FT-CI

Moyen Orient

Quatorze thèses sur le printemps arabe

04/06/2011

A la mémoire des milliers de manifestantes et manifestants tombés sous les coups de la répression et de l’impérialisme depuis le début du printemps arabe et ã celle de Juliano Mer-Khamis et de Vittorio Arigoni, combattants de la libération de la Palestine, assassinés en avril 2011 ã Jenine et ã Gaza.

I.« La nuit n’est peut-être que la paupière du jour » (Omar Khâyyâm)

Le 14 janvier 2011, après avoir tenté le tout pour le tout en lançant ses chiens de garde pendant prés de trois semaines contre les manifestants, Ben Ali était forcé de quitter précipitamment la Tunisie. Il la quittait à l’image de la manière dont il avait gouverné le pays depuis 1987, comme un voleur. Moubarak et ses fils allaient le suivre de prés le 11 février, placés en résidence surveillée par l’armée égyptienne. Au même moment, et ce jusqu’à au jourd’hui, c’est l’ensemble de l’arc arabo-musulman allant du Maghreb au Proche et Moyen-Orient qui est secoué par d’intenses mouvements populaires qui remettent violemment en cause le pouvoir politique dans la région, les rapports entre les classes et, indirectement, les rapports entre ces pays et leurs tuteurs impérialistes.

L’échiquier mondial ne se trouve pas bouleversé structurellement dans la mesure où la dynamique prépondérante à l’heure actuelle continue ã être marquée par l’approfondissement de la crise économique mondiale alors que, globalement, ce sont les forces du capital qui conservent l’initiative. Cependant par son extension et son intensité le printemps arabe change la donne au niveau international.

Sur le plan de la symbolique les choses ont radicalement changé avec les processus arabes. Deux images restent certainement à l’esprit de toute une génération qui a commencé ã entrer en politique au tournant du XXI siècle, à la faveur du mouvement anti-globalisation et du mouvement anti-guerre : d’une part les manifestations du 15 février 2003 et leur incapacité ã enrayer le mécanisme de l’intervention impérialiste contre l’Irak, de l’autre l’image des chars M1 Abrams américains traversant le Tigre juste avant la chute de Bagdad. Les images qui nous sont arrivées du Caire et qui ont fait le tour du monde sont radicalement différentes et marqueront d’autant plus les esprits. Sur les ponts enjambant le Nil, les manifestants ont fait reculé les blindés légers des forces de répression alors que le gouvernement américain, désemparé et cacophonique dans un premier temps, peinait ã croire qu’il lui faudrait bientôt se séparer d’une de ses pièces maitresse sur l’échiquier proche et moyen-orientale, Moubarak.

Plus concrètement, au niveau politique et subjectif, le printemps arabe imprime une dynamique nouvelle à la situation mondiale. Avec le milieu des années 1990 et les grèves de novembre-décembre 1995 en France comme point d’inflexion symbolique les « penseurs du possible » avaient dû finir par admettre que si certains avaient fait peut-être trop hâtivement leur « adieu à la classe ouvrière », le salariat existait bel et bien ou, tout du moins, sous la forme des « mouvements sociaux ». Plusieurs, ã commencer par Anthony Giddens, l’intellectuel organique du social-libéralisme travailliste anglais, avait commencé ã suggérer que face à l’horizon apparemment indépassable du « néolibéralisme » seule une « Troisième voie » social-libérale pouvait être souhaitable pour canaliser préventivement tout possible mécontentement. La crise économique de 2007-2008 s’est chargée de démontrer l’insoutenable contradiction qui taraude le système économique mondial et l’insoutenable légèreté des hérauts du néolibéralisme « hard » ou de ses contempteurs « softs » : le système fait eau de toutes parts. Les politiques de rigueur qu’on essaie de faire payer aux classes populaires laissent partout le même arrière-goût amer, qu’elles soient administrées par les sociaux-démocrates espagnols ou par les chrétiens-démocrates allemands, par les démocrates américains ou les sarkozystes français (et bientôt peut-être par les socialistes). Les réactions ne se sont pas fait attendre comme l’ont montrés les premiers retours de flammes sociaux, notamment en Grèce et en France depuis 2009. Enfin le printemps arabe, sousproduit de l’impact de cette même crise sur des économies périphériques, exprime au Sud de la Méditerranée le refus du mépris et de la misère auxquels les autocrates locaux, souvent des agents directs de l’impérialisme, entendaient condamner les populations indéfiniment.

II. Une période des plus classiques

La concaténation, sous des formes différentes, des rythmes économiques, politiques et sociaux de la crise, dans le centre capitaliste autant que dans sa périphérie semi-coloniale, relance pour les révolutionnaires un certain nombre de questions stratégiques. Les masses du Sud de la Méditerranée, exprimant leur refus de continuer ã vivre tel qu’elles l’avaient fait jusqu’à présent alors que leurs gouvernants despotiques ne réussissent plus ã régner et ã s’imposer comme avant, l’irruption révolutionnaire de la rue arabe nous pose donc avec une actualité renouvelée un certain nombre de questions quant aux tâches auxquelles il nous faut nous préparer, que le printemps arabe fait émerger et dont les « indignés/es » de l’Etat espagnol et de Grèce se font écho à leur manière. Cette succession d’événements plus ou moins inattendus, extraordinaires au sens littéral du terme, non souhaités en tout cas par les classes dominantes, nous rappelle que la période que nous traversons est « redevenue » des plus classiques, au sens léniniste du mot : nous vivons plus que jamais aujourd’hui à l’ère de la décadence du capitalisme impérialiste, l’ère des crises, des guerres et des révolutions, ou du moins des tendances à la révolution et à la contre-révolution. Si cela confirme le caractère permanentiste de la stratégie qu’il nous faut défendre et mettre en œuvre dans notre pratique politique et militante quotidienne, sur nos lieux de travail, d’étude et d’intervention comme au sein du parti, nous en sommes redevables aux processus en cours dans le monde arabe. C’est ce que nous allons ici nous attacher ã illustrer afin de dégager les grandes lignes de ce qui devrait être ã notre sens l’intervention des révolutionnaires dans les pays impérialistes d’Europe de l’Ouest, ã commencer par la France.

III. Triple éloge du courage, de la persévérance et de l’impossible

Depuis plus d’un quart de siècle, avec la victoire de la contre-révolution islamique en Iran après le renversement du Shah , l’idéologie dominante en Occident renvoyait l’image d’un monde arabo-musulman plongé dans une grande prostration et une incapacité ã se réformer, si ce n’est avec l’aide de George Bush et ses alliés. Avec une grande condescendance postcoloniale mêlée d’islamophobie on croyait les peuples arabes incapables de réactions si ce n’est au nom du Coran, de cette religion jugée plus médiévale et passéiste que les autres. Au cours de ces dernières semaines on a pu assister au soulèvement courageux de toute la région, de femmes et d’hommes qui ont montré dans les rues de Tunis, Damas, Sanaa ou Mascate ã tous les exploités et opprimés du monde entier, par leurs slogans et leur combat, ce que le courage voulait dire. En dépit de la répression systématique dont ils sont l’objet, au Yémen et en Syrie notamment où les morts se comptent par centaines, ils continuent ã crier leur colère avec une détermination qui force l’admiration [1].

Bien que partiellement spontanés au sens où les mouvements arabes n’ont pas été guidés par une direction politique qui y aurait été hégémonique, les processus actuels qui secouent la région ne tombent pas du ciel. Ce sont les héritiers de luttes précédentes qui ont labouré le terrain et ont préparé les conditions qui ont permis l’explosion de ces derniers mois. Ils sont tributaires des mouvements portés par des dizaines de milliers d’activistes des différentes oppositions radicales aux régimes en place, avec lesquels les marxistes révolutionnaires ont de profondes divergences, mais qui ont montré dans des conditions adverses, de clandestinité souvent et de répression systématique toujours, que militer n’était pas vain. Depuis plus d’un quart de siècle toujours, le discours dominant individualiste, de repli-sur-son-quant-à-soi ou dans le meilleur des cas mesquinement possibiliste, instille au quotidien que la politique n’est que l’affaire des spécialistes et qu’il faut savoir être réaliste raisonnable, même lorsqu’on est chômeur, sans travail ou dans la misère. Les jeunes militants égyptiens du mouvement « Kifaya », souvent issus des classes moyennes égyptiennes, qui ont été les premiers lier leurs revendications démocratiques aux luttes sociales des ouvrières et ouvriers du bassin textile de Al-Mahalla, les activistes des branches oppositionnelles de l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT) ou de l’Union Générale des Etudiants Tunisiens (UGET) ont montré combien la détermination et la persévérance étaient l’une des premières vertus de l’intelligence politique face à la politique des puissants.

