FT-CI

France : Après les négociations du 11 janvier

A bas les accords de Flexisécurité signés par le Medef et les directions syndicales !

22/01/2013

Jean-Patrick Clech

« Gagnant-gagnant ». C’est ainsi que les médias ont présenté la négociation sur la « sécurisation de l’emploi » qui s’est conclue le 11 janvier et a été ratifiée par les trois principales organisations patronales et trois des cinq confédérations conviées ã discuter de ce qui devait être « un compromis historique ». « Gagnant-gagnant » pour le patronat et le gouvernement mais sur le dos des salariés, aurait-il fallu préciser, car cet accord, signé notamment par la CFDT, ouvre la porte ã un recul social majeur pour le monde du travail. Il bouleverse les rapports de forces sociaux, jusque-là cristallisés ã travers les conventions collectives de branche, pour transféré le centre de décision aux entreprises. Pour ce qui est de la CGT et FO, qui n’ont pas signé l’accord après avoir participé tout du long au cirque des négociations, il reste ã savoir ce qu’elles entendent faire pour empêcher la loi de voir le jour. Le rapport de force ã créer, pour cela, se jouera dans les entreprises, et dans la rue, et non en essayant de convaincre, comme l’ont évoqué Thibaut, Lepaon et Mailly, tel ou tel député de « l’aile gauche » du PS, de déposer un amendement pour aménager l’accord lorsque le texte de loi sera discuté en mars prochain.

« Ou t’es d’accord ou t’es viré ». Nouvel article 1 du Code du travail

Le contenu global de l’accord est placé sous le signe de l’alternative « ou tu es d’accord avec ta baisse de salaire, l’accélération des cadences, l’augmentation de la charge de travail, ou bien c’est Pôle Emploi ». C’est, en substance, le discours que pourront tenir désormais de façon tout ã fait légale les patrons dès qu’ils diront faire face ã des « difficultés du contexte économique ». Le cœur du texte, constitué de 28 articles, repose en effet sur deux volets : flexibiliser ã volonté et licencier plus facilement. Il suffit de passer en revue quelques uns des principaux articles pour s’en convaincre.

Des licenciements huilés et des salariés corvéables ã merci

Sur la question des licenciements, la procédure aboutissant ã un PSE sera encore plus allégée qu’à présent, réduisant l’ampleur des recours pouvant être déposés. Lorsque l’on sait la facilité avec laquelle Mittal a réussi ã manœuvrer, on peut s’imaginer ce que seront les plans sociaux à l’avenir. Il en va de même en cas de licenciement individuel.

En termes de reconfiguration des rapports au sein même de l’entreprise, le panorama est tout aussi effrayant. Les entreprises arguant faire face ã « de graves difficultés conjoncturelles » pourront baisser les salaires et/ou augmenter le temps de travail pour une durée de deux ans ã condition de s’engager à … ne pas licencier. Il suffira, là encore, de l’accord du ou des syndicat(s) majoritaires. A nouveau, les salariés opposés ã ce type d’accord auront tout ã fait le droit de gagner la sortie.
La soi-disant taxation des contrats courts (sauf l’intérim, les CDD de remplacement et le travail saisonnier)

Pour ce qui est des « contrats courts », dont la CFDT notamment avait fait son cheval de bataille, on est dans le domaine de la poudre aux yeux. Les cotisations d’assurance-chômage de certains CDD seront majorées, certes, ce qui a fait pousser des hauts-cris au patronat. Il n’en va pas de même en revanche pour l’intérim, les CDD liés ã des remplacements ou ã des activités saisonnières, ã savoir les secteurs le plus exploités et le plus exposés du prolétariat et qui représentent une fraction non-négligeable des travailleurs précaires.

Pour les travailleurs, les queues de cerise (et encore)

Les deux autres points sur lesquels les patrons ont fait achopper la discussion tellement les mesures leur semblaient confiscatoires avaient trait aux droits des travailleurs au chômage et à la généralisation de la complémentaire santé, à laquelle l’UPA notamment était opposée. Dans le cas des droits dits « rechargeables » pour les chômeurs, ces soi-disant nouveaux droits seront liés aux négociations sur la convention d’assurance-chômage qui devrait s’ouvrir courant 2013 et « ã condition de ne pas aggraver le déséquilibre financier de l’Unedic », déjà passablement mis ã mal par tous les passe-droits, abattements et autres exemptions dont bénéficient les employeurs. Pour ce qui est de la complémentaire santé, ce sera de toute façon au salarié, qui se sera encore plus usé la santé au travail, d’en payer la moitié.

