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Argentine

Le score de Pino Solanas et du MST aux élections ã Buenos Aires ou comment faire tout un cinéma

25/07/2011

Les camarades du courant La Commune du NPA qui se retrouvent autour de Pedro Carrasquedo (64) et Jean-Paul Cros (34) ont récemment fait circuler un communiqué du Mouvement Socialiste des Travailleurs (MST) d’Argentine, auquel ils sont rattachés, au sujet du score électoral de Proyecto Sur (dont le MST fait partie) aux élections de Buenos Aires de début juillet. Certain-es de celles et ceux qui ont lu le communiqué, que nous reproduisons ci-dessous, ont dû penser que ce score de 13% révèle en lui même que les idées révolutionnaires gagnent du terrain ã Buenos Aires. Les plus électoralistes ont même dû se demander comment faire un score aussi excellent, obtenir des députés, des conseillers municipaux, etc. ?

Si l’on tient compte du fait que la capitale de l’Argentine est une agglomération où, un peu à l’image de Paris, les classes moyennes ont un poids sur-dimensionné (les travailleurs habitant souvent en banlieue) et où l’extrême gauche n’a presque jamais [1] fait de bons résultats aux élections, on pourrait alors légitimement s’interroger : le score de Proyecto Sur, présenté par le MST comme une force anticapitaliste et anti-impérialiste, signifierait-il que la capitale d’un des principaux pays d’Amérique latine connaît un virage ã gauche ? Il est fort peu probable que la réponse soit positive, puisque même si Buenos Aires est une ville dont l’électorat a toujours été malgré tout largement « progressiste » c’est la droite dure qui a gagné les élections au cours des dernières années.

La tactique électorale du MST serait-elle juste cependant ? Tout dépend de la vision que l’on a de Proyecto Sur et du bilan que l’on peut faire de l’appui donné par le MST ã Pino Solanas. Certains reconnaitront sans doute le nom du réalisateur argentin et se rappelleront certains de ses films, bien faits et dénonçant les dégâts des politiques néolibérales des années 1980 et 1990 notamment. Tout ceci ne fait pas cependant une politique anticapitaliste et encore moins révolutionnaire.

Une trajectoire politique qui en dit long…

Pino Solanas vient du péronisme [2] de gauche. Ce n’est qu’au cours des années 1990 qu’il commence réellement ã entrer en politique en étant élu député. Fondateur du Frente Grande qui se transformera plus tard en FREPASO (Front pour un Pays Solidaire), un courant politique opposé à l’ultra-libéralisme des années Menem et regroupant certains secteurs du péronisme dissident, la social-démocratie et le PC argentin. Solanas se désengage par la suite du FREPASO en raison de désaccords politiques avec Chacho álvarez, figure de proue lui aussi du FREPASO et futur vice-président du gouvernement De la Rúa - président qui fut forcé ã prendre la fuite en hélicoptère en décembre 2001 face à la colère populaire. Solanas revient par la suite sur le devant de la scène politique avec Proyecto Sur afin d’incarner une nouvelle opposition de centre-gauche au gouvernement des Kirchner. En 2009 il est candidat à la députation pour la ville de Buenos Aires, la capitale fédérale du pays et obtient 24% des suffrages. En 2007, Le Monde décrivait assez justement son projet de candidature aux présidentielles : « à la tête de Projet Sud, qui regroupe des socialistes, des syndicalistes et des représentants du centre-gauche, M. Solanas revendique ‘une plus grande démocratie, une profonde réforme fiscale et la récupération des ressources naturelles de l’Argentine’ ». De là ã en faire un pourfendeur du capitalisme, il faut faire preuve de pas mal d’imagination…

Qu’est-ce que Proyecto Sur ?

On pourrait néanmoins penser que Solanas n’est qu’un simple porte-parole et qu’en réalité Proyecto Sur va bien au-delà de sa tête de liste historique et que le courant défend un programme d’extrême gauche. Pour répondre à la première objection, il suffit de jeter un coup d’œil au site web de Proyecto Sur Solanas est plus qu’un simple porte-voix. C’est la figure centrale du courant, suffisamment importante pour en devenir même presque exclusive. Par-delà l’iconographie électorale de Solanas, qui montre son portrait partout, on découvre également qui sont les vieux routiers de la politiques argentine qui l’accompagnent : le Parti « Socialiste » Authentique (ni socialiste, ni authentique faudrait-il préciser), Mario Cafiero, qui est passé tant par le Péronisme que par le ARI (Affirmation pour une République Egalitaire) d’Elisa Carrió [3], mais jamais par l’extrême gauche, ou encore des bureaucrates syndicaux assez peu sympathiques, comme Fabio Basteiro [4]. C’est donc parmi tout ce beau monde que se retrouve le MST…

