre conséquentes pour attaquer. C’est bien pour cela qu’au niveau directement social, c’est la logique du dialogue et du compromis à laquelle participent toutes les directions syndicales qui permet ã Hollande et Ayrault d’avancer sans coup férir pour l’instant. Ce n’est pas un hasard, par exemple, si la conflictualité est beaucoup plus forte précisément là où les relais de la gauche sont les plus faibles (dans la jeunesse, dans les milieux écolos radicaux) ou alors parfaitement alignés sur le gouvernement (sans feindre « l’opposition constructive » à l’image du PCF de Loire Atlantique). On songera bien entendu au cas assez paradigmatique de la résistance contre « l’Ayraultport » de Notre-Dame-des-Landes [5].

C’est de là que découle l’ambiguïté du positionnement de la « gauche du gouvernement », en l’occurrence du FdG, avec le PCF et le Parti de Gauche surtout, tiraillée entre un « soutien sans participation » qui ne dit pas son nom, comme a pu le prouver le vote du collectif budgétaire fin juillet, et un « ni gouvernement, ni opposition » qui a le mérite de ne pas insulter l’avenir, quel qu’il soit. C’est pour cela qu’on a pu voir encore dernièrement un Mélenchon, à l’image des bureaucrates syndicaux, reçu lui aussi à l’Elysée, lancer une volée de bois vert contre le gouvernement ; ou voir un groupe PCF au Sénat voter contre ou s’abstenir sur tel ou tel volet de la loi de finances cet automne. Par-delà la surenchère, sur la forme, entre un Pierre Laurent, sénateur, et un Mélenchon, privé de tribune parlementaire, ce n’est en aucun cas le terrain de l’opposition frontale, déterminée et de classe face ã ce gouvernement qui se prépare. Et c’est là notre différence fondamentale avec cette « gauche du gouvernement » ; une différence sur laquelle l’extrême gauche n’insiste pas du tout, alors que ce serait une ligne de force pour mettre sur pied une orientation préparatoire pour les luttes qui vont se structurer d’une façon ou d’une autre, ã mesure que la crise et les attaques vont aller s’intensifiant.

De l’automne chaud à la tiédeur des tables rondes

Il y a quelques mois, il était parfaitement légitime de faire le pari d’un « automne chaud ». De façon assez inédite par rapport aux campagnes précédentes, occasion généralement d’une suspension de la conflictualité sociale et d’une expectative dans le monde du travail, un certain nombre de luttes s’étaient invitées, dès le cours du printemps, dans le débat présidentiel et pour les législatives. On songera, pour les plus emblématiques, ã Florange, PSA Aulnay, SeaFrance, Doux ou encore Géodis et Pétroplus. Il s’agissait-là autant d’un symptôme de la profondeur de la crise que d’un certain état d’esprit chez les travailleurs menacés. On pouvait tabler qu’au vu des 400.000 suppressions d’emplois prévues (et qui aujourd’hui sont en train de passer) et des mensonges du patronat, qui ont gardé sous le coude les PSE les plus explosifs pour après la campagne présidentielles, on allait assister ã de forts mouvements de colère. Mais le ras-le-bol a, somme toute, été passablement contenu, si l’on songe ã ce qui s’est passé ã Sanofi, chez Air France, ã Doux ou même PSA et Arcelor.

D’un côté, on peut expliquer cette situation par le brusque contrecoup du virage de Hollande. Les travailleurs n’avaient certes pas grande illusion dans les promesses de changement de ce nouveau « gouvernement de gauche », élu surtout par antisarkozysme. En revanche, Ils ne s’attendaient sans doute pas ã autant de brutalité et de rapidité dans la mise en musique de l’austérité ni au cynisme avec lequel le gouvernement couvre les licenciements dans le privé, soufflant le chaud et le froid, allant même jusqu’à parler de « nationalisation partielle » dans le cas du site de Florange, pour après se ranger derrière les positions de Mittal. On ne peut pas non plus comprendre cette situation sans la politique de négociations et de tables rondes que valident les confédérations syndicales, alors même qu’il n’y a rien ã négocier, pas même de « grain ã moudre » pour reprendre l’expression de l’ancien secrétaire général de Force Ouvrière entre 1963 et 1989, André Bergeron, qui n’avait rien d’un révolutionnaire mais était au moins un bureaucrate syndical un peu pragmatique...

