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Lutte contre l’exploitation et auto-émancipation des femmes à l’hôpital public
par : Courant Communiste Révolutionnaire - Plateforme Z dans le NPA , Marah Macna , Nina Kirmizi

28 May 2013 | C’est à la fin des années 1980, au plein cœur de l’ère mitterandienne qu’éclate l’un des plus grands mouvements du milieu hospitalier français. D’avril 1988 ã novembre 1988, les infirmières tiennent le haut du pavé et organisent grèves et manifestations d’ampleur pour défendre leur statut contre le décret Barzach : « Ni bonnes, ni nonnes, ni connes ! ». A (...)

Par Marah Macna et Nina Kirmizi

C’est à la fin des années 1980, au plein cœur de l’ère mitterandienne qu’éclate l’un des plus grands mouvements du milieu hospitalier français. D’avril 1988 ã novembre 1988, les infirmières tiennent le haut du pavé et organisent grèves et manifestations d’ampleur pour défendre leur statut contre le décret Barzach : « Ni bonnes, ni nonnes, ni connes ! ». A tous ceux, politiciens bourgeois et bureaucrates syndicaux, qui pensaient que cette profession ne pouvait qu’être passive et dominée, les infirmières viennent démontrer leur force et leur combativité.

« Ras la seringue ! » : quand un décret met le feu aux poudres chez les infirmières

En décembre 1987, lorsqu’est publié le décret Barzach, le milieu infirmier bourdonne déjà d’une grande colère. Les conditions de travail de celles que l’on surnomme parfois « les OS de la santé » sont en constante dégradation, alors même que leurs salaires n’ont pas été réévalués depuis plus de treize ans. Le décret de la ministre de la Santé, Michèle Barzach, vient mettre le feu aux poudres. D’après ce décret, il n’y aurait plus besoin d’avoir le bac pour entrer dans une école. Pour les infirmières [1], cela signifie que leur travail, déjà sous-estimé et pénible, devient un travail déqualifié.

Suivant l’exemple de leurs camarades infirmières de Grande-Bretagne en lutte contre les plans de restrictions budgétaires de Margaret Thatcher, les infirmières françaises commencent ã s’organiser au début de l’année 1988. Les revendications qui émergent petit ã petit dépassent largement le décret Barzach, et s’attaquent directement à la gestion capitaliste de la santé. Quatre revendications sont mises en avant : une hausse de 2000 F des salaires des infirmières, un même statut pour tous, un droit à la formation continue, de meilleures conditions de travail, et une politique d’embauche massive dans les hôpitaux. Au-delà des revendications sur leur statut et leur salaire, c’est aussi un droit ã travailler dans de bonnes conditions que réclament les infirmières. Finie la course aux soins, finies les conversations ã moitié entamée avec le patient, finis les ordres et contre-ordres des médecins, finies les « burn out » des infirmières et les équipes débordées : « ras la seringue ! » crient les infirmières.

Les infirmières : une mobilisation impossible ?

Pour autant, et malgré cette colère, construire le mouvement des infirmières ne fut pas une entreprise aisée. Débordée par des horaires de travail difficiles et sous-représentée dans les syndicats (moins de 5% à l’époque, et ce chiffre n’a pas beaucoup augmenté depuis), la grande majorité des infirmières n’a aucun espace pour pouvoir s’exprimer. Par ailleurs, il est évident que la forte féminisation de la profession accentue la situation difficile dans laquelle sont les infirmières pour se mobiliser. Entre les contraintes matérielles (enfants, « double journée de travail »...) et le discours idéologique du patriarcat dominant qui délégitime le discours des femmes, difficile de se faire entendre !