Pour ce qui est du programme du Proyecto Sur, là encore il suffit de le parcourir… pour se convaincre qu’il n’est pas plus anticapitaliste et anti-impérialiste que les films de Solanas des années 1990, qui sont au mieux altermondialistes. Sur le plan économique Proyecto Sur prône la récupération des ressources naturelles, le développement de l’industrie, la suspension du paiement de la dette extérieure (non pas le non-paiement, mais juste la suspension le temps d’un audit…), l’intervention au niveau du commerce extérieur et la défense d’une monnaie nationale forte. Au niveau politique Solanas et les siens se proposent de « démocratiser la démocratie » ã travers une nouvelle Constitution et la « construction d’un État souverain et démocratique ». Encore une fois, pour voir dans tout ce cinéma une once d’anticapitalisme, il faut être bon public…

Excellent score électoral de Proyecto Sur qui deviendrait la troisième force électorale d’Argentine ?

Le communiqué relayé par P. Carrasquedo et JP Cros ne fait pas dans la demi-mesure : « le fait d’avoir obtenu l’élection de quatre députés et de 14 conseillers municipaux est un succès considérable. Nous devenons ainsi la troisième force politique du pays ». C’est toujours dérangeant et rarement juste de considérer la force politique d’une organisation à l’aune de ses résultats électoraux, ã moins de verser dans l’électoralisme. Mais passons sur ce point. Les élections n’ont concerné que la ville-capitale de Buenos Aires. Par-delà son poids politique et démographique particulier, en tirer des conclusions aussi hâtive relève d’une imagination fertile. D’autant plus que si Proyecto Sur était la troisième force politique de la ville avec 13%, Solanas avait fait 11 points de plus (24%), sans le MST, en 2009. Faut-il en conclure que passer de seconde force électorale en 2009 (derrière la droite) ã troisième, relève d’une progression fulgurante ? Pourquoi qualifier le résultat de juillet de victoire ? Serait-ce parce que le programme défendu était d’extrême gauche ? Nous avons vu que non. Serait-ce donc seulement parce que le MST a obtenu des élus ?

Le Frente de Izquierda y de los Trabajadores (Front de Gauche et des Travailleurs), un front « sans principes » ?

Si l’on cesse de considérer les résultats électoraux comme une fin en soi, si on arrête de s’imaginer qu’obtenir tel ou tel siège de député ou de conseiller municipal est un objectif décisif, alors il est possible de discuter concrètement de pourquoi les révolutionnaires ont ã intervenir sur le terrain électoral. Selon le communiqué du MST, le Front de Gauche et des Travailleurs (Frente de Izquierda y de los Trabajadores [5]), coalition électorale constituée par les principaux partis d’extrême gauche se réclamant du trotskysme en Argentine, ne serait qu’un front « constitué sur des bases sans principes sinon celle de (…) faire obstacle » ã Proyecto Sur.

La base politique du Frente de Izquierda y de los Trabajadores au sein duquel se retrouvent le PTS et le PO notamment « se constitue en défense de l’indépendance politique des travailleurs face aux différents blocs capitalistes que sont le gouvernement, ses opposants bourgeois et les différentes variantes de centre-gauche. Il se constitue donc sur la base d’une orientation ouvrière et socialiste, d’indépendance de classe, en défendant un programme qui vise ã développer les mobilisations des travailleurs et des secteurs exploités contre le gouvernement et le patronat. Le Frente de Izquierda aspire ã être une référence politique pour ceux qui luttent pour l’indépendance des syndicats et l’expulsion de la bureaucratie syndicale et de leurs gros bras et pour l’indépendance de tout le mouvement populaire vis-à-vis du capital et de son État » [6]. Pour voir dans le Frente de Izquierda un front sans principes… il faut clairement en défendre d’autres.