Alors certes, à la différence de la vague de luttes contre les licenciements et les fermetures de 2008-2009, il y a la conscience qu’il faut sauver les emplois et refuser toute logique d’indemnités de départ. Chacun sait maintenant, à la lumière de l’expérience de ces dernières années, que personne ne se sauvera, pas même avec un chèque de plusieurs dizaines de milliers d’euros en poche. C’est tout juste assez pour vivre avec sa famille quelque temps, mais pas assez pour survivre, et c’est surtout un instrument de destruction de ce que le monde du travail a de plus précieux : sa socialité, sa solidarité, sa dignité, sans lesquelles la vie est souvent insoutenable. C’est ce que disent aujourd’hui de nombreux militants de chez Conti, qui étaient à la pointe des combats en 2008-2009 pourtant.

A la différence de 2008-2009, on aurait pu imaginer, à la lumière de cette expérience, la mise en place d’un début de coordination des boîtes menacées et des boîtes et entreprises en lutte, ã commencer par les plus paradigmatiques, celles qui faisaient la une de la presse, qui étaient le quotidien des conversations, chez les collègues de boulot ou dans les équipes syndicales. C’était notamment le cas de PSA Aulnay, là où l’extrême gauche a de surcroît un poids décisif au sein de la CGT, et où un bon tiers des travailleurs étaient (et sont encore très certainement) très remontés contre la famille Peugeot, Philippe Varin et le gouvernement. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Rien n’est perdu cependant, par-delà cette première manche qui se ferme.


A Florange comme ailleurs, expropriation, nationalisation, contrôle ouvrier !

Les travailleurs d’ArcelorMittal de Florange, depuis des mois maintenant, ne s’avouent pas vaincus et continuent ã résister [6]. Forts de l’expérience de leurs camarades de Gandrange, qui ont fait les frais de la cupidité de Mittal, ils revendiquent depuis des mois maintenant le maintien de l’activité sur l’ensemble du site, tant pour le secteur « filière chaude » que pour le secteur « filière froide ». Leur détermination ã refuser la fermeture partielle du site a conduit élus locaux et une partie du gouvernement, avec le soutien tacite de Hollande dans un premier temps, ã parler de « nationalisation temporaire » face à l’intransigeance de Mittal. Retournement de situation du premier week-end de décembre : le gouvernement, tout en reconnaissant que les promesses de Mittal n’engagent que ceux qui y croient, a fait marche arrière. Monteboug a mangé son chapeau et Ayrault s’est paraît-il mis d’accord avec Mittal ã travers un accord qui est signé au détriment des salariés. Mittal ne s’engage sur rien, pas même les emplois et promet des investissements qui sont déjà provisionnés. Il recule juste par rapport à la fermeture en cas d’absence de repreneur, ce qui se profilait ã première vue. Rien n’est joué à l’heure actuelle et les travailleurs n’ont pas dit leur dernier mot. Le gouvernement, bien entendu, espère les convaincre d’accepter l’accord en l’état et que les choses rentrent dans l’ordre (celui de la bourgeoisie, il va sans dire). Ce qui est sûr en tout cas, c’est que la détermination des travailleurs a fait que politiciens et des fractions de la bourgeoisie ont dû, en toute hâte, sortir de leur chapeau la « nationalisation » pour essayer de calmer le jeu, à la fois dans le camp des travailleurs et également pour faire semblant de rappeler Mittal à l’ordre. La leçon, en fin de compte, c’est que les travailleurs, par leur lutte, et plus encore si elle se coordonne et se généralise entre plusieurs sites, voire plusieurs branches, ont la capacité de brusquer la donne politique. Mais c’est ã eux de dicter l’agenda : ils en ont les capacités, s’ils s’en donnent les moyens. A Florange comme ailleurs, ce qu’il faut, c’est la nationalisation, sans indemnité ni rachat (les actionnaires se sont suffisamment gavés), sous le contrôle des travailleurs. Eux savent comment produire. Eux-seuls ont intérêt au maintien de la production, de sa reconversion éventuelle, au profit des besoins de la population, en termes de transports publics ou de logements sociaux. La leçon ne vaut pas que pour Florange. C’est bien ça aussi ce qu’il faut retenir, et que le gouvernement veut tout faire pour nous faire oublier.