En Tunisie et en Egypte enfin les manifestants ont renversé des présidents et leur entourage proche qui semblaient jusqu’il y a peu indéboulonnables. Dans la plupart des autres pays, même là où le mouvement connaît actuellement un repli certain, ils ont fait changer la peur de camp, et ce peut-être pour longtemps. Les choses ne seront plus jamais comme avant pour tous ces régimes et leurs armées de forces spéciales et de mouchards dominant jusqu’à présent en instillant la terreur et un sentiment de résignation aux populations. Alors certes ce ne sont que des dictateurs qui ont été renversés dans deux pays. Les structures mêmes des régimes autoritaires restent en place pour l’instant, sans même parler de la dictature du capital. Le printemps arabe néanmoins aura prouvé que l’impossible, entendu comme négation de l’horizon revendicatif raisonnable que l’on veut vendre aux masses en exigeant d’elles qu’elles soient disciplinées et soumises, peut ã nouveau redevenir un des ressorts de la lutte des classes contre les pouvoirs établis, apparemment « pour toujours » dans les régimes les plus autoritaires, ou en tout cas pour « le bien collectif » et « la chose publique » dans nos démocraties bourgeoises. Courage, persévérance et impossible sont les trois traits distinctifs que les manifestants arabes ont remis au cœur de l’action collective politique en quelques mois.

IV. Un nouveau printemps des peuples ?

Ce qui frappe ã première vue dans le mouvement actuel c’est la concaténation régionale des événements qui, à la suite de l’étincelle tunisienne de Sidi Bouzid, secoue l’ensemble du monde arabo-musulman. Le mouvement actuel a largement été comparé au « printemps des peuples » qui secoua l’Europe entre 1848 et 1949 ou même encore, au mouvement de libération de l’Amérique latine entre 1810 et 1825 ou à la chute de l’ex-Bloc soviétique et de son glacis entre 1989 et 1991.

Tout cycle révolutionnaire profond se caractérise de fait généralement par un mouvement intrinsèquement international. Au XX siècle c’est le cas entre 1917 et 1923, entre 1934 et 1937, 1943-1949, ou encore, plus proche de nous, au cours des « années 1968 », entre 1968 et 1981. Ce qui rapproche néanmoins le mouvement arabo-musulman dans son développement actuel du printemps des peuples c’est la manière dont commence ã s’étendre sur un temps relativement court une vague contestataire au sein de laquelle se mêlent des exigences démocratiques et des revendications sociales, le tout dans un vaste ensemble interclassiste qui réagit, dans un contexte de crise économique, ã plusieurs décennies de restauration réactionnaire et dans un cadre où le prolétariat joue un rôle dynamique certes mais aucunement indépendant. Toutes proportions gardées et en tenant compte de toutes les limites de l’analogie historique le mouvement arabe actuel est en ce sens une sorte de nouveau « printemps des peuples ». Le contexte mondial, marqué par la domination du capital impérialiste, est lui profondément différent, posant les termes de la libération nationale et sociale en des termes radicalement distincts. Le contexte régional quant à lui marque d’un sceau tout particulier l’insubordination de masses qui est à l’œuvre dans le monde arabe.

V. Le troisième acte du combat arabe pour la dignité

Le mouvement actuel s’inscrit dans une dynamique historique plus large marquée du sceau du combat des masses arabo-musulmanes pour leur dignité. Ce mouvement s’est exprimé dès le début de la violente pénétration coloniale dans la région à la suite ou en lien avec le desserrement de la domination ottomane. Les grands noms de ce premier mouvement de réveil arabe font écho aux combats impitoyables que la bourgeoisie européenne à livré pour s’approprier les ressources et les territoires d’Afrique du Nord, du Machrek, du Levant et du Proche et Moyen-Orient dès le début du XIX° : on songera à la résistance d’Abd el-Kader et de Lalla Fatma N’Soumer en Algérie et Kabylie contre l’armée française, ã celle du « Lion du Désert », Omar Al Mokhtar, contre les troupes coloniales fascistes de Mussolini en Libye ou encore au combat du cheikh Mahdi Al-Khalissi contre l’occupation britannique de l’Irak dans les années 1920.

Une seconde phase a émergé, plus synchrone dans le temps, à la suite de la Seconde guerre mondiale et avec l’affaiblissement des vieilles puissances impérialistes européennes. Elle est liée d’une part aux luttes pour la décolonisation puis à la poussée ouvrière et populaire des années 1968-1981, la lutte nationale palestinienne jouant, dans les deux cas, un rôle catalyseur central. Cette seconde phase s’est articulée autour d’un premier moment dominé par l’émergence et l’apogée du nationalisme panarabe symbolisé par le nassérisme et un second davantage lié à la dynamique de mobilisation internationale qui secoue l’ensemble de la planète, l’Occident au- tant que glacis soviétique et les pays du « Tiers-Monde » entre 1968 et 1981.

Le mouvement arabe actuel s’élève autant contre les régimes qui sont l’émanation directe de la tutelle impérialiste (monarchies du Golfe, Sultanat d’Oman, etc.) que contre ceux qui sont les héritiers décomposés et dégénérés des processus nationalistes bourgeois des années 1950 et 1960 [2]. L’échec de l’expérience nationaliste bourgeoise renforcée par la défaite de la poussée ouvrière et populaire des années 1970 permet à l’impérialisme de reprendre durablement pied dans l’arc méditerranéen et moyen-oriental. Cela commence dès les années 1970 dans l’Egypte de Sadate et ce processus connaît son climax avec la mise au pas économique de la région sous la houlette du FMI et de la Banque Mondiale ã grand coups de libéralisations et de privatisations [3]. Sur le papier cette « modernisation », accentuée dans les années 1990, permettaient par exemple à l’Egypte, « le Tigre du Nil », ou à la Tunisie, de revendiquer le rôle de meilleur élève des institutions financières internationales. La réalité était tout autre comme en témoigne l’armée de jeunes chômeurs et les millions de travailleurs et de pauvres survivant dans des conditions misérables, à l’ombre des palais d’une bourgeoisie scandaleusement corrompue et arrogante dont les noms sont sur les bouches de tous les manifestants : les Trabelsi en Tunisie, Ahmed Ezz et son ami Gamal Moubarak en Egypte, Rami Makhlouf en Syrie [4]. La crise économique de 2007-2008 a fragilisé un peu plus les bases de ces économies au développement inégal et combiné contre lesquelles se sont insurgées les masses arabes.

Un certain nombre d’analystes de gauche ont souligné la pauvreté revendicative des manifestants arabes en insistant sur la dynamique prépondérante des élites urbaines et de la classe moyenne et a contrario le rôle marginal qu’auraient joué les secteurs les plus opprimés et subalternes de la société, dans les villes comme dans les campagnes. C’est ce que soutient Perry Anderson dans le dernier éditorial de la New Left Review [5]. Nous reviendrons sur la question de la composition interclassiste du printemps arabe et ses limites. Pour ce qui est de son horizon revendicatif, il a certes une forte prépondérance démocratique. Le limiter étroitement ã cela et ne pas voir la dynamique sociale qu’il implique revient cependant ã nier la réalité. Pour ce qui est de l’absence de revendications profondément nationalistes et anti-impérialistes, notamment par rapport ã Israël, c’est oublier les slogans des jeunes tunisiens de la Casbah contre Sarkozy, ses ministres et ses ambassadeurs ou encore la large participation aux manifestations de commémoration de la Nakba dans le monde arabe en mai. Le niveau de revendication ouvertement anti-impérialiste est certes largement inférieur au discours habituel qui étaient celui de la gauche arabe dans les années 1960 ã et 1970 tout comme l’explicitation des revendications sociales. Cela est l’expression régionale d’un quart de siècle de restauration bourgeoise néolibérale menée brutalement par les régimes en place mais aussi le sous-produit des guerres impérialistes lancées contre l’Afghanistan et l’Irak et le chaos actuel qui y règnent après la grande violence de l’offensive qui perdure ã travers l’occupation. Les défaites ouvrières et po- pulaires du passé et des fausses promesses du nationalisme bourgeois sur lesquelles a prospéré l’Islam politique notamment continuent de peser sur la conscience des masses. En témoigne la faiblesse structurelle de l’extrême gauche, nous y reviendrons.

Le troisième acte de ce combat pour la dignité, qui sera indissociable de la lutte pour le socialisme sans quoi il ne pourra aboutir qu’à de nouvelles frustrations, se joue néanmoins dans un contexte où les masses arabes ont fait un certain nombre d’expériences par lesquelles elles ne devront pas forcément repasser et qu’une intervention ouvrière accrue ã court et moyen terme pourrait transformer profondément.

VI. Révoltes, révolutions, processus révolutionnaires. Une question de classe

En Tunisie comme en Egypte c’est l’entrée en scène du salariat qui a commencé ã faire basculer la donne, d’abord au sein des manifestations de rues, non pas en tant que sujet déterminé mais en tant force manifestante diluée. C’est le passage de la protestation de masses ã des débuts de grève, localisées ou ã portée nationale, c’est-à-dire lorsque les travailleurs commencent ã se profiler en tant que sujet déterminé et tendanciellement indépendant, qui a fait précipiter la situation.