Une autre politique électorale est possible

C’est donc sur cette base que s’est créé un front électoral qui met au premier plan les luttes ouvrières et populaires, qui s’oppose effectivement tant à la droite patronale qu’au kirchnérisme, ainsi qu’au centre-gauche réformiste incarné par Proyecto Sur, qui permet de mener une campagne militante et lutte de classe et de montrer que les travailleurs, à l’image de ceux de Zanon [7] mais d’autres également, peuvent et doivent faire de la politique… mais faire la leur, sans se contenter de se défendre ã un niveau syndical en laissant la politique aux patrons, aux péronistes ou aux politiciens de centre-gauche réformiste comme Pino Solanas.

Le Frente de Izquierda a certes obtenu des résultats modestes en termes de voix mais il permet de défendre une politique lutte de classe et révolutionnaire. Cette politique électorale non électoraliste ne se mesure pas en termes de pourcentages électoraux mais en termes d’impact militant. L’objectif n’est pas de troquer le programme pour obtenir plus de voix et plus d’élus mais d’influencer des secteurs entiers de l’avant-garde ouvrière, populaire et de la jeunesse. Cela fait au bout du compte des pourcentages moindres évidemment mais une campagne qui permet ã des milliers de travailleurs de s’emparer d’un instrument politique. Il n’est pas donc anodin si le gouvernement veut imposer une loi visant ã proscrire la participation de l’extrême gauche aux élections et non pas celle des formations de centre gauche intégrées au régime telles que Proyecto Sur...

Et si l’on veut parler d’élus… parlons du député ouvrier de Neuquén élu sur les listes du Frente de Izquierda

Nous n’avons rien contre les élus/es, bien entendu. Il s’agit juste de savoir si les scores électoraux que l’on fait sont le sous-produit d’une campagne politiquement juste, ou au contraire d’un positionnement électoraliste de candidat-e-s sur les listes de centre-gauche… Dans certaines conditions les révolutionnaires peuvent obtenir des élus. C’est notamment ce qui a eu lieu dans la province de Neuquén lors des élections régionales de mi-juin où le Frente de Izquierda a obtenu un siège de député qui sera occupé, par rotation, par deux ouvriers de Zanon et deux camarades enseignantes [8].

En raison de la configuration du rapport de force ã Neuquén, de la lutte exemplaire des travailleurs de Zanon depuis plus de dix ans et de la manière dont la campagne a été portée par le Frente de Izquierda, nous estimons que l’élection du camarade Alejandro López pour la première année de mandat a bien plus d’importance qu’un député obtenu en raison de son positionnement sur les listes de Proyecto Sur. L’élection de Neuquén démontre de surcroit que pour les révolutionnaires l’obtention d’élus ne peut être possible que lorsque cela est corrélé au développement de la lutte de classes et aux avancées subjectives du mouvement ouvrier. Le meilleur chemin de ce point de vue est de parier sur le développement de la conscience de classe, la recherche systématique de l’enracinement dans la classe ouvrière et la participation aux conflits ouvriers et populaires et non la tentation assez facile de diluer son programme au sein de la gauche réformiste afin d’obtenir des postes.

En guise de conclusion

Pour ceux qui connaissent le MST depuis longtemps et son orientation politique ne surprend pas outre mesure. Pendant plus de quinze ans le MST a maintenu un front permanent avec le PC argentin, Izquierda Unida, et ce jusqu’à ce que le PC passe avec armes et bagages du côté du gouvernement des Kirchner. Désormais, il essaye de trouver des alliés électoraux... parmi les secteur plus sympathiques de la bourgeosie : Si en 2007 le MST n’est pas entré dans Proyecto Sur ce n’était pas par manque d’envie mais tout simplement parce que Solanas ne voulait pas de lui. Au cours du conflit fiscal opposant en 2005 le gouvernement argentin aux gros patrons de l’agro-industrie et aux grands propriétaires terriens (« el campo »), le MST a même réussi ã prendre le parti des latifundistes, comme toute l’opposition de droite, par pur opportunisme politique. Tout cela est lié ã une orientation bien enracinée dans sa pratique militante, une pratique centrée fondamentalement sur les élections et qui s’éloigne de plus en plus de l’extrême gauche.

Nous savons bien que ce genre de dérive existe aussi au sein du NPA. Nous venons de connaitre une Conférence Nationale fin juin qui était précisément centrée sur ce point. La politique du MST argentin est plus ou moins celle que prône le texte B, Solanas pouvant faire office de Mélenchon. Néanmoins les camarades de la Commune, la section sœur du MST, se retrouvent au sein de la PF2 et du texte A. En défendant ouvertement le résultat obtenu par le MST (en fait par Proyecto Sur) en Argentine tout en maquillent son contenu. ils rentrent en contradiction ouverte avec les positions qu’ils défendent eux-mêmes en France et au sein du NPA. Car pour faire de Proyecto Sur un projet anticapitaliste et révolutionnaire, comme on l’a montré, il faut faire preuve de beaucoup d’imagination !