Les raisons du tournant brusque de Hollande

Pour la gauche qui se place dans le cadre du système (plus ou moins mâtiné de « révolution citoyenne » ou de « refondation démocratique »), il y avait dans la campagne deux grandes options. D’un côté, ceux qui défendaient une politique de l’offre et mettaient en avant la nécessité de placer le curseur sur la redistribution, afin de relancer la machine. Nous ne reviendrons pas ici sur le caractère parfaitement impuissant et l’aspect totalement réactionnaire du néo-keynésianisme à la Mélenchon, a fortiori lorsqu’il est assaisonné de protectionnisme hexagonal. De l’autre côté, l’option politique plus ferme de réduction des déficits, couplée toutefois ã une hypothétique « relance par la croissance ». C’était la ligne défendue par Hollande et ses alliés écolos.

La conversion de Hollande au « socialisme de l’offre », ce n’était pas seulement se ranger définitivement du côté de l’aile la plus droitière du social-libéralisme européen, des Schröder et des Tony Blair. Ce tournant prévisible mais opéré brusquement c’était aussi anticiper la dégradation très probable de la situation hexagonale contre laquelle pourraient commencer ã jouer « les marchés » comme on a pu le voir avec les cas de l’Etat espagnol ou de l’Italie, avec un spread qui a atteint, au cours des douze derniers mois, un niveau historique.

Ce n’est pas un hasard si l’organe central des secteurs les plus libéraux de la bourgeoisie impérialiste, The Economist, titrait en une de son édition du 17 novembre que la France était « la bombe ã retardement au cœur de l’Europe ». Avec la véritable déclaration de guerre que représente le rapport Gallois repris dans sa quasi intégralité par le gouvernement, deux illusions sont en train de tomber : celle que Hollande serait, finalement, « moins pire » que Sarkozy et celle qu’il pourrait y avoir, pour la bourgeoisie et le patronat, une autre politique que celle que le gouvernement est en train de mettre en œuvre, contraint et forcé par la crise en tant que telle.

Au cours des expériences de l’Union de la gauche au gouvernement en 1981 puis sous la Gauche plurielle entre 1997 et 2002, aucune contestation d’ampleur n’a pu naître. La raison principale ã cela tient au fait que la camisole de force imposée au mouvement ouvrier et social par les bureaucraties syndicales et par la gauche-béquille de gouvernement (en l’occurrence le PCF de l’époque) a systématiquement tenu. Aujourd’hui, les principaux bataillons du monde du travail, dans le privé comme dans le public, sont passablement déboussolés, c’est un fait. Dire qu’ils ont été défaits, ce serait une erreur, et prendre les luttes de résistance qui ont été menées depuis 1995 (en 2003, en 2006, en 2009 et en 2010), pour des Bérézina. Comme on a pu le voir très localement en 2009 et encore aujourd’hui, dans les luttes contre les licenciements ou au Salon de l’auto par exemple, il existe plusieurs centaines d’équipes syndicales et militantes combatives sur les lieux de travail, qui seront contraintes d’entamer une défense pied ã pied face au rouleau compresseur de la crise qui commence réellement ã se mettre en branle. Ne pas considérer cet élément essentiel de la situation sociale nationale, ne pas se donner les moyens de proposer ã ces équipes et aux milliers de travailleurs radicalisés qu’elles représentent une orientation politique qui soit aussi transitoire et révolutionnaire que l’exige le caractère radical de la crise, c’est aujourd’hui préparer les défaites de demain.

