FT-CI

Le changement, c’est maintenant ?

Les hommes passent, les politiques demeurent !

22/05/2012

Par Romain Lamel

Depuis quelques semaines, le « changement » est devenu le leitmotiv de la nouvelle majorité. Le mot est sur toutes les bouches. Mais qu’en est-il vraiment ? Par-delà les effets rhétoriques et les changements symboliques, les politiques ont-elles changées ?

« Le changement, c’est maintenant ! » La campagne présidentielle a été rythmée par ce slogan du candidat victorieux. Les premiers jours de gouvernement semblent accréditer cette idée : pour la première fois, un gouvernement totalement paritaire a été constitué, le salaire du Président de la République et des membres du gouvernement réduit de 30 %. Ces mesures ne changent rien aux différences salariales entre hommes et femmes en France, au pouvoir d’achat des classes populaires, à l’insuffisance des salaires, à l’importance du chômage, ni à l’ampleur des politiques d’austérité pré-annoncées, mais Hollande compte ainsi marquer sa une rupture avec la servilité cynique à l’égard des valeurs de l’argent-roi du gouvernement précédent. L’état de grâce du gouvernement Hollande durera-t-il ? Le changement est-il réel ?

Tutoiements et congratulations

Nous nous intéresserons dans cet article à la cérémonie de passation de pouvoirs entre le gouvernement précédent et le gouvernement actuel et à la composition de ce dernier. Les marques d’affection dont ont témoigné les anciens ministres envers les nouveaux (et les nouveaux envers les anciens) illustrent l’unité d’un microcosme politique, uni par ses sociabilités communes, par le passage dans les mêmes grandes écoles, par le consensus politique sur un certain nombre de sujets, loin des affrontements théâtraux de ces derniers mois.

Ainsi, l’ancien ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, a reçu un livre dédicacé de la part de la nouvelle ministre de la Culture, Aurélie Filippetti. Mitterrand s’est même adressé à la mère de la jeune ministre pour la complimenter : « Votre fille le mérite ».

Au ministère de l’Economie, le nouveau ministre, Pierre Moscovici, a essayé de marquer ses distances avec son prédécesseur, François Baroin, jusqu’à ce qu’un tutoiement révèle leur proximité : « Tu as parlé... euh... vous avez parlé de l’Europe ». Le nouveau ministre de l’Economie a l’habitude de travailler avec la droite puisqu’il est vice-président du Cercle de l’Industrie, un lobby patronal français auprès des institutions européennes qui a coutume d’avoir un vice-président de « gauche » mais aussi, pour faire bonne figure… un vice-président de droite. Cachez donc cette proximité que je ne saurais voir ! L’ancien ministre des relations avec le Parlement, Patrick Ollier, connu pour ses proximités avec feu Mouammar Kadhafi et ses vacances en compagnie d’Alliot-Marie dans les villas de Ben Ali, n’a pas pu s’empêcher d’alterner le « vous » et le « tu » pour s’adresser ã son successeur, Alain Vidalies. Les deux hommes achèvent la cérémonie en s’embrassant cordialement.

Manuel Valls, le « Sarkozy de gauche »

Mais, soyons honnêtes, toutes les cérémonies de passation des pouvoirs n’ont pas été aussi cordiales. Dans un ministère, le successeur a même eu l’outrecuidance de critiquer son prédécesseur. Au ministère de l’Intérieur, Manuel Valls a assuré qu’il n’y aurait sous sa direction « ni course effrénée aux chiffres, ni stigmatisation de communautés ». Pourtant, Manuel Valls, surnommé le « Sarkozy de gauche », étonnant oxymore, a longtemps été l’homme de gauche le plus favorable aux idées de droite. Ainsi, en janvier 2011, afin d’émerger médiatiquement parmi les candidats potentiels à l’investiture socialiste, il propose de « déverrouiller les 35 heures » : « Est-ce que, dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, avec la concurrence que nous connaissons, pouvons-nous nous permettre d’être sur des idées des années 1970, 1980, 1990 ? ». Son déverrouillage consistait alors ã un quasi-retour à la semaine des 39 heures. Autre sujet économique sur lequel Manuel Valls a tenté de se distinguer durant la campagne des primaires socialistes, la TVA sociale. Cette augmentation de la TVA toucherait plus particulièrement les classes populaires. Défendue et adoptée par Nicolas Sarkozy, François Hollande s’est engagé à l’abroger. Selon Manuel Valls, la TVA sociale « permet de sauvegarder nos emplois, de permettre ã nos entreprises d’être plus compétitives (…) Dire la vérité aux Français, c’est dire qu’il va falloir faire un effort ã condition qu’il soit compris, expliqué et juste, aussi important que celui que la France a dû faire au lendemain de la Seconde Guerre mondiale » , a-t-il déclaré. Ce discours a le mérite de la franchise : appeler les Français à l’austérité la plus importante depuis 1945 !