C’est le début de la grève générale qui a commencé ã s’installer dans l’horizon national ã partir du 12 janvier en Tunisie qui est déterminante dans la chute de Ben Ali (avec l’appel national de la direction bureaucratique de l’UGTT pour le 14 succédant aux grèves sur le bassin minier de Gafsa-Redeyef et aux débrayages ã Sfax). C’est encore la tendance à la grève générale (portée par les secteurs combatifs du prolétariat égyptiens qui a fait ses premières armes entre 2006 et 2008 notamment dans la zone du delta du Nil d’El-Mahalla El Koubra) qui amène l’armée, qui s’est installée en arbitre vigilant, ã pousser Moubarak vers la sortie avant que la situation ne devienne réellement insurrectionnelle.

C’est cette tendance à l’entrée en action dangereusement autonome de la classe ouvrière qui fait défaut pour l’instant dans d’autres pays même si le salariat a joué un rôle actif dans les mobilisations, que ce soit ã Oman, au Bahreïn ou au Yémen. C’est encore de cette absence de dynamique ouvrière propre dont tire actuellement profit l’étau contre-révolutionnaire qui enserre le processus libyen, avec d’un côté le régime de Kadhafi et de l’autre l’agression impérialiste et ses alliés du Conseil National de Transition (CNT).

C’est en ce sens que les processus arabes sont beaucoup plus que de simples révoltes comme on pu en conclure certains, réduisant ces mouvements au déplacement des autocrates au pouvoir par un des piliers du régime, ã savoir l’armée, en Tunisie et en Egypte [6]. C’est en ce sens également que le mouvement actuel n’est pas une révolution, même là où des dictateurs ont été renversés, dans la mesure où les bases mêmes des régimes en place ont été au mieux secouées et écornées, mais en aucun cas abattus. Parler de « révolution tunisienne » ou de « révolution égyptienne » ne servirait qu’à dissocier plusieurs phases qu’auraient ã parcourir ces mouvements, avec un premier moment démocratique et un second temps directement social. C’est ce qui permet à la gauche réformiste, notamment aux héritiers des diverses fractions staliniennes ou maoïstes ou aux nationalistes radicaux, de légitimer un appui plus ou moins organique aux fronts politiques de la bourgeoisie libérale, comme s’il s’agissait d’une étape obligée et non le frein le plus puissant au développement du mouvement arabe. Le printemps arabe est un processus révolutionnaire ouvert, structuré par des flux et des reflux, qui est loin d’être clos mais sur lequel pèse la menace de l’impérialisme.

VII. L’impérialisme essaie de reprendre la main

Depuis la chute de Milosevic en octobre 2000 les impérialistes nous avaient habitués ã repeindre en différentes couleur les « révolutions » qu’ils instrumentalisaient. Pendant la première moitié des années 2000, par le biais de mouvements populaires induits et d’une bonne dose de manipulation médiatique, les officines et les agences de l’impérialisme ont orchestré des changements de régime fonctionnels à leurs intérêts, et ce aux dépends de leurs concurrents directs (en rognant sur l’ancien pré-carré moscovite dans le cas de la Géorgie, de l’Ukraine et du Kirghizistan entre 2003 et 2005).

Il est indéniable qu’il y a eu dans le cas libyen instrumentalisations médiatique pour justifier au mieux la demande d’intervention portée d’abord par Paris, bientôt suivie par Londres [7]. Il est également certain que Washington a d’étroits liens avec les généraux égyptiens qui aujourd’hui sont au pouvoir, que le Département d’Etat entretient d’excellents rapports avec l’Etat-major tunisien et avec le général Rachid Ammar qui se tient en embuscade, surveillant de prés la situation, ou encore avec Ali Mohsen al Ahmar, dirigeant de la première division blindée yéménite, qui a fait défection depuis des semaines [8]. Les processus arabes sont loin d’être des révolutions de couleur, même si l’on a voulu donner au premier des soulèvements une couleur carte-postale en l’appelant révolution du jasmin.

Quoi qu’en dise une partie de la gauche stalinienne et populiste européenne qui dans sa logique binaire se retrouve du côté des régimes arabes au nom de l’anti- impérialisme, les processus révolutionnaires actuels ne sont pas des révolutions de couleur [9]. Les puissances centrales n’essaient pas de prendre pied, aux dépends de concurrents (chinois, russes ou autres) ou d’une bourgeoisie locale aux revendications trop nationales, dans une région où leurs multinationales sont déjà très largement présentes (même en Libye et en Syrie). Elles n’essaient pas non plus de mettre au pas des régimes qui ne leurs seraient pas complètement dévoués. Que les impérialistes en revanche essayent de reprendre la main, c’est une évidence. Ils n’ont pas d’autre choix. Ils ne peuvent tolérer que s’installe le "désordre" et "l’instabilité" dans une zone aussi stratégique. Qu’ils essaient y compris de le faire aux dépends de leurs partenaires et concurrents est également une évidence. Qu’ils soient en capacité de le faire, alors que la guerre en Afghanistan et au Pakistan est loin d’être close, que le dossier irakien est toujours aussi explosif, est une autre paire de manches [10].

Les pays impérialistes se sont retrouvés dans un premier temps complètement pris de court par l’effervescence sociale arabe. Certes les câbles diplomatiques révélés par wikileaks faisaient des préoccupations de certains diplomates. La gabegie et la corruption était un sujet de préoccupation sans doute. Mais ce que redoutaient les chancelleries occidentales c’était la surtout la gestion des transitions et des successions en cas de vacance du pouvoir à la suite du décès des gérontocrates qui étaient leurs interlocuteurs depuis les années 1980, ã commencer par Moubarak. Le printemps arabe a accéléré cette situation.

Après ce long moment d’incrédulité initiale, symbolisée par une Alliot-Marie offrant les services des flics français pour réprimer les manifestants en Tunisie tellement l’idée d’une chute de Ben Ali semblait improbable ou encore par le discours de soutien d’Hillary Clinton au régime égyptien le 25 janvier, les impérialistes ont fait le choix de la realpolitik et de la gestion ã très court terme de la situation. Les capitales occidentales, notamment celles qui ont le plus de poids dans la région, ont commencé ã faire pression sur les régimes arabes afin que des concessions préventives plus ou moins importantes permettent de reprendre en main la situation, de la stabiliser et de calmer les mouvements de colère latents ou explicites. Le tout est bien entendu accompagné de ces promesses « ‘d’accompagner’ les réformes démocratiques qui s’esquissent. Entendre : se gagner une clientèle nouvelle ã coups de dollars et d’euros [11] ». C’est dans ce cadre qu’il faut aussi analyser le discours d’Obama sur le printemps arabe, sorte de « discours du Caire bis ». Le discours du 4 juin 2009 a signifié un changement sur la forme de la gestion de la politique proche et moyen-orientale des démocrates plus que sur le fond de l’orientation héritée de l’administration Bush. A ce titre, il est clair que le « soutien » d’Obama au printemps arabe n’impliquera aucune rupture sinon un réajustement de la politique étasunienne, notamment par rapport au dossier israélo- palestinien et égyptien [12]. Parallèlement, les impérialistes couvrent la répression des satrapes locaux, leurs alliés et amis, et se contentent de protestations très formelles lorsque la répression verse dans la barbarie, comme dans le cas syrien.

VIII. Révolution... et contre-révolution

Ce que nous enseigne le printemps arabe c’est que le capital se rebelle par tous les moyens nécessaires contre les assauts de la vague actuelle. Dans la plupart des pays, même là où la répression continue ã être la plus sanglante, le pouvoir en place essaie de proposer des réformes ou des concessions, indiquant combien toute réforme n’est que le sous-produit d’une mobilisation révolutionnaire des masses [13].

là où le pouvoir a été grièvement touché comme en Egypte ou en Tunisie on propose le cadre d’une sorte de transition démocratique qui n’est en fait rien d’autre qu’une contre- révolution sous enveloppe démocratique. Cela a déjà été orchestré en Europe du Sud dans les années 1970 (Etat espagnol, Portugal et Grèce) et en Amérique latine à la suite de la chute des dictatures dans les années 1980. Par delà les différences, pays par pays, le succès pour les impérialistes a été significatif. Les « démocraties pour les riches » ont été les principaux vecteurs de l’application impitoyable des programmes néolibéraux de la fin des années 1980 et des années 1990 [14].