L’extrême gauche, ã commencer par le NPA, se doit de se préparer, aujourd’hui, aux explosions ã venir. Cela passe par un basculement du centre de gravité du parti en direction des entreprises stratégiques du secteur privé et public et du monde du travail en général, mais également par une orientation radicalement alternative ã celle des directions syndicales et du para-syndicalisme plus ou moins combatif pratiqué par d’autres, qui accompagne aujourd’hui la préparation des licenciements sur Aulnay, ou vise, comme dans le cas de Mélenchon et du FdG, ã essayer de préparer de meilleures conditions ã un hypothétique retournement de situation parlementaire.

Ne pas renvoyer les luttes aux calendes grecques… mais se préparer ã un calendrier grec

Face aux potentialités de la situation, force est de constater que l’extrême gauche en général, même lorsqu’elle est en position de diriger des conflits, a été très en-deçà des tâches de défense et de préparation auxquelles nous devrions nous atteler.

A défaut d’une coordination, même embryonnaire, des boîtes en lutte ou menacées, il faudrait au moins que les secteurs du monde du travail les plus déterminés à lutter contre les PSE, pour la sauvegarde des emplois et de l’activité, contre la rigueur budgétaire et les attaques contre les salaires, soient aussi radicaux dans la défense de leurs intérêts et dans la politique qu’il seraient décidés ã suivre que ne l’ont été « les pigeons » ou les 98 patrons de l’AFEP. Ce serait le meilleur levier pour exiger que les directions syndicales rompent immédiatement tout dialogue et négociation avec le gouvernement et le patronat, là précisément où il n’y a rien ã discuter si ce n’est une dégradation concertée de nos conditions de travail et de vie.

Pour ce faire, il faudrait défendre un programme révolutionnaire, dans la propagande et dans les bagarres, c’est-à-dire faire le pari du monde du travail, au sens le plus large du terme, non pas comme instrument de pression, ou parasyndicaliste, et encore moins comme sujet messianique. Il s’agit de faire le pari politique et pratique de la classe ouvrière comme sujet hégémonique, capable de prendre concrètement son destin en main, ã commencer par ses luttes, capable de s’adresser au reste de la société, ã travers une orientation ambitieuse, transitoire, posant la question de la défense de tous ses acquis, ã commencer par les postes de travail et la production.

Tout cela implique de poser la question du contrôle, dans l’entreprise, mais également plus largement du pouvoir, face au patronat et ã un gouvernement qui est ã son service. La seule garantie pour que la question de la nationalisation ne soit pas posée comme un leurre ou une pseudo-menace face aux appétits patronaux ou une simple mesure temporaire avant de fermer, c’est de poser la question de qui contrôle les comptes, la production et la gestion de l’entreprise.

La situation hexagonale est encore sous contrôle pour la bourgeoisie, tant au niveau de la façon dont elle dicte le rythme des contre-réformes et des attaques que du point de vue objectif, celui de la crise. Que cette dernière, cependant, va aller en s’aggravant, il n’y a pas de doute là dessus. C’est le signal d’ailleurs qu’a lancé la presse économique hexagonale et internationale ã Hollande dernièrement. Pour répondre ã cette configuration, la classe dominante va avoir besoin de mener des attaques encore plus fortes. Le complément de ces attaques en interne, va être une exacerbation de l’agressivité de l’impérialisme français (comme de tous les impérialismes) vis-à-vis de ses partenaires et concurrents dont les peuples de la périphérie seront les premiers ã faire les frais. Il suffit de songer, pour cela, à la situation actuelle au Mali, aux menaces d’intervention militaire orchestrée par la France, ou encore à l’activisme diplomatique de Hollande qui vient de reconnaître le soi-disant gouvernement syrien libre, peuplé pourtant des mêmes djihadistes soutenus par le Qatar que Paris dit vouloir combattre en Afrique de l’Ouest [7].

La question est de savoir dans quelle situation se trouveront les révolutionnaires lorsque la France commencera réellement ã traverser une situation à la grecque ou à l’espagnole, hypothèse qui semblait improbable il y a quelques mois et qui aujourd’hui est loin d’être exclue, du moins dans les prochaines années.

Face à la crise de l’Europe du capital, disposera-t-on d’une gauche révolutionnaire qui combattra ouvertement pour les Etats-Unis Socialistes d’Europe, la seule solution progressiste pour les travailleurs, la jeunesse et les peuples, ou sera-t-on face à la fausse alternative d’une défense républicaine et hexagonale de la France face à la mondialisation et une Europe sociale, projet aussi vague qu’utopique.

