FT-CI

SeaFrance

Sarkozy, la « justice » et Chérèque contre les travailleurs

22/01/2012

Par Jean-Patrick Clech

La décision finale est tombée comme un couperet pour les salarié-e-s de SeaFrance. Les choses ont le mérite d’être claires. Une nouvelle infamie sépare la « justice » de classe des travailleurs. Le 9 janvier le tribunal de commerce de Paris a décrété la liquidation définitive avec cessation d’activités de la compagnie transmanche qui assurait la liaison entre Calais et Douvres. Ce sont plus de 800 emplois directs qui partent ainsi en fumée, toute une ville qui est sinistrée (SeaFrance étant le premier employeur privé ã Calais), et plus encore si l’on tient compte de l’emploi induit et indirect. Plus d’une centaine sont également supprimés Outre-manche dans la filiale SeaFrance Limited. En jugeant le projet de coopérative (SCOP) présenté par la CFDT-maritime-Nord non-valable le tribunal condamne 2000 familles du calaisis.

Mais pourquoi un tel gâchis ? On ne peut quand même pas dire que SeaFrance manquait d’activité. Avec plus de deux millions de passagers par an sur le segment Calais-Douvres, SeaFrance ne chômait pas. En 2008, la compagnie réalisait un chiffre d’affaire de 220 millions d’euros, transportait 3,8 millions de passagers, plus de 700.000 voitures, autant de camions et 24.000 autocars. Mais comme l’ont souligné avec colère les marins de SeaFrance présents ã Paris le 9 janvier à la suite du rendu de décision de « justice », la SNCF, actionnaire ã 100% du groupe a cassé l’entreprise avec la complicité de l’Etat pour la rendre déficitaire et se séparer de sa filiale maritime. Quand on veut tuer son chien, comme dit l’adage, il suffit de l’accuser d’avoir la rage.

Une campagne de calomnies contre les travailleurs de SeaFrance sous couvert de probité syndicale

Les vrais enragés, ce sont pourtant ceux qui sont à l’origine des pires accusations et calomnies contre les salarié-e-s de SeaFrance ã travers leur section CFDT : ce serait en fait leur section syndicale, pour laquelle ils ont voté ã plus de 75% lors des dernières élections professionnelles, qui aurait fait couler le navire, et pas la SNCF et l’Etat ! Pour les journalistes qui ont relayé les attaques, plus le mensonge est gros, plus il a de chance de passer. C’est l’artillerie lourde que l’on a sorti contre les marins et leur syndicat:faux, usage de faux, escroquerie au jugement, vol en bande organisée, voies de faits, gestion opaque, enrichissement personnel des dirigeants cédétistes. Les salariés auraient même, apprend-on dans la presse, bénéficié d’avantages « exorbitants », c’est-à-dire une organisation du travail avantageuse et 1000 euros de primes vacances…

Si ce n’avait été que le gouvernement qui s’était ainsi déchaîné contre les travailleurs, on aurait pu comprendre. C’est son habitude et sa raison d’être. Le plus scandaleux c’est que c’est la direction de la CFDT elle-même, avec ã sa tête François Chérèque, qui a été en pointe des attaques alors que les salariés luttaient pour le maintien de l’emploi. Ce sont donc des gens qui ont trempé dans le dossier Karachi et des bureaucrates syndicaux, coupables, eux, de haute trahison de la cause ouvrière, qui ont orchestré la chasse aux sorcières. Mais revenons cependant sur les faits et sur pourquoi le combat pour l’emploi des travailleurs de SeaFrance étaient parfaitement intolérable pour la bourgeoisie et le gouvernement - et ce par-delà les reproches que l’on pourrait faire à la direction cédétiste locale que seuls les travailleurs (et pas la Cour des comptes de la bourgeoisie, la presse qui est ã son service et les bureaucrates syndicaux pourris) sont légitimement ã même de formuler soit dit en passant -.

Chronique d’un démantèlement annoncé

La SNCF a organisé avec minutie le dépôt de bilan, en orchestrant savemment l’endettement de sa filiale transmanche, ã hauteur aujourd’hui de 230 millions (une broutille si on les compare aux trois milliards versés aux patrons de l’automobile française en échange de la promesse qu’ils ne licencieraient pas avec les résultats que l’on sait…). Les travailleurs, cependant, ont organisé la résistance.