A l’hôpital, même si certains médecins et cadres s’expriment en faveur de leurs revendications, il y a bien peu d’établissement où ils mettent en place une solidarité effective pour soutenir les infirmières. Parmi les syndicats, aucun n’est prêt à la même combativité que les infirmières elles-mêmes, et certains vont même jusqu’à dire qu’il n’est tout simplement pas possible de faire grève pour une infirmière : l’un des responsables de FO parle « d’abandon des malades » et un autre de la CFDT explique qu’« on ne peut pas faire grève comme ça, on s’occupe d’hommes, de matériel humain »[Cité dans Les infirmières et leur coordination, 1988-1989, Danièle Kergoat, François Imbert, Hélène Le Doaré et Danièle Senotier, Paris, Editions Lamarre, 1992, p.48]. De manière générale, tout ce petit monde semble considérer que les infirmières, qui sont censée faire ce travail par « vocation », ont un esprit de sacrifice qui rend leur mobilisation beaucoup trop faible pour qu’on y accorde de l’importance. Comme si la volonté de bien faire son travail pouvait rendre « acceptable » ou « normal » de se détruire la santé pour cela !

Évidemment, la profession infirmière, tout comme de nombreuses professions de la santé, est placée dans une situation où l’arrêt total de travail peut mettre en danger la vie de certains patients. Il est difficilement pensable de déserter l’hôpital, ne serait-ce que parce qu’il faut pouvoir gérer les urgences. Pour cela, les infirmières mettent en place différents types de grèves, selon les situations dans les différents hôpitaux : la grève des examens médicaux (le service des examens non-urgents est bloqué), la grève administrative (aucune fiche administrative n’est remplie par le patient, ce qui fait que l’hôpital ne peut pas réclamer la facture : les soins sont donc données gratuitement) et la grève des soins (seuls les soins les plus urgents sont effectués).

Mais plus largement, ce qui permettra à la mobilisation de se lancer, et de dépasser toutes ces contraintes sera la création d’une Coordination nationale des infirmières, qui donnera des perspectives pour toutes les infirmières encore isolées.

La Coordination des Infirmières : pour dépasser les bureaucraties syndicales, les germes de l’auto-organisation

Pour un petit milieu regroupant des infirmières mobilisées en île-de-France il apparaît nécessaire de créer une autre forme d’organisation, pour permettre ã toutes les infirmières « syndiquées, non syndiquées, associées, non-associées[Peu syndiquées, les infirmières sont néanmoins un peu plus organisées dans des associations d’entraide locale.] et quelques syndicalistes de la CFDT, naît l’idée de créer ce qui deviendra la Coordination des Infirmières (au niveau francilien), puis la Coordination Nationale des Infirmières. Ils s’inspirent alors de la Coordination des cheminots, créée en 1986 contre le blocage des salaires à la SNCF. Le 11 avril 1988 est lancé l’Appel pour une Coordination infirmière.

Le mouvement s’appuie sur les assemblées générales organisées dans chaque hôpital. On y discute des problèmes vécus par les infirmières, des revendications ã mettre en avant mais aussi de l’organisation du travail dans l’hôpital pendant la grève. A partir de chacune de ces assemblées locales sont élu-e-s des délégué-e-s d’hôpitaux pour aller les représenter à la Coordination.

Un mois après l’Appel du 11 avril, elles sont plus de 200 infirmières, représentant plus de 60 établissements ã se réunir ã Paris. Mais c’est à la rentrée 1988, après les congés d’été, que le mouvement prend une réelle ampleur. Le 28 septembre, à l’appel de la Coordination, 80% des infirmières sont en grève. Plusieurs journées de grève de cette ampleur se succèdent pendant les mois de septembre et d’octobre. Elles renforcent la Coordination, qui devient alors Coordination Nationale le 8 octobre, en présence de 900 délégués représentant 400 établissements. La grève reconductible est votée ce jour-là , à l’unanimité.