Lorsque ces concessions ne sont pas suffisantes et que le niveau concomitant de répression exercé contre le mouvement n’est plus effectif, les gouvernements en place ont jusqu’à présent opté pour deux choix extrêmes. La prise en charge de la violence contre-révolutionnaire peut se faire par l’intervention des alliés locaux directs de l’impérialisme. C’est ainsi que l’on a pu voir, sous la forme d’une mauvaise répétition de l’intervention des troupes du Pacte de Varsovie ã Prague, les nervis des émirs du pétrole, les troupes du Conseil de Coopération du Golfe entrer sur le territoire bahreïni ã partir du 13 mars pour prêter main forte au despote local et mettre un terme à l’intense processus de contestation qui s’était emparé de l’archipel en installant un régime de terreur. L’autre tentation consiste ã jouer sur la faiblesse politique du mouvement et sur l’absence d’insubordination ouvrière afin de jouer la carte de la guerre civile en draguant la situation vers le bas sur une base clanique ou confessionnelle [15]. C’est l’option qu’avait choisie par le président yéménite Ali Abdullah Saleh au pouvoir depuis 33 ans et qui a opté pour le pourrissement de la situation sans que les manifestants ne soient en capacité de proposer une alternative au dialogue de sourds entamé entre le pouvoir et les partis bourgeois d’opposition sous l’égide de l’impérialisme par le biais du Conseil de Coopération du Golfe. En s’engouffrant sur la voie de la guerre civile pour tenter le tout pour le tout Saleh courait le risque de tout perdre. Les impérialistes ne veulent pas d’une guerre civile à la libanaise aux portes d’un des passages maritimes les plus stratégiques. Comme à la suite de la confessionnalisation de la guerre civile au Liban, liée ã ses débuts à la combinaison de l’insubordination populaire et de la question nationale palestinienne, le chemin du printemps arabe au Yémen semble sans issue, pris en étau entre les restes du régime de Saleh d’un côté et les forces de son ancien allié, le cheikh Sadek al-Ahmar, qui n’a aucun intérêt non plus ã ce que se poursuive le mouvement populaire au Yémen.

IX. A bas l’ingérence impérialiste ! A bas l’intervention en Libye !

Dans une de ses pièces au titre évocateur, Fedayin. La révolution palestinienne ã travers sa culture et ses chants, montée il y a près de quarante ans, le dramaturge italien Dario Fo rapportait l’anecdote suivante : « on raconte que pendant un cocktail une dame demande à l’amiral [Menson de la marine américaine et haut responsable de l’OTAN] quel était le plus gros porte-avion américain. L’amiral (...) répondit ‘Le plus gros porte-avion américain, c’est l’Italie’. ‘L’Italie, répéta la dame quelque peu surprise. Nous avons un porte-avion qui s’appelle Italie ? Est où est-il stationné ?’ ‘En Mer Méditerranée, il est toujours ancré là , il surveille le Moyen-Orient. Le premier arabe qui bouge on le liquide immédiatement’ [16] ». Depuis trois mois l’assertion de l’amiral d’opérette de Dario Fo est plus juste que jamais et le peuple libyen est en train d’en faire la cruelle expérience.

Après un premier moment de grand cafouillage par rapport au printemps arabe naissant, les impérialistes n’ont pas hésité ã faire le pari osé mais risqué d’intervenir directement, en se débarrassant d’anciens alliés gênants, en l’occurrence Kadhafi.

Le printemps arabe en Libye est pris en étau entre la contre- révolution kadhafiste d’une part et les mouvements de troupes du CNT qui a réussi ã prendre très rapidement le contrôle du mouvement de protestation contre le régime et s’est transformé immédiatement en un pion des forces impérialistes qui bombardent tous les jours le pays. Cette situation est sans doute due aux limites de classe du processus libyen en tant que tel, hégémonisé par une petite bourgeoisie paupérisée (avec ou sans travail), sans aucun lien avec les secteurs centraux de la classe ouvrière, très largement constituée de travailleurs immigrés, notamment sub-sahariens, que les deux camps ont pris en ligne de mire comme boucs-émissaires dès le début des événements. La direction politique de l’opposition ã Kadhafi a d’autre part très rapidement basculé sur des positions des plus modérés, absorbant des pans entiers de l’ancien appareil d’Etat du Guide libyen et en se déclarant immédiatement après favorable à l’intervention des appareils de l’OTAN et à la prolongation dans le temps de la résolution 1973 de l’ONU.

L’enjeu de ce qui se passe en Libye dépasse les frontières de la Jamahiriya et doit se lire ã différents niveaux. Pour les impérialistes il s’agit d’une part d’utiliser la Libye comme cadre de reconstruction de leur domination régionale mise ã mal par les processus révolutionnaires. En ce sens il est inconcevable de croire que les chasseurs-bombardiers de l’OTAN puissent, par leur victoire sur l’armée loyale ã Kadhafi, construire les bases d’une Libye libre et démocratique. L’exemple du Kosovo, nouveau membre officiel du concert des nations et colonie officieuse, partagée entre Washington et Berlin, est là pour nous le rappeler et cette victoire clé a permis l’extension de l’emprise de l’OTAN jusqu’aux portes mêmes de la Russie. C’est ce que font semblant d’oublier, même ã gauche ou ã « l’extrême gauche » tous les partisans de l’intervention humanitaire, en s’appuyant sur le même casus belli que les impérialistes, ces monceaux de cadavres de la répression [17]

« La gauche, selon Gilbert Achcar, doit apprendre ã mettre en lumière l’hypocrisie des impérialistes en retournant contre eux les mêmes armes morales qu’ils exploitent cyniquement, plutôt que de renforcer l’efficacité de leur hypocrisie en donnant l’impression de ne pas se soucier des préoccupations morales [18] ». Ce que la guerre déclenchée contre la Libye a surtout mis en lumière c’est la complicité de cette même gauche plus ou moins radicale avec son propre impérialisme au nom de cette morale qui interdit d’aller ã contre-courant, pour des considérations électoralistes, opportunistes ou réformistes. L’intervention impérialiste en Libye n’est en aucune mesure capable d’assurer une réelle libération du pays. Elle fait peser de surcroit un risque constant sur les autres processus arabes, ã commencer par la rébellion syrienne. En effet le régime baathiste a beau jeu de manier la démagogie nationaliste pour utiliser ce qui se passe en Tripolitaine et Cyrénaïque afin de faire passer l’opposition populaire syrienne pour un pion aux mains de l’Occident et des sionistes.

A un troisième niveau enfin les impérialistes règlent par Libye interposée leurs différents en défense de leurs intérêts. Ce qui se joue dans la périphérie semi-coloniale, sur la peau des libyens, n’est rien d’autre qu’un règlement de comptes des rivalités inter-impérialistes dans la région, chacun essayant de tirer ã soi la couverture et faisant le pari d’un nouveau positionnement aux dépends de ses concurrents directs et indirects, tant les autres capitales impérialistes que Moscou ou Pékin qui ont d’ailleurs dû accepter de mauvaise grâce l’intervention [19]. Le tout se fait bien entendu sous couvert de l’unité au sein du commandement des forces de l’OTAN basé ã Naples. Mais c’est bien Paris qui essaie de faire la nique ã Berlin en Libye, Total qui essaye de se repositionner par rapport à l’ENI italienne avec la complicité des majors britanniques alors que Washington tente de ne pas perdre complètement la main [20]

.Comme le montre la prolongation du mandat onusien et l’entrée en scène depuis le 4 juin d’hélicoptères de combat français et britanniques, prélude peut-être d’une intervention au sol, la guerre contre la Libye pourrait peut- être se révéler un mauvais choix pour ses initiateurs. « Elle risque, comme le souligne l’analyste Alessandro Politti, de finir comme la bataille de Lépante, ã savoir inévitable pour ceux qui sont dans la région, optionnelle pour ceux qui n’y sont pas et profitable uniquement pour ceux qui en sont absents (en l’occurrence, pour ce qui est de 1571, les anglais et les hollandais). En d’autres termes le couple franco-anglais risque de ‘travailler pour le roi de Prusse’, c’est-à-dire de faire le sale boulot pour se retrouver par la suite ã court d’influence politique (...) [21] ».

X. Un espoir renouvelé pour la Palestine et la lutte contre l’Etat sioniste et raciste d’Israël

L’autre pièce maitresse de l’impérialisme dans la région qui est profondément secouée par l’instabilité est Israël, qui se retrouve sur la défensive. Cela ne veut pas dire bien entendu que Tel-Aviv ait renoncé ã cette agressivité qui est le trait distinctif de sa politique depuis la fondation de l’Etat d’Israël sur la base du nettoyage ethnique. La riposte de Tsahal en avril aux tirs de roquettes depuis la bande de Gaza (très certainement instrumentalisés par Damas) comme le violent discours sans concession de Netanyahou devant les congressistes américains le 24 mai au sujet du bien mal nommé « processus de paix » sont là pour en témoigner. Une chose est sûre : le réveil des masses arabes ã replacer dans le cadre de l’avancée géopolitique de l’Iran (une question qui préoccupe énormément les monarchies réactionnaires du Golfe) change le cadre de sécurité relative dont jouissait jusqu’à présent Tel-Aviv [22].