Entre 2001 et 2008, le dirigeant de SeaFrance Eudes Riblier tente d’acheter la paix sociale, en négociant étroitement avec la CFDT locale (ce qui sera reproché à l’un comme à l’autre d’ailleurs… comme si la bureaucratie syndicale, lorsqu’elle est conviée ã Matignon pour parler de « crise », était à la pointe du combat de classe). Entre 2001 et 2008 cependant, les travailleurs maintiennent l’emploi, et ce en dépit d’un certain reflux de l’activité due à la disparition des magasins Duty Free auxquels se rendaient les britanniques en faisant des voyages aller-retour.

Avec Pierre Fa, c’est une autre musique. L’homme qui a trempé dans l’affaire Elf, entame son mandat en 2008 en attaquant de front les salariés. Prés de la moitié des emplois passent à la trappe et les effectifs de SeaFrance ã Calais ne sont bientôt plus que de 800. Ce n’est qu’une première étape dans le démantèlement de SeaFrance.

Les appétits de la concurrence et le projet de SCOP

La compagnie attire effectivement les convoitises. D’un côté il y a la britannique PO qui ne serait pas fâchée de prendre seule le relais sur le segment Calais-Douvres. Il y a aussi l’armateur danois DFDS, associé ou non ã Louis Dreyfus Armateur (LDA), qui souhaiterait récupérer le marché, en lançant éventuellement une compagnie type « low cost ». Britanny Ferries (liée au lobby agricole breton et à la FNSEA, c’est-à-dire à l’UMP), lorgne également du côté de SeaFrance. Eurotunnel de son côté craint comme la peste la mise en place d’une liaison « low cost » qui casserait les prix. Et puis il y a aussi les trois bateaux, quasiment neufs, que certains voudraient racheter pour une bouchée de pain. En résumé, avant même que la cessation définitive d’activités ne soit prononcée, dès que le bilan a été déposé par la direction de SeaFrance, le bal des prédateurs avait déjà commencé.

Les salariés, avec le soutien de la CFDT locale, s’opposaient quant ã eux ã toutes les offres de reprise dans la mesure où elles laissaient sur le carreau nombre d’entre eux et défendaient l’idée d’une SCOP afin de maintenir l’ensemble de l’activité et des emplois. Cela impliquait la cession des bateaux (leurs bateaux, serait-on tenté de dire, dans la mesure où ils y travaillent) pour un euro symbolique et sans doute un peu plus de 50 millions d’aides publiques ã décrocher. Mais face ã eux, les ministres du gouvernement ont répondu pendant des semaines, invariablement, qu’il n’y avait rien ã faire, se contentant de céder le pas à la SNCF qui promettait de vagues reclassements. Inutile de rappeler qu’au cours des dernières années, sur les 750 suppressions d’emploi ã SeaFrance qui ont eu lieu sous la présidence de Pierre Fa, 11 seulement ont donné véritablement lieu ã un reclassement… après concours de surcroît !

La volte-face de Sarkozy pour mieux enfoncer les travailleurs

C’est sur le tard que Sarkozy a fait volte-face (ou vol plané électoral, c’est selon) en expliquant qu’il fallait que les salariés investissent leurs primes extra-légales de licenciement dans le projet de SCOP. S’agissait-il purement d’une manœuvre électorale ou d’un plan plus machiavélique ? Impossible ã savoir. L’essentiel est que les salariés ont légitimement refusé d’investir leurs primes et d’être seuls ã être partie-prenante de la SCOP.

Sarkozy a eu beau jeu par la suite d’affirmer que c’était l’intransigeance de la CFDT-maritime-Nord qui faisait capoter son pseudo-projet de maintien de l’activité, puis d’orchestrer par la suite la campagne de presse accompagnée de la mise en place d’un collectif d’une centaine de non-syndiqués favorables au projet DFDS (avec ou sans l’appui de LDA) qui ne s’engage que sur la moitié des emplois et comptait lui aussi racheter les bateaux pour un euro symbolique…

Maintenant que le mandataire judiciaire a les mains libres pour liquider les actifs au plus offrant pour rembourser les créanciers, Sarkozy et la SNCF continuent ã se moquer des travailleurs. Il parait que toutes les solutions sont envisagées pour maintenir l’emploi. Maintenant que le tribunal a donné son coup de grâce ? La SNCF propose en effet 500 reclassements avec des emplois bidons à la clé qui ne sont que des fausses promesses. Il y a des coups, et pas simplement des coups de gueule, qui se perdent…