Toutefois, Manuel Valls n’a pas été nommé ministre de l’Economie mais ministre de l’Intérieur. A-t-il dans ce domaine des propositions en rupture avec celles de l’ancienne majorité ? Pour se promouvoir dans la campagne des primaires, le maire d’Evry avait écrit un livre-programme sur la thématique de la sécurité : Sécurité, la gauche peut tout changer [1]. Dans cet ouvrage, Manuel Valls rend un hommage appuyé et répété aux forces de l’ordre, sans jamais évoquer les violences policières, les jeunes assassinés dans les quartiers, les procès de policiers qui débouchent toujours sur des non-lieux ou des relaxes. Il regrette que la gauche n’ait pas assez rendu justice ã Georges Clemenceau, l’homme qui réprima les grèves de 1906 et dirigea la France pendant la fin de la Première Guerre mondiale. Faible avec les forts, Manuel Valls est en revanche, fort avec les faibles. Ainsi, il est l’un des seuls socialistes ã exiger l’extradition du Brésil de Cesare Battisti, l’écrivain italien, militant d’extrême-gauche dans les années 1970, menacé par la justice de son pays pour des attentats au sujet desquels il clame son innocence. Pour finir en beauté, ce n’est pas un hasard s’il a été l’un des trois députés socialistes ã ne pas voter contre la prolongation de l’état d’urgence lors du soulèvement des banlieues de 2005.

Lors de sa cérémonie d’investiture, nous avons vu plus haut qu’il regrettait la « stigmatisation des communautés » à l’œuvre sous le commandement de Claude Guéant. Manuel Valls est-il sincère ? Que dit-il lorsque les caméras sont moins visibles ? Le 7 juin 2009, alors qu’il se promène sur un marché de sa bonne ville d’Evry, une caméra cachée révèle qu’il interpelle ses collaborateurs sur la coloration ethnique des habitants de sa ville : « Belle image de la ville d’Evry… Tu me mets quelques Blancs, quelques White, quelques Blancos ! ». Les communautés que Manuel Valls préfère, sont celles qui ont une couleur de peau la plus claire possible. Autre communauté, autres sentiments, dans une conférence-débat d’une radio de la communauté juive ã Strasbourg, il déclare : « Par ma femme, je suis lié de manière éternelle à la communauté juive et ã Israël ». Ce sionisme zélé l’a poussé ã s’en prendre, dans un texte co-signé notamment par l’actuel Président de la République, aux militantes et militants qui animent la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanction (BDS) contre l’Etat occupant la Palestine.

Blanc bonnet et… blanc bonnet ?

Entre les sociabilités communes des uns et les convergences idéologiques des autres, le changement de gouvernement est davantage un renouvellement du personnel politique qu’une évolution, aussi minime soit-elle, du discours politique. L’état de grâce protège, pour quelques semaines encore, le gouvernement de François Hollande, mais, tôt ou tard, les masques tomberont et la population s’apercevra que si les hommes ont changé, les politiques d’austérité, de stigmatisation des communautés, de précarité généralisée demeurent. Reste, pour nous, la tâche de les contrer, ces politiques, avec la même force que s’il s’agissait d’un gouvernement qui s’assumait de droite.

19/05/12

  • NOTAS
    ADICIONALES
  • [1Manuel Valls, Sécurité, la gauche peut tout changer, Paris, Editions du Moment, 2011.

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