Le 17/07/11


Ci-dessous le communiqué envoyé par Pedro Carrasquedo (CPN - comité Mauléon 64) et Jean-Paul Cros (Comité PAF 34)

Elections ã Buenos Aires : 4 députés pour Proyecto Sur, dont Alejandro ! Le Secrétaire international, aux camarades des sections et courants, aux camarades du courant La Commune dans le NPA : Chers camarades,

Comme vous le savez, dimanche 10 juillet se sont déroulées les élections ã Buenos Aires, capitale de notre pays. Le Movimiento Proyecto Sur, que notre parti, le MST a intégré, a recueilli 13% des voix dans un contexte électoral au demeurant très difficile compte-tenu de la polarisation imposée par le gouvernement national et celui de la capitale. Dans un tel cadre, le fait d’avoir obtenu l’élection de quatre députés et de 14 conseillers municipaux est un succès considérable. Nous devenons ainsi la troisième force politique du pays et cela nous place désormais face à la responsabilité d’assumer cette position acquise en défense des travailleurs sur nos bases anticapitalistes et anti-impérialistes. Comme vous le savez, notre camarade Alejandro est désormais député et deux camarades du MST sont conseillers municipaux de la capitale. Cela signifie, nous en sommes tous conscients, un pas en avant considérable pour le parti. C’est une victoire que nous partageons avec vous et avec tout notre courant international, une victoire collective ã mette au compte de notre combat internationaliste et anticapitaliste. Chaque victoire, chaque pas en avant dans nos pays sont l’expression de notre combat ã tous, au-delà des continents et renforce la dimension internationaliste de notre mouvement. Soyez-en tous remerciés. Désormais, avec confiance, nous allons aborder la prochaine étape, celle des élections présidentielles dont le coup d’envoi est le 14 août prochain. Vive la classe ouvrière d’Argentine !

Vive les travailleurs et les peuples du monde entier !

Pour le secrétariat international

Chechi

Buenos Aires, le 10 juillet 2011 Nb : Le Frente de Izquieda (Front de gauche) qui regroupe PO-UIT-PTS sur des bases sans principes sinon celles de nous faire obstacle a recueilli…0,7% de voix. Ce qui ramène leurs prétentions premières à leur juste valeur…

    [1] En 2000, dans des conditions économiques et politiques particulières (crise économique depuis plusieurs anées et opposition au gouvernement de De la Rua, crise qui finira par le mouvement de decembre 2001), Izquierda Unida (MST+PC) a obtenu un peu plus de 4% et 3 conseillers municipaux, et le Parti Ouvrier 2% et 1 conseiller.

    [2] Le Péronisme est le courant qui revendique l’héritage de Juan Perón, politicien nationaliste bourgeois aux traits populistes qui a profondément marqué l’histoire de l’Argentine entre les années 1940 et 1970. L’actuelle présidente de l’Argentine Cristina Kirchner, ainsi que son prédécesseur et mari, Néstor Kirschner disparu il y a un an, se revendiquent eux-aussi du Péronisme.

    [3] Ex dirigeante du Partido Radical, l’autre composante historique du régime de bipartisme de la bourgeoisie argentine. En 1999 elle a soutenu Fernando De la Rua.

    [4] Sécretaire Général de la centrale syndicale CTA (Central de Trabajadores de la Argentina) dans la capitale argentine.

    [5] Le terme « izquierda » en Argentine comme dans le reste de l’Amérique latine se réfère non pas au centre-gauche mais à l’extrême gauche. Voir « Avoir une politique électorale non électoraliste ? C’est possible ! ».

    [6] http://www.pts.org.ar/spip.php?arti...

    [7] Zanon est une usine de carrelage dans le sud de l’Argentine, qui suíte ã une menace de licenciements massifs dans le contexte de la crise argentine de 2001 a été occupée et mise em route dans um cadre d’auto-gestion ouvrière, dans une expérience exemplaire qui dure jusqu’à aujourd’hui ET qui est devenue une réference pour la classe ouvrière argentine et au-delà .

    [8] A ces élections le MST n’a fait que 1,4% des voix.

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