Avec la chute de Ben Ali et surtout de Moubarak Tel-Aviv vient de perdre ses meilleurs alliés dans la région. La question n’est pas qu’Israël ait quoi que ce soit ã craindre des militaires qui assurent l’intérim aujourd’hui en Egypte. Ce sont des hommes que Tel-Aviv ne connaît que trop bien pour avoir mené de front avec eux la répression contre le mouvement national palestinien, notamment contre le Hamas ã Gaza. Le principal problème est que l’effervescence arabe est le plus grand risque que court Israël, parce qu’elle ouvre une période d’instabilité à laquelle Tel-Aviv préfère tout, même la paix armé avec un Bachar El-Assad sur sa frontière Nord-est. La rue arabe, par sa combativité et ses revendications, remet objectivement en cause l’équilibre régional auquel étaient associés jusqu’à présent tous les régimes, même les plus formellement antisionistes, une stabilité qui était la garantie des affaires avec les multinationales impérialistes.

Le printemps arabe confirme d’autre part que la solution de la question palestinienne passe par un retournement du rapport de force ã échelle régionale qui va bien au- delà de la stricte résistance militaire asymétrique mais souvent désespérée, courageuse mais condamnée à l’échec en étant livrée sur le seul territoire de la Palestine historique. La chute de Moubarak force également les directions bourgeoises palestiniennes les plus vendues à l’impérialisme comme le Fatah de l’Autorité Nationale mais aussi le Hamas ã revoir profondément leur stratégie de négociation ou de négociation armée avec Israël. Mahmoud Abbas, en voyant tomber Moubarak a été forcé de réopérer un rapprochement en direction du Hamas. Ce dernier ne peut pleinement tirer profit de la situation dans la mesure où son orientation politique est diamétralement opposée ã ce qui fait le trait distinctif du printemps arabe : la mobilisation active des masses populaires. C’est ce qu’a montré le gouvernement d’Ismaël Hanyeh en réprimant les manifestations de solidarité avec le processus égyptien en février ã Gaza. là aussi le printemps arabe agit comme un formidable révélateur des intérêts et de la stratégie des fractions de classe dans la région.

Alors que Fatah et Hamas placent tous leurs espoirs dans la négociation d’une reconnaissance d’un bantoustan palestinien (qui aurait néanmoins le statut d’Etat, maigre consolation) lors de la prochaine assemblée générale de l’ONU, les manifestations historiques de commémoration de la Nakba cette année ont montré toute la potentialité du mouvement palestinien, revivifié non pas par les négociations de couloir de ses directions historiques mais par le printemps arabe. Faisant fi des champs de mine des milliers de manifestants ont violé la frontière israélienne depuis Ras Maroun au Liban, sur le plateau du Golan depuis la Syrie, ont désobéi aux injonctions du Hamas et ont manifesté ã Eretz depuis Gaza, se sont retrouvés face au check-point de Kalandya en Cisjordanie, ont bravé l’interdiction faite aux arabes israéliens de manifester le 15 mai en envahissant le rues du port de Jaffa. Le lendemain les colonnes du quotidien israélien Haaretz se faisaient l’écho d’une certaine frayeur, consciemment exagérée mais réelle, relayée par les politiciens sionistes de tous bords : « le printemps arabe est arrivé aux portes d’Israël (...) et la catastrophe que craint [le pays] depuis sa création a bien eu lieu : que les réfugiés marchent, depuis leurs camps, en direction de la frontière pour essayer d’exercer leur droit au retour ». C’est ce péril plus général que soulignait l’ancien conseiller de Carter à la sécurité intérieure Zbigniew Brzezinski dans une interview concédée à la CNN le 30 mars : le risque que les révolutions arabes prennent dans un premier temps des « formes extrémistes » est grand ; les gouvernements qui verront le jour devront prendre en compte davantage l’opinion publique, ce qui veut dire, d’un point de vue étasunien, qu’ils ne seront plus passivement les pions de Washington en termes de politiques étrangères ; les implications de la révolte arabe pour le future d’Israël à long terme ne laisse par conséquent rien présager de bon [23]. Du point de vue de notre classe, serait-on tenté de répondre ã Brzezinski, cela laisse au contraire espérer...

XI. Les solutions de rechange de la bourgeoisie

L’impérialisme et les bourgeoisies locales se trouvent dans une situation complexe. D’une part le règne politique sans partage des autocrates et leurs méthodes mafieuses, claniques et clientélistes, même quand il y avait libéralisation économique ã outrance, ont considérablement contribué ã affaiblir toute représentation bourgeoise alternative capable d’offrir des solutions gouvernementales de rechange cohérente. C’est ce que l’on voit à l’œuvre actuellement en Egypte et en Tunisie, même si les politiciens du RCD ou du PND tentent de se reconvertir à la va-vite en néo-démocrates convaincus à l’approche des élections.

Les trois principales solutions qui sont envisagées afin de maintenir un minimum de cohérence dans les pays où la voie de la transition démocratique est engagée afin de stabiliser la situation sont les militaires, les islamistes ou faire le pari d’un reflux ouvrier et populaire. Ces trois hypothèses reposent toutes sur des prémisses instables. La première est la situation économique que vit la région, qui subit de plein fouet les conséquences de la crise capitaliste internationale, aggravée par les processus en cours.

Les militaires, qui représentent historiquement une force de substitution ã des bourgeoisies nationales consubstantiellement faibles, très liés aux appareils militaires occidentaux par le biais de multiples liens (financements, formation, conseillers, etc.) ont certes l’avantage de s’être maintenus ã distance de la répression, avant tout engagée par les forces spéciales et la police (en Tunisie, en Egypte, comme au Yémen et en Syrie d’ailleurs). Cela leur a permis de rester en coulisse sans pour autant écorner leur crédit auprès des manifestants. Leur reprise en main de la situation, en Egypte notamment, implique qu’ils gèrent les affaires courantes. Cela implique de faire face aux grèves qui continuent ã éclater, ce qui rend la tâche difficile.

Les islamistes au sens large du terme, ã commencer par les Frères musulmans, représentent la force politique d’opposition bourgeoise modérée la plus structurée et enracinée au sein des classes populaires dans la région. Ils ont prospéré en se construisant sur le reflux du mouvement ouvrier et populaire à la suite de la poussée 1968-1981, l’échec du nationalisme bourgeois, de la banqueroute politique des forces staliniennes laïques qui l’ont appuyé, et en sachant articuler une orientation populiste et réformiste palliant auprès des classes populaires et des pauvres urbains en palliant le désengagement de l’Etat dans les services essentiels (éducation, santé, etc.). Oscillant de tout temps entre une opposition modérée et une option plus radicale faisant le jeu des régimes en place, objet d’une répression systématique renforçant leur image d’intransigeance, les forces islamistes bourgeoises sont les plus ã même de capitaliser la vague subversive actuelle qui pêche par ses limites en termes d’auto-organisation et de direction politique indépendante de la classe ouvrière. Les impérialistes n’ont jamais répugné ã s’accoquiner avec les pires crapules réactionnaires et religieuses cléricales, en Arabie Saoudite ou en Oman par exemple (ou leurs pendants laïques, Ben Ali ou les généraux algériens). Ils n’ont pas non plus hésité ã appuyer les islamistes quand ces derniers étaient le dernier rempart contre un processus insurrectionnel ouvert, même si le prix ã payer était très lourd pour leurs intérêts. C’est ce dont témoigne l’Iran des années 1978-1979.

Le problème avec les forces religieuses et leurs probables succès électoraux lors des prochaines échéances en Tunisie et en Egypte n’est pas tant le renforcement religieux rigoriste (qui est loin d’être le seul apanage du monde arabo-musulman) duquel peuvent s’accoutumer tant les impérialistes que leurs multinationales. Ce qui préoccupe le plus les impérialistes est la question du rapport des islamistes entre le programme bourgeois réformiste qu’ils défendent d’une part (donnant toutes les garanties nécessaires au maintien des accords internationaux (cf. Israël) et commerciaux avec les multinationales) et leur base interclassiste et ouvrière notamment de l’autre. Si la confrérie a dû organiser au Caire sa propre manifestation du Premier Mai, c’est bien parce que le mouvement ouvrier, avec toutes ses contradictions subjectives, a recommencé et continue à lutter pour ses intérêts, ses conditions de vie et de travail, qui remettent en discussion objectivement le patron de développement semi-colonial du capitalisme périphérique égyptien. C’est donc sur le terrain de leur capacité ã contrôler et ã canaliser le mouvement populaire et les grèves que les impérialistes s’apprêtent ã juger les islamistes. Ce qui préoccupe les chancelleries occidentales et qui rend les bombardements sur la Libye d’autant plus nécessaires, c’est qu’en dépit de toutes les concessions préventives qui ont été faites sur le terrain économique et social, la combinaison de la crise économique et d’un mouvement social aux composantes ouvrières et populaires qui continue ã se déployer dans la région rendent extrêmement difficile la possibilité d’un nouvel équilibre bourgeois régional aux ordres de l’impérialisme [24]. D’où la nécessité de rétablir l’ordre, par tous les moyens nécessaires.