Les coopératives ont certes leurs limites…

Si le projet de SCOP était légitime, il n’était pas sans limites. Les coopératives de production, d’une part, sont loin d’être une espèce de panacée ouvrière face à la crise comme le fait entendre le Front de Gauche par Mélenchon et Clémentine Autain interposés. Elles n’abolissent ni le rapport d’exploitation ni le rapport salarié, mais c’est-là un autre débat. Dans le cadre de la concurrence capitaliste, et plus encore dans le cadre du trafic transmanche, il aurait été difficile, même au prix de sacrifices (par rapport au temps et aux conditions de travail, aux salaires, etc.), de maintenir l’activité de façon pérenne, surtout si des requins type Eurotunnel rachetaient les bateaux pour les louer aux salariés de la coopératives qui y auraient travaillé.

Mais l’idée d’une SCOP était insupportable pour le patronat et le gouvernement dans le cadre actuel

Ce qui est certain cependant c’est que dans le cadre actuel de la crise capitaliste et de ses répercussions tragiques sur l’emploi de centaines de milliers de travailleurs, leur vie et celle de leur famille, il était intolérable pour les patrons et leurs représentants gouvernementaux que le projet de maintien de l’emploi voit le jour. Il était insupportable pour les capitalistes que les travailleurs démontrent, même si le projet était complexe ã monter et ã faire perdurer, que les licenciements ne sont pas une fatalité économique mais avant tout une question politique dans le cadre de la guerre que se livrent les patrons.

La décision de justice en témoigne. En décrétant la cessation d’activité, cela éloigne encore plus la possibilité de défendre tout projet de maintien de l’emploi par le biais d’une SCOP ou même d’une SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif regroupant salariés, collectivités publiques et capital privé) puisque tout serait ã renégocier : la question des bateaux, des créneaux horaires portuaires pour assurer les liaisons, la reconstitution d’une filiale anglaise, etc. Les hommes en noir de la justice ont ã nouveau démontré ce ã quoi ils servaient : ce sont les croque-morts de la bourgeoisie.

Non aux licenciements ! A SeaFrance comme ailleurs, il faut nationaliser les entreprises qui ferment pour maintenir l’emploi et l’activitée sous le contrôle des travailleurs !

Le combat courageux des marins et des travailleuses de SeaFrance a relancé la question du maintien de l’emploi face au rouleau compresseur des licenciements. Les propositions hypocrites de Sarkozy sur les « indemnisations supra-légales » et la décision du tribunal de commerce sur la validité ou non du plan de reprise sous la forme d’une SCOP ont souligné combien la question relevait avant tout de la décision politique.

Les travailleurs de SeaFrance ne sont pas les seuls dans cette situation. Ils la partagent avec ceux d’Hélio-Corbeil (industrie graphique) dans l’Essonne, M-Real (industrie papetière) ã Alizay dans l’Eure ou ceux de Fralib (agro-alimentaire) ã Gémenos prés de Marseille. En revendiquant le maintien des emplois, ils ne posent pas uniquement la question de l’interdiction des licenciements mais aussi indirectement la question de la seule voie pour l’imposer : l’expropriation et la nationalisation des entreprises qui ferment, sous le contrôle des travailleurs.

Dans le cas de SeaFrance, face aux armateurs et leur soif de profits aux dépens des emplois et même de la sécurité des passagers comme le montre le drame de Costa Croisière, c’est la question de la nationalisation de toute la branche qu’il est légitime de poser, notamment dans le cadre du trafic transmanche. Si les travailleuses et les travailleurs en lutte contre les licenciements et le maintien de l’emploi commencent aujourd’hui dans les faits ã poser cette question, ce serait aux organisations ouvrières, ã commencer par l’extrême gauche, de porter explicitement cette revendication politique et la défendre dans les luttes. La campagne de Philippe Poutou devrait être l’occasion de défendre ce mot d’ordre, avec d’autant plus de force que la nouvelle récession qui va secouer l’Europe en 2012 va relancer plus encore le chantage à l’emploi qui pèse sur notre classe.

18/01/12

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