Du côté des centrales syndicales comme du côté de l’État, la Coordination ne reçoit au départ que du mépris. La CGT et la CFDT tiennent ã garder leur statut d’interlocuteurs privilégiés vis-à-vis de l’État. Le porte-parole de la CFDT, Jean-Pierre Masson, assène à la télévision : « Pour négocier, il faut être élu ». L’État refuse quant à lui catégoriquement d’accepter la Coordination comme interlocuteur légitime. Mais face à la mobilisation, les quelques miettes qui sont données aux syndicats (8% d’augmentation de salaire) ne suffisent pas pour les infirmières. Elles poursuivent la mobilisation, grâce à l’organisation acquise par la Coordination.

Tout au long du mois d’octobre, des manifestations nationales ont lieu ã Paris. Le 13 octobre, 100. 000 infirmières défilent. Le ministre Claude Evin, qui a succédé ã Michèle Barzach, a fini par accepter de recevoir la Coordination, et promet une révision de la grille de salaire (500 F de plus en début de carrière, 1000F de plus en fin de carrière) et une petite politique d’embauche dans certains secteurs.

Par rapport aux revendications des infirmières, les propositions du ministère ne sont que des miettes. Pire, elles illustrent le profond mépris qu’inspirent les aspirations des travailleurs à l’Etat-patron : « On leur propose une grille de salaire, et ils répondent en racontant leur vie. Comment voulez-vous négocier ? » se plaint l’un des conseillers du ministre... Pour de nombreuses infirmières, le compte n’y est pas : « A quoi bon gagner plus, si on doit continuer ã galérer dans les mêmes conditions de travail ? » s’interroge une infirmière. La grève et les manifestations se poursuivent donc dans le courant du mois d’octobre.

Mais la grève est difficile. Pour ne pas déserter les patients, les infirmières travaillent ã tour de rôle, et s’épuisent entre la mobilisation d’un côté et leur travail à l’hôpital de l’autre. Bien souvent, soumises au régime du « service minimum », elles sont réquisitionnées par les hôpitaux : les grévistes, forcées de travailler, affichent leur mécontentement par un brassard noir. Cette combinaison est d’autant plus difficile que le choix des infirmières de ne pas proposer de revendications inter-catégorielles (aux autres travailleurs de la Santé) affaiblit leur capacité ã faire marcher la solidarité au sein de chaque hôpital.

Le 24 octobre, après renégociations, la CFDT, la CFTC et FO signent un protocole d’accord. Au mois de novembre, la grève s’essouffle. Seules les manifestations se poursuivent, avec le soutien d’une partie de la CGT, appelant à la reprise des négociations, refusée par Claude Evin. Pour parvenir ã faire tenir le mouvement dans la durée, la Coordination se constitue en association loi 1901 au début de l’année 1989.

A partir de ce début d’année 1989, et tout au long des années 1990, le mouvement des infirmières se bâtira sur les premières pierres posées par la Coordination de 1988. Au-delà des limites rencontrées par ce mouvement de base, la Coordination des infirmières fut la première démonstration de force de cette profession. Elle démontre les potentialités profondément subversives des mouvements de femmes travailleuses.

« Ni bonnes, ni nonnes, ni connes » : la révolte des femmes travailleuses

Par les formes de mobilisations et les revendications qui émergent dans la Coordination, c’est, en germe, toute l’organisation « normale » – c’est-à-dire sexuée – du travail qui est contestée par cette mobilisation.

Contre les discours qui minorisent leurs actions, les infirmières vont développer une réponse combative : « Ni bonnes, ni nonnes, ni connes ! ». Ni bonniches ã tout faire, ni religieuses prêtes ã se sacrifier, ni idiotes ã qui on ferait tout avaler, les infirmières réclament simplement ce qui leur est dû : un salaire, un statut, une reconnaissance de leur travail. Elles ne se sacrifieront plus sur l’autel de la gestion « raisonnable » de l’hôpital.