XII. Multitudes, exode, absence d’hypothèse stratégique. La crise de la pensée de gauche au contact du printemps arabe et l’actualité de la théorie de la révolution permanente.

L’irruption des femmes du peuple, voilées, affrontant la police, des travailleurs, brandissant des cartons sur lesquels avait été hâtivement écrit en arabe leur haine du régime et leur volonté de dignité ne faisait pas partie de l’horizon d’attente politique occidental. Cela n’en rend pas moins ces protagonistes héritiers du grand mouvement ouvrier et populaire arabe.

Les Negri, Hardt et Holloway, dissidents de la pensée bourgeoise qui en fait la complètent assez bien sur la gauche, avaient voulu nous faire croire que nous étions entrés dans l’ère des « multitudes » et de « l’exode » et que désormais il était possible de « changer le monde sans prendre le pouvoir ». C’est pour partie ces thèses néo-autonomistes qui ont pénétré les franges les plus radicales du mouvement anti-globalisation et anti-guerre ã ses débuts. La réalité, ã commencer par les guerres contre l’Afghanistan et l’Irak, a apporté un cinglant démenti ã ces théories. Elle a démontré que l’Empire était loin d’être une structure globale sans centre de décision et que l’impérialisme continuait ã exister bel el bien. Par leur force de proposition, et non plus seulement en creux, les processus révolutionnaires arabes démontrent que l’action de masse est encore aujourd’hui le moteur de l’histoire et ce qu’affronter le pouvoir du capital veut dire.

L’excès politique inverse consiste ã mettre en exergue l’irruption puissante des masses au cours du printemps arabe comme facteur politique décisif. De telles analyses conduisent ã absolutiser le rôle du mouvement de masse en tant que tel et ã nier le rôle clé d’un parti sans lequel toute victoire révolutionnaire réelle est impossible. C’est notamment ce sur quoi insiste Olivier Besancenot en déclarant « j’ai vu, quand je suis allé en Tunisie et en Egypte, que les révolutions n’avaient pas besoin de leader, de substitut ou d’avant-garde autoproclamée. Que le peuple fait bien irruption sur la scène politique et que c’est justement pour cela que nous militons. Et nous, ici et maintenant, c’est ce que nous devons faire ã notre échelle [25] ». Cette vision spontanéiste, héritage ã sa façon d’un certain négrisme que l’on observe également dans l’éloge de « l’horizontalité » des jeunes manifestants de l’Etat espagnol des « acampadas », réfute les deux conditions essentielles à la victoire d’une véritable révolution : d’une part l’existence d’organes d’auto-organisation, qu’on les appellent soviets, shuras ou comités, basés sur la liberté de tendances ouvrières, et de l’autre la nécessité d’un parti révolutionnaire, enraciné dans la classe, qui permette que l’énergie et la spontanéité des masses ne s’essoufflent pas en une myriade de combats partiels.

Pour ce qui est du débat interne dans notre parti, en se basant sur la soi-disant clôture d’un pan entier de notre histoire avec la chute du Bloc de l’Est et l’offensive néolibérale, il serait semble-t-il hasardeux voire impossible de savoir ce dont seront faites les révolutions du XXI° siècle. Il serait par conséquent nécessaire de s’abstenir de toute hypothèse stratégique. Contredisant cette position politique transformée en lieu-commun les processus révolutionnaires arabes ont montré à l’inverse toute l’actualité de la thèse de la révolution permanente. Il n’existe aucune autre région au monde où, conséquence de l’existence de richesses naturelles immenses, ã commencer par les hydrocarbures, la pression impérialiste ne soit plus importante, renforcée de surcroit par la stratégie de défense de l’Etat d’Israël. Cette mainmise indirecte s’appuyait de manière incontestée jusqu’il y a peu sur l’existence de régimes autoritaires de divers types contre lesquels les masses arabes ont commencé ã se soulever au nom de la liberté et de la démocratie. Cette démocratie ne sera cependant rien si elle n’est pas en mesure de résoudre les problèmes structurels qui ont conduit certains, au début du mouvement, ã s’immoler par le feu, par désespoir. Dans le « meilleur » des cas de simples démocraties bourgeoises post- dictatoriales ne seraient rien d’autre qu’une version parlementaire et légèrement plus libérale des régimes contre lesquels les masses s’insurgent. C’est d’ailleurs ce que poursuit l’impérialisme lorsqu’il parle de « transition démocratique ».

C’est en ce sens que la lutte pour une démocratie véritable est intrinsèquement liée à la recherche d’une solution structurelle aux problèmes sociaux que subissent les classes populaires de la région et ne peut se concevoir sans rompre avec la tutelle impérialiste. Toute tentative de séparer les trois aspects du processus révolutionnaire, en luttant dans un premier temps pour un changement de régime et par la suite pour un changement social ou encore s’associer à l’impérialisme au nom de la lutte contre la dictature comme c’est le cas du CNT libyen ne peut qu’amener ã de nouvelles frustrations et ã une impasse. La logique du processus confirme et rend plus actuels que jamais les postulats de la théorie de la révolution permanente. Comme le notait Trotsky, « quelles que soient les premières étapes épisodiques de la révolution dans les différents pays, l’alliance révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie [et des pauvres des grandes villes, NdR] n’est concevable que sous la direction politique de l’avant- garde prolétarienne organisée en parti communiste. Ce qui signifie ã son tour que la victoire de la révolution démocratique n’est concevable qu’au moyen de la dictature du prolétariat qui s’appuie sur son alliance avec la paysannerie et résout, en premier lieu, les tâches de la révolution démocratique [26] ». En ce sens, « la dictature du prolétariat qui a pris le pouvoir comme force dirigeante de la révolution démocratique est inévitablement et très rapidement placée devant des tâches qui la forceront ã faire des incursions profondes dans le droit de propriété bourgeois. La révolution démocratique, au cours de son développement, se transforme directement en révolution socialiste et devient ainsi une révolution permanente [27] ».

XIII. Au Nord comme au Sud de la Méditerranée, construire des organisations communistes, révolutionnaires et anti-impérialistes.

Les démons sont plus durs ã chasser que Ben Ali et Moubarak. De manière ã justifier in extremis leur stratégie en France comme au Sud de la Méditerranée nombreux sont ceux qui maintenant insistent sur la décomposition des processus arabes entre une phase démocratique et une autre qui serait plus directement sociale (tout en disant souhaiter qu’il y ait concomitance) afin d’étayer une orientation gradualiste, tant sur le plan organisationnel que politique. En prenant l’exemple de l’Egypte et de la Tunisie et en disant que même dans les révolutions il y a des élections, ils entendent justifier l’attention quasi exclusive portée aux questions électorales, plus encore ici en France où après la défaite revendicative de l’automne dernier, la situation serait marquée par un recul.

Nous répondons ailleurs ã ce sujet aux hypothèses des camarades de l’actuelle position B du NPA (ancienne Plateforme 1 autour de PF. Grond, M. Martin et F. Borras ainsi que la P3). Ce qui est plus préoccupant reste comment ces positions sont également présentes au sein des organisations d’extrême gauche actives en Tunisie et en Egypte.

Les processus arabes ont montré d’une part la faiblesse relative d’une expression ouvrière autonome et auto- organisée. Ils ont néanmoins indiqué combien les travailleurs et la jeunesse étaient capables de brusques retournements à la fois en termes de combativité, de détermination et de conscience. Le printemps arabe a d’autre part confirmé la faiblesse des forces marxistes de gauche. Cela est pour partie liée à la stratégie de collaboration ou de collusion avec les régime autocratiques des différents PC et courants sociaux- démocrates au cours des cinquante ernières années mais aussi, bien évidemment, au poids de la répression dans un contexte de reflux de la lutte de classe jusque dans la première moitié des années 2000. Ce constat de faiblesse vaut également pour les organisations se réclamant du marxisme révolutionnaire. Dans ce cadre la tâche de construction d’organisations communistes révolutionnaires, liées au mouvement ouvrier, capables d’être en première ligne dans le combat contre le patronat local, le gouvernement et l’impérialisme, et de disputer aux forces bourgeoises et réformistes, qu’elles soient ou non laïques, la force des travailleurs et de la jeunesse, est d’importance centrale.

Les forces d’extrême gauche principales présentes en Tunisie et en Egypte ont choisi de suivre la voie tracée par le Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale (SUQI) dont est issu pour partie le NPA (ex-LCR) ainsi que la Tendance Socialiste Internationale (IST-cliffiste) dont la section la plus importante est le SWP anglais et qui ont en commun une conception assez similaire de construction de partis ou formations anticapitalistes larges [28].