Inutile de dire que l’accord a beau prévoir que dans les entreprises de plus de 5.000 salariés, il pourrait y avoir jusqu’à deux postes d’administrateurs élus au sein des travailleurs avec voix délibérative, il est clair pour tout le monde que cet accord est une machine de guerre contre les salariés. Il vise ã démanteler des pans entiers du Code du travail qui cristallisait ã sa façon la manière dont le patronat avait reculé, pour mieux sauver la paix sociale au final, à la suite des offensives ouvrières et populaires de 1936, de l’après-Guerre et de 1968. Alors certes il manque encore au patronat toute une batterie d’instruments pour remettre en cause bien d’autres acquis et conquêtes, de façon ã en arriver au niveau d’atomisation des rapports de travail instaurés par exemple en Allemagne au cours des gouvernements sociaux-démocrates de Schröder. Mais la nouveauté pour les accords de flexisécurité, c’est que cette attaque se fait aujourd’hui, comme en Allemagne avec l’Agenda 2010, avec la complicité active des syndicats les plus accommodants, dans la perspective de les intégrer plus encore à la cogestion des « couts » et comme courroies de la politique patronale au sein de l’entreprise. L’enjeu, c’est aussi d’intégrer toujours plus les syndicalistes à la gestion du capital et à légitimer et valider les choix des entreprises.

Quand la social-démocratie est plus efficace que la méthode Sarko

Du côté de Hollande, c’est une victoire pour l’Exécutif. C’est la démonstration que dans la phase actuelle le Medef peut faire davantage confiance aux socialistes pour avancer dans l’offensive contre les acquis sociaux et les conditions de travail et de vie des salariés qu’à la stratégie bonapartisante de Sarkozy, dont le coût social et politique était au final quasiment plus élevé par rapport à l’enjeu des contre-réformes proposées. Il suffit de songer au conflit des retraites. Mais encore une fois, si Sarkozy avait fait des « accords de compétitivité » son vœu le plus cher, Hollande l’a réalisé quelques mois après son arrivée au pouvoir. Comme pour la « TVA sociale », vilipendée par les socialistes au cours de la campagne, le gouvernement ne l’a même pas fait rentrée par la petite porte, mais avec tambours et trompette, au ministère du Travail, sous l’égide de Michel Sapin, fier de son coup.

Et pour ce qui est de l’efficacité de ces accords de « sécurisation de l’emploi », qu’elle se fasse à la sauce Sarkozy ou à la sauce socialiste, l’annonce de Renault de compression des effectifs sur l’ensemble des sites du groupe est là pour montrer combien il s’agit d’un jeu de dupes pour les salariés. Non seulement, pour prendre un exemple dans l’automobile, les travailleurs de Sandouville savent désormais qu’ils pourront être transférés ã Douai selon le bon vouloir des chefs et de la direction, mais en plus ils pourraient toucher moins, travailler plus et avec en prime des postes supprimés (en l’occurrence 7.500) dans les ateliers, dans les bureaux, sur les technicentres, c’est-à-dire une charge de travail encore supérieure pour celles et ceux qui restent.

Le gouvernement sait qu’il joue gros et les directions syndicales aussi…

Alors certes cette victoire ne résout pas la question pour les socialistes de la popularité de leur président, qui continue ã stagner sous la barre des 40% d’opinion favorable. Il est indéniable cependant que l’accord renforce la position du gouvernement. La CFDT a joué tout son rôle et est en passe de gagner ses galons de « meilleur ami des patrons » et des socialistes. Mais le problème majeur, c’est que les directions syndicales non-signataires sont également responsables du renforcement du tandem Hollande-Ayrault, quoiqu’elles en disent.

En participant du début à la fin au cadre des négociations, la CGT et FO ont validé leur légitimité. Que des syndicats négocient, lorsqu’il s’agit de discuter d’améliorations, même à la marge et mineures, des conditions de travail, de vie ou des salaires, il n’y a rien de plus naturel dans une logique syndicaliste. Mais dans le cadre des discussions sur la fléxisécurité (qui, soit dit au passage, a longtemps été un des crédos de la centrale de Montreuil), la différence majeure est que les syndicats dans leur ensemble ont discuté la base de ce qui ne pouvait être qu’une aggravation des conditions d’exploitation pour les salariés. Refuser le cadre de la négociation sur cette base aurait été la moindre des choses. Cela n’aurait pas empêché l’UPA, la CGPME et le Medef de signer avec la CFDT et ses amis. Mais cela aurait au moins servi ã entamer les conditions dans lesquelles le gouvernement crie aujourd’hui à la victoire politique sur le dos des travailleurs. Si en plus on rajoute ã cela l’offensive impérialiste au Mali, au sujet de les organisations syndicales gardent un mutisme qui s’apparente ã de la complicité, on comprend au final les ronds-de-jambes de Parisot, félicitant ã qui mieux-mieux Hollande pour sa gestion de la crise ses dernières semaines, et pourquoi les meilleurs amis du gouvernement sont, au final, des directions syndicales qui toutes, à leur façon, contribuent à le renforcer peu ou prou [1].