Par ce slogan, et par leur revendication de qualification de leur travail, les infirmières vont plus loin que la défense de leur unique sort. Profondément, au cœur de leur lutte, c’est aussi la vision dominante des métiers dits « féminins » qui est remis en cause. Pour tous ces métiers (infirmière, femme de ménage, ouvrière dans le textile, coiffeuse...), on fait souvent comme s’il n’y avait pas vraiment besoin de qualification ou de formation, et qu’il suffisait d’être dotée de qualités « féminines » pour les exercer : la douceur, l’habileté, la gentillesse, le calme, la compassion... C’est ainsi qu’on traite les infirmières, supposées avoir « naturellement » cette vocation. En réalité, toutes ces « qualités féminines » ne sont qu’une manière de déprécier le travail des femmes, de le déqualifier pour mieux l’exploiter, en imposant des conditions de travail intenables sous prétexte que ces femmes ont naturellement la « vocation » ã se sacrifier.[Voir sur le sujet : Se battre, disent-elles, de Danièle Kergoat, Paris, La Dispute, coll. « Le genre du monde », 2012, 353p.]

Par ailleurs, le mouvement lui-même a vu naître des remises en cause de l’organisation du travail à l’hôpital. De nombreuses infirmières profitent de ce mouvement pour critiquer un état de fait : la médecine de l’hôpital est la plupart du temps une médecine réparatrice, qui ne fait que panser les blessures et recoudre les plaies, c’est ã dire une médecine partielle, qui ne résout pas les problèmes multiples rencontrés par le patient. Les infirmières, qui sont plus proches des malades que ne le sont les médecins, revendiquent le fait de mettre en place une médecine préventive et globale.

C’est le rôle même que prend l’hôpital dans notre société qui est remis en question. Comment répondre aux misères, aux souffrances créées par cette société ? Comment l’hôpital pourrait-il rester un îlot de bien-être, alors que dès leur sortie, les patients sont confrontés aux mêmes problèmes : un travail aliénant qui détruit le corps et l’esprit, les problèmes d’argent, les problèmes de logement, etc... Par exemple, l’un des problèmes posés par certaines membres de la Coordination est celui des patients trop malades que l’hôpital renvoie chez eux lorsqu’il ne peut plus rien faire : que deviennent ces malades, et sur qui, ã part leur famille, et plus précisément les femmes de leur famille, reposent désormais cette charge ?

D’ailleurs, dès le début du mouvement, émerge une prise de conscience de la part des infirmières, celle d’être soumise ã une oppression spécifique en tant que femme : « Quand on a fait la première assemblée générale, en juin, il n’y a que les mecs qui ont pris la parole, parce qu’ils avaient l’habitude. [Avec une camarade infirmière], on s’est dit : « Mais c’est pas possible. […] On est une Coordination infirmière, on a des projets, on est 80% de femmes dans cette profession, et aujourd’hui il n’y a que des hommes qui ont pris la parole ! »[Entretien d’une infirmière citée dans Les infirmières et leur coordination, 1988-1989, Danièle Kergoat, François Imbert, Hélène Le Doaré et Danièle Senotier, Paris, Editions Lamarre, 1992, p.135.]. Pour lutter contre cela, la Coordination décide que pour représenter les infirmières, seules des femmes pourront être désignées comme porte-paroles, seules des femmes pourront faire partie du service d’ordre.

Parallèlement, au cours des mois d’été 1988, elles s’organisent pour prendre en charge collectivement l’apprentissage de la parole publique. Ici, la prise de conscience de l’exploitation spécifique à leur profession, et la résistance qui lui est opposé, se chargent d’une remise en cause beaucoup plus globale, de la domination patriarcale qui s’exerce dans la société. Cet exemple, nous montre que les conditions de la mobilisation, ici la nécessité de la prise de parole et de la représentation d’un secteur sur-féminisé, obligent ã dépasser les barrières mentales qui s’imposent ã elles, ã trouver des moyens pour les combattre. Ces mesures, bien que formelles, ont permis l’émergence auprès du grand public de l’image subversive d’un collectif de femmes travailleuses, luttant pour leur émancipation des figures patriarcales et patronales.