En Tunisie les camarades de la Ligue de la Gauche Ouvrière (LGO) liée au SUQI ont fait le choix d’intégrer le Front du 14 janvier. L’objet de cette orientation n’est pas de structurer un front unique nécessaire dans les luttes, y compris avec des forces réformistes, mais bien d’en intégrer également le cadre politique. En Egypte, les Socialistes Révolutionnaires, liés à l’IST, ayant joué un rôle important dans les mobilisations de février, ont fait le choix quant ã eux de construire le Parti Démocratique des Travailleurs qui est sensé donner une voix de classe autonome au prolétariat, renouant avec la tradition des années 1920 (avant que la classe ouvrière égyptienne ne tombe sous la coupe du Parti Wafd, hégémonique à l’époque de la domination britannique). Si un tel parti était l’émanation directe de la restructuration du mouvement syndical égyptien à la suite des grandes grèves de 2006- 2008 et des mouvements actuels, il serait cohérent que les révolutionnaires y participent. Il semble en revanche que la logique des cliffistes égyptiens soit celle de dissoudre le contenu révolutionnaire de leur programme afin de construire un parti sur une base de classe, certes, mais avec un simple programme ouvrier radical.

L’histoire ne se répète pas et il serait absurde de penser qu’il suffit de calquer mécaniquement un programme bolchevique pour se construire au sein de la classe ouvrière et pouvoir postuler ã être en son sein la direction la plus déterminée. Face à la bourgeoisie et à l’impérialisme, nous sommes inconditionnellement du côté des forces ouvrières et plus encore des marxistes révolutionnaires arabes qui continuent ã être l’objet de la répression y compris dans les pays où le dictateur est tombé, ã commencer par l’Egypte. Au regard de l’héritage qui nous est commun et des leçons que nous pouvons tirer de l’expérience internationale des formations anticapitalistes larges qui partout ont été un échec retentissant ou se trouvent en pleine crise nous sommes néanmoins persuadés qu’il n’y a pas de raccourci dans la nécessaire et possible structuration d’organisations communistes révolutionnaires dont ont besoin les masses arabes pour affronter la bourgeoisie, l’impérialisme et son allié sioniste.

XIV. Sarkozy et la bourgeoisie française s’en vont en guerre... Dans l’Hexagone, pour nos intérêts, en solidarité avec le printemps arabe, la classe ouvrière et la jeunesse doivent se préparer pour leur rendre la pareille.

Un temps soufflé par l’étincelle du printemps arabe au point que son gouvernement en a été une victime collatérale avec la démission d’Alliot-Marie, Sarkozy essaye de reprendre la main. C’est ce qu’il fait en tentant, avec une certaine audace, de retourner en sa faveur la crise dans laquelle se trouve l’arrière-cour traditionnelle de l’impérialisme français. Il profite pour cela du fait que ses partenaires et rivaux impérialistes accusent eux aussi le coup. C’est une des clés pour comprendre pourquoi Sarkozy a pris la décision de là¢cher Kadhafi et de se tourner vers le CNT libyen [29]. Au même moment l’impérialisme français décidait de remettre définitivement au pas ses partenaires ivoiriens en reprenant en main la situation et en remettant en selle le poulain de l’Elysée, Allassane Ouattara, en se débarrassant de Laurent Gbagbo.

Cette nouvelle hyperactivité militaire française, alors que Paris a des troupes qui sont occupées sur quatre autres théâtres d’opérations, (Afghanistan, Liban, bandeau sahélien et Djibouti) n’est pas seulement liées ã des calculs électoraux. Le nouveau tournant agressif de la politique extérieure agressive de l’Elysée, qui rompt au passage avec Berlin et secoue son allié italien en redéfinissant ses rapports avec Londres, répond ã une nécessité stratégique de la bourgeoisie française dont le sort est lié aujourd’hui plus qu’avant encore au pillage méthodique et systématique de son arrière-cour semi-coloniale. Il lui faut, si elle veut enrayer son déclin, se repositionner sur l’échiquier international alors que la crise capitaliste se poursuit. La bourgeoisie mène à l’extérieur des frontières de l’Hexagone la même logique offensive radicale que celle qu’elle dirige sur le plan intérieur contre les travailleurs et les classes populaires. La question de la construction d’un front d’opposition ã cette politique extérieure agressive ne tient donc pas de la simple obligation de solidarité internationaliste mais ã une nécessité de s’opposer ici- même à l’offensive bourgeoise.

Lutter résolument pour la défaite de notre impérialisme, le retrait des troupes de tous les théâtres d’opération, pour le soutien inconditionnel aux processus arabes, c’est-là l’orientation défendue par nos camarades du CPN et qui devrait être un des axes de notre orientation, au quotidien, dans les luttes et y compris en vue des élections.

Dans les années 1960 l’opposition aux guerres coloniales et à l’agression contre le Vietnam a présidé à la structuration de franges importantes du mouvement ouvrier et populaire qui ã partir de 1968 seront les protagonistes centraux de la poussée révolutionnaire en rompant avec leurs appareils traditionnels. Le printemps arabe, dans un contexte de crise aiguë du capitalisme mondial, pourrait jouer le même rôle de détonateur. Le vent du printemps arabe a traversé la Méditerranée : la jeunesse de l’Etat espagnol et de Grèce nous l’ont montré, Place Catalunya ã Barcelone ou Place Syndagma ã Athènes, devant ce même Parlement que les manifestants avaient voulu prendre d’assaut lors de la grève générale politique du 5 mai dernier. La situation européenne dans son ensemble est bien entendu moins dramatique que celle à laquelle ont ã faire face les combattantes et combattants du printemps arabe. Dans les maillons faibles de la chaîne impérialiste il est fascinant de constater néanmoins que par-delà les différences structurelles entre les pays, semi-coloniaux d’un côté, impérialistes ou dépendants de l’autre, par-delà la différence des régimes auxquels les jeunes et les travailleurs font face, le cri qui domine dans les manifestations se ressemble sur les deux rives de la Méditerranée. Se préparer ã ce que ce vent souffle plus fort encore, ã ce que la bourgeoisie soit obligée de redoubler ses attaques et que cela entraîne des résistances qui pourraient être plus violentes et supérieures ã celles auxquelles nous avons été habituées depuis 1995 et dont l’automne français n’a été qu’un avant-goût, voilà le sens de notre combat communiste, révolutionnaire et internationaliste.

    [1] On songera à la manifestation de plusieurs dizaines de milliers de personnes de Hama le 4 juin rendant hommage à la quarantaine de tués la veille lors des manifestations à la suite de la prière du Vendredi. Hama est une ville symbole, objet de la répression impitoyable de Hafez Al-Assad en 1982 ayant fait au bas mot 20.000 morts.

    [2] Les processus nationalistes bourgeois ont abouti à la constitution d’Etats autoritaires à l’égard desquels les classes populaires et le salariat en particulier aliénait toute indépendance politique en échange d’un certain nombre de conquêtes sociales et économiques concédées par une bourgeoisie locale ayant renégocié les termes de sa subordination avec les tuteurs impérialistes traditionnels, jouant notamment sur les rivalités Est-Ouest.

    [3] Dans un second temps l’ensemble de l’arc méditerranéen devient une vaste zone de (re)pénétration du capital ouest-européen qui y délocalise et s’y installe. Le renforcement politique de cette situation de fait passait, dans le projet de la bourgeoisie impérialiste, notamment française, par la constitution formelle de l’Union pour la Méditerranéenne (UPM) dont les trois principaux artisans n’étaient autres que Sarkozy, Ben Ali et Moubarak...

    [4] « Sur le papier les changements [néo-libéraux] avaient transformé un système économique pratiquement sous contrôle de l’Etat en un système dominé par le marché. Dans la pratique cependant une forme de capitalisme clientéliste et clanique prenait forme (...). Les banques contrôlées par l’Etat devenaient des faiseurs de roi en concédant des prêts aux familles soutenant le gouvernement mais en les refusant ã d’autres [bourgeois] ne disposant pas des accointances nécessaires ». Cette description que Callinicos fait du capitalisme égyptien des années 1990, montrant également comment des fractions de la bourgeoisie se retrouvaient marginalisées des fruits de ces libéralisations, pourrait s’étendre aux autres pays de la région. Voir A. Callinicos, « The return of the Arab revolution », International Socialism n°130, printemps 2011,. Pour ce qui est du régime tunisien, certains commentateurs français ne semblent découvrir que maintenant ce dont était faite la Tunisie de Ben Ali. Pourtant, comme le souligne la préface à la récente réédition de l’ouvrage de Nicolas Beau et Jean-Pierre Tuquoi Notre ami Ben Ali (La Dé- couverte, Paris, 1999 et 2011), les auteurs « [avaient] déjà dénoncé [en 1999] l’indulgence –déjà !- des hommes politiques français, de droite comme de gauche [et avaient] narré en détail comment la « Famille » du président pillait le pays » (p.III de la réédition).