C’est dans les entreprises et dans la rue que ça va se passer, pas au Palais Bourbon

La question qui se pose aujourd’hui c’est comment lutter contre cet accord ? Pour les directions de la CGT et de FO, l’enjeu serait d’aller faire le tour des parlementaires de « l’aile gauche » du PS ou du FdG pour leur demander de modifier le texte qui, selon Ayrault, devrait être retranscrit tel quel dans la loi. Pour Didier Le Reste, ancien chef des cheminots cégétistes et actuel responsable du « Front des Luttes » au sein du FdG, « seule une interaction du mouvement syndical et du monde politique incarné par le FdG et ses parlementaires [permettra] d’élever le niveau de rapport de forces face à la crise » [2]. Et bien non : aucun amendement, même substantiel, ne permettra de rendre cet accord un tant soit peu favorable aux intérêts des travailleurs et de la jeunesse. En ne présentant des « solutions » à la crise qui ne sont que des modifications à la marge de l’offensive que nous subissons, la direction de la CGT finit par se retrouver dans une situation dans laquelle elle est forcée ã négocier des miettes. La seule solution, pour les « accords de flexisécurité », ce serait de les enterrer. Pour ce faire, c’est uniquement la mobilisation des travailleurs, par en bas, qui aura la capacité de faire ravaler son texte au gouvernement et au patronat.

En 1984, sous un gouvernement « socialiste » déjà , on avait voulu avancer les premiers éléments concrets de précarisation du travail. A l’époque, c’est la pression de la base qui avait fait reculer l’ensemble des confédérations syndicales, y compris la CFDT. Le fait qu’elle ait aujourd’hui signé, aux côté de la centrale chrétienne et celle de l’encadrement et des petits chefs, ne veut pas pour autant dire qu’il n’y ait pas de mécontentement, et surtout que plus rien ne peut se faire aujourd’hui.

C’est en ce sens que l’ensemble des équipes syndicales combatives, ã commencer par celles qui sont implantées dans des boites qui se bagarrent, auraient leur mot ã dire. Elles pourraient intervenir avec forces d’abord pour exiger des centrales qui se disent opposées à l’accord comme la CGT et FO, ou des structures qui disent y être contraires comme la FSU et Sud Solidaires, qu’elles soient conséquentes et appellent ã une réelle opposition. Ces équipes pourraient aussi préparer elles-mêmes les cadres de la mobilisation, dès aujourd’hui. Ce serait la meilleure des façons non seulement pour qu’il y ait la possibilité de se battre en mars. Ce serait également un outil pour construire cette coordination des boites en lutte contre les licenciements et les fermetures qui fait aujourd’hui tant défaut. L’extrême gauche, ã commencer par notre parti, aurait tout son rôle ã jouer dans cette dynamique ã mettre en œuvre, dans la plus grande unité, mais également la plus ferme exigence à l’égard des directions du mouvement syndical. Au moment où Le Pen essaie d’occuper le terrain, en dénonçant un « détricotage du Code du travail », alors que l’on sait combien l’extrême droite est la pire ennemie des travailleurs et du mouvement syndical, c’est l’occasion d’avancer une politique audacieuse contre ce gouvernement ami des patrons, de l’austérité et qui bombarde le Mali, mais également une orientation qui serait radicalement alternative ã celle de tous ceux qui, à la gauche de la gauche, ont une position ambiguë sur ces trois volets, voire un positionnement complice. Le temps presse et les combats urgents de demain se préparent dès aujourd’hui.

20/01/13

[1]

[2]

  • NOTAS
    ADICIONALES
  • [1Tout n’est pas réglé pour le gouvernement cependant. Plusieurs observateurs ont néanmoins noté qu’une fois passées les rodomontades actuelles, il sera assez difficile au gouvernement de défendre, au Parlement, les 28 articles de l’accord comme l’expression la plus légitime du monde syndical, d’autant plus qu’au moment de la discussion, il est fort probable que tant la CFTC que la CFE-CGC auront perdu leur statut en vertu de la loi Fillon de 2008 sur la représentativité, ã savoir le petit cercle des syndicats ã même de pouvoir signer des accords nationaux.

    [2« Négocier la casse du CDI, c’est non ! », L’Humanité, 11-13/01/13.

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