Face à l’exacerbation des tensions, à la fragmentation raciste et xénophobe au sein même de notre classe, face aux poussées réactionnaires, sera-t-on capable d’opposer des groupes d’autodéfense sur la base des organisation ouvrières et populaires, ou se contentera-t-on de demander, comme la gauche républicaine, la dissolution de Civitas ou du GUD, sans même aborder une situation à la grecque où le défi que pose Aube Dorée aux organisations est encore plus grave que celui que posent aujourd’hui les apprentis nazillons français.

Face à la poursuite des plans sociaux et aux attaques contre l’emploi, aura-t-on une extrême gauche qui sera ã même d’opposer aux licenciements la perspective concrète de leur interdiction par la mobilisation, la coordination, l’occupation et la mise en production sous contrôle des travailleurs des entreprises qui ferment ou qui licencient, ou ces mots d’ordre resteront-ils sur le papier, substitués par une politique de cogestion des licenciements, quand il ne s’agit pas de chercher la voie d’une loi d’interdiction ?

Face au discrédit qui pèse sur les partis de la bourgeoisie, de gauche comme de droite d’ailleurs, une dynamique à l’œuvre en Europe et dont on voit clairement les signes avant-coureurs en France, aura-t-on une extrême gauche qui posera la question d’un véritable pouvoir des travailleur, auto-organisés et mobilisés, ou cherchera-t-on ã être une simple force d’appoint pour ceux qui souhaitent seulement une nouvelle majorité parlementaire, un « gouvernement anti-crise », sur la base d’une reconfiguration des groupes au Palais Bourbon, pour gouverner « dans les dix ans ã venir » comme le souhaite Mélenchon et le FdG ?

La question aujourd’hui est de savoir si, au vu des luttes passées, des équipes syndicales qui continuent ã se bagarrer et de l’explosivité de la situation, il émergera en France, dans les années ã venir, une force communiste et révolutionnaire, un parti de notre classe, qui soit à la hauteur des enjeux posés par la période et qui puisse être ã même d’organiser les bataillons les plus résolus et radicaux de notre classe face aux détachements les plus décidés de la bourgeoisie.

La montre joue pour la bourgeoisie et le calendrier, tel qu’il se profile, ne dépend pas de nous. Ce qui dépend de nous en revanche, c’est de jeter les bases d’une telle organisation communiste de combat et d’être les plus nombreuses et nombreux possible ã relever le défi des tâches préparatoires. Il ne s’agit pas d’une simple question de quantité, mais également de localisation, par rapport aux bastions décisifs du prolétariat industriel, des services et de l’administration, là où l’économie peut commencer ã hoqueter, ã être paralysée, là où l’on peut prendre le patronat et l’Etat à la gorge, comme ils s’apprêtent à le faire avec nous. C’est dans cette perspective que nous menons notre orientation, en espérant que le NPA sera partie prenante de ce « tournant » nécessaire pour l’extrême gauche hexagonale.

03/12/12

 

Souscrire vous à notre bulletin d'information életronique
Online | www.ft-ci.org


Organisations de la FT
La Fraction Trotskyste-Quatrième Internationale est intégrée par le PTS (Parti des Travailleurs Socialistes) d’Argentine, la MTS (Mouvement des Travailleurs Socialistes) du Mexique, la LOR-CI (Ligue Ouvrière Révolutionnaire pour la Quatrième Internationale) de Bolivie, le MRT (Mouvement Révolutionnaire des Travailleurs) du Bresil, le PTR-CcC (Parti des Travailleurs Révolutionnaires) du Chili, la LTS (Ligue des Travailleurs pour le Socialisme) du Venezuela, la LRS (Ligue de la Révolution Socialiste) du Costa Rica, Clase Contra Clase (Classe contre Classe) de l’État Espagnol, le Groupe RIO, de l’Alemagne, Militantes de la FT en l’ Uruguay et Militantes de la FT dans le CCR/Plateforme 3 du NPA en France.

Envoyez votre message ici : [email protected]