    [5] Voir P. Anderson, « On the concatenation in the Arab world. Edito- rial », New Left Review n°68, mars-avril 2011.

    [6] Les titres des trois articles de la revue d’analyse politique de Lutte Ouvrière, Lutte de Classe, de mars 2011 consacrés au printemps arabe sont en ce sens assez représentatif du positionnement de LO : « La vague de contestations dans les pays arabes », « Tunisie. La révolte confrontée ã un pouvoir qui louvoie mais de disparaît pas » et « « Egypte. Moubarak parti, la hiérarchie militaire reste au pouvoir ».

    [7] Voir ã ce sujet K. Mezran, « Glossarietto delle bufale belliche » et C. Tinazzi, « Bugie nel deserto », Limes quaderni speciali, avril 2011, p. 69-82, où le chercheur de la John Hopkins University et le journaliste analysent par le menu dans la revue italienne de géopolitique, liée au groupe l’Espresso, la manière dont la désinformation a été organisée afin de justifier dans les meilleurs délais « l’intervention humanitaire ».

    [8] Dans tous ces cas, les rapports tissés avec les hauts gradés arabes (même avec ceux qui sont le plus liés historiquement ã Paris au Ma- ghreb et dans les pays du bandeau sahélien par exemple) a connu un saut qualitatif avec le début de la « guerre contre le terrorisme ». C’est dans ce cadre notamment que Washington a voulu prendre pied en Afrique occidentale sahélienne aux dépends de Paris en particulier comme le montre la mise en place de son commandement spécifique pour le continent, l’Africom, créé en 2008. De son côté Paris, ã son échelle, a essayé au cours des dernières années de reprendre du galon dans la Corne de l’Afrique (Djibouti) et de certaines monarchies du Golfe (Emirats et Qatar). Un bon exemple de dénégation en termes de géopolitique est à lire dans l’article du vice-amiral Robert Moeller, ancien commandant en charge de la construction d’Africom, « The truth about Africom, No, the U.S. military is not trying to take over Africa. Here’s what we’re actually doing », Foreign Policy, juillet 2010,.

    [9] Voir ã ce sujet les prises de position du philosophe italien Domenico Losurdo qui défend entre les lignes cette thèse, notamment dans « Rassistische Arroganz », Junge Welt, 09/04/11 et dans « Cosa suc- cede in Siria » (25/04/11), On songera également aux prises de positions de toute une partie de la gauche latino-américaine, ã commencer par la direction cubaine ac- tuelle, Daniel Ortega au Nicaragua ainsi que Chávez au Venezuela. Voi- là qui complique un peu plus la tâche de ceux qui espèrent (en France également) construire le « socialisme du XXI siècle » avec de telles di- rections politiques ou en s’inspirant d’elles.

    [10] Comme le dit l’analyste américain Immanuel Wallerstein au sujet du discours d’Obama du 19 mai sur le printemps arabe, « [Obama] n’est pas à l’origine de cette révolte. Il a bien entendu été complètement pris par surprise lorsqu’elle a commencé, comme d’ailleurs presque tout le monde. Sa première réponse a été de penser, correctement, que cette révolte représentait un énorme danger pour l’ordre géopolitique de la région, déjà passablement instable. Les Etats-Unis auront ã penser comment limiter la casse tout en maintenant leur propre position et en restaurant ‘l’ordre’. On ne peut pas dire que jusqu’à présent les Etats- Unis aient obtenu un francs succès. Tous les jours et partout [dans la région] la situation se caractérise par un désordre plus grand et par un contrôle moindre de la part des Etats-Unis ». I. Wallerstein, Commentary n°306, 01/05/2011,.

    [11] G. Corm, « L’unité retrouvée des peuples arabes », Le Monde diplomatique n°685, avril 2011.Version intégrale de l’article sur.

    [12] Au sujet de la question israélo-palestinienne, voir infra « X. Un espoir renouvelé pour la Palestine et la lutte contre l’Etat sioniste et raciste d’Israël ». Pour ce qui du discours du 4 juin, Brian Becker et Mara Verheyden-Hilliard soulignent que « maintenant que le système de contrôle impérial a été secoué par les soulèvements populaires (...) l’administration Obama [a pour objectif] de réaffirmer le leadership américain sur une région qui se transforme rapidement. En usant de la rhétorique de la démocratie et de la liberté pour masquer la responsabilité de l’impérialisme américain dans l’oppression et les souffrances subies par les peuples du Moyen-Orient, le discours du président Obama a été une démonstration de profonde hypocrisie ». B. Becker et M Verheyden-Hilliard, « The profound hypocrisy of President Obama’s speech on Middle East », Global Research, 05/05/11,.

    [13] Le dossier « Une région en ébullition » (Le Monde Diplomatique n°685, avril 2011, p.17-23), permet de voir comment les quelques semaines de mobilisations depuis décembre-janvier ou la simple menace de mobilisations a fait davantage en terme de réformes partielles plus ou moins cosmétiques des régimes en place et de réformes économiques que des années de promesses vides de contenu.

    [14] Voir ã ce sujet L. Lif et J. Chingo, « ‘Tranisciones a la democracia’. Un instrumento del imperialismo norteamericano para administrar el declive de su hegemonía », Estrategia Internacional n°16, 2000,.

    [15] George Corm note qu’un des principaux dangers que court le prin- temps arabe « est celui sur lequel tous les Chefs d’Etat en déroute ont voulu jouer jusqu’ici pour faire dérailler les mouvements populaires, ã savoir susciter et solliciter des régionalismes et tribalismes, voire aussi le communautarisme entre sunnites et chiites ou chrétiens et musul- mans. Pour ceux qui connaissent les sociétés arabes, ces tendances centrifuges sont plus le résultat des malaises dus ã un développement économique et social inégal qu’à des oppositions identitaires irréduc- tibles de nature anthropologique et essentialiste », art. cit..

    [16] D. Fo, Le commedie di Dario Fo, vol. IV, Einaudi, Turin, 1977, p.173.

    [17] Comme nous le soulignions plus haut, réelles mais sans doute mais très largement amplifiées par les médias occidentaux avec la compli- cité des chaines satellitaires arabes, ã commencer par Al-Jazeera, les images de la répression libyenne permettait de déplacer d’autant plus le regard de la violence exercée par des alliés beaucoup plus sûrs des Occidentaux (le Yémen de Saleh, que les impérialistes s’apprêtent à là¢cher sans doute comme en témoignerait le bombardement du Palais présidentiel le 3 juin, les troupes du Conseil de Coopération du Golfe, etc.)

    [18] Voir G. Achcar, « Un débat légitime et nécessaire dans une pers- pective anti-impérialiste », publié en français dans Inprecor n°571/572, mars-avril 2011, p. 20-23.

    [19] Moscou, qui était à l’origine extrêmement critique vis-à-vis de l’in- tervention, demande maintenant la chute de Kadhafi.

    [20] La guerre libyenne est effectivement un puissant révélateur des dissensions entre puissances impérialistes. Comme le note Carlo Jean, de façon peut-être excessive mais en soulignant un aspect central de ce qui se passe aujourd’hui du côté de Tripoli, « les réactions discordantes au réveil arabe ont eu d’importantes conséquences géopolitiques. La première est la division, peut-être définitive, de l’UE avec la décision allemande de séparer sa propre politique non plus seulement économique mais également extérieure de celle de Paris et Londres (...) ». Voir C. Jean, « Il secondo risveglio arabo e le lezioni della Libia », Limes quaderni speciali, avril 2011, p.57-67.

    [21] A. Politti, « Bengasi e il mondo a Est di Paperino », Limes quaderni speciali, avril 2011, p.9-16.

    [22] Dans ce cadre, la réouverture du canal de Suez ã des cargos iraniens après des années d’interdiction a été considérée comme une véritable provocation par Israël.

    [23] http://globalpublicsquare.blogs.cnn...

    [24] Sur la poursuite des luttes et la permanence des attentes sociales de la jeunesse et des travailleurs voir notamment A. Belkaïd, « Attentes sociales et peur du chaos en Tunisie », Le Monde Diplomatique n°684, mars 2011, ainsi que J. Chastaing, « Egypte : notes sur une révolution en marche », Carré Rouge n°45, avril 2011.

    [25] Médiapart, 07/11/2011.

    [26] L. Trotsky, La Révolution permanente, « Qu’est-ce que la Révolu- tion permanente (thèses) », 1929,.

    [27] Ibid

    [28] C’est ce qui a vu le jour en France avec le NPA, en Grèce avec Syriza, au Portugal avec le Bloc de Gauche, au Brésil avec le PSOL ou encore en Grande-Bretagne avec la coalition Respect.

    [29] Voir supra, « IX. A bas l’ingérence impérialiste ! A bas l’interven- tion en Libye ! ».

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