Le mouvement des infirmières est venu ébranler les rapports de notre société à la santé et au travail.

De nombreuses infirmières mobilisées ne se disaient pas féministes, et pourtant leur combat pouvait résonner pour toutes les femmes travailleuses. En exigeant la reconnaissance d’une qualification professionnelle, en proposant une réflexion sur l’amélioration globale de la prise en charge médicale, elles ont remis en cause la division sexuelle du travail sur laquelle s’appuient les employeurs – « dévouement féminin » et subordination – pour mieux les exploiter. De fait, leur mouvement met au premier plan le rôle que les femmes travailleuses ont ã jouer, non seulement dans la subversion de ce système patriarcal, mais également dans le renversement de l’hôpital capitaliste sur lequel il s’appuie. Mais pour cela, pour que ce mouvement de fond parvienne ã maturité, il a manqué certainement aux infirmières la capacité ã se lier profondément avec les autres secteurs de la société.

Corporatisme et tiédeur des organisations : un mouvement qui s’essouffle

La Coordination des infirmières fut beaucoup critiquée pour son corporatisme. En effet, une partie des infirmières a toujours revendiqué le fait qu’elles ne parlaient qu’au nom des infirmières, et qu’elles voulaient ã tout prix ne pas « se faire noyer » dans les revendications des autres professions, y compris celles des hôpitaux. Les aides-soignantes, qui pourtant sont très proches du travail des infirmières au quotidien, ne furent pas invitées ã participer à la Coordination. De fait, il y a de nombreuses difficultés ã organiser la grève localement, ã gagner en surface de mobilisation, pour donner à la grève un caractère plus stratégique et faire aboutir les revendications. Lorsque le mouvement s’essouffle, les divisions s’accentuent entre les partisans d’une lutte « catégorielle » (uniquement pour les infirmières) et l’aile gauche du mouvement (partisans de l’alliance avec les autres secteurs)[Le mouvement des infirmières et ses divisions donnèrent naissance ã deux organismes : la Coordination Nationale des Infirmières, qui se constitue en association loi 1901, et la CRC Santé (Coordonner, Rassembler, Construire), issu de l’exclusion de certains militants CFDT suite à leur participation au mouvement des infirmières, et qui deviendra Sud-Santé-Sociaux.].

Par ailleurs, parmi les freins à la convergence des luttes au sein des hôpitaux, il faut bien entendu tenir compte de l’absence, puis de la tiédeur de l’engagement des centrales syndicales. Peu « intéressées » par la révolte des infirmières – décidément trop femmes – et encore marquée par l’idéologie patriarcale dominante, celles-ci n’ont fait au mieux que suivre un mouvement dont elles ne contrôlaient rien (de nombreuses fois, c’est la situation dans laquelle s’est trouvée la CGT), au pire se féliciter de négociations auxquelles la Coordination n’avait même pas été invité. De la même manière, l’extrême-gauche semble ne pas avoir été en capacité de promouvoir un autre son de cloche, de convaincre sur un autre programme dénué de corporatisme, alors même que des militants (de la LCR principalement) étaient impliqués dans le mouvement.

A la recherche d’une solidarité de classe contre l’hôpital capitaliste

Malgré la ténacité de la lutte, la « sympathie » de la population et des patients envers le mouvement, qui a abondamment été montrée par les journaux télévisés de l’époque, n’a pas été rendue concrète : ni par la mise en place d’une caisse de grève en direction des patients et des familles solidaires, ni en intégrant au mouvement, d’autres professionnels de la santé, tout autant touchés par la dégradation des conditions de travail du milieu hospitalier, et qui auraient pu aisément se mobiliser sur des mots d’ordre commun.

Les revendications des infirmières ne manquaient pourtant pas de liens avec les revendications populaires. La mobilisation contre le délabrement organisé des conditions de travail au sein de l’hôpital public, avec un sous-effectif permanent des équipes, le manque cruel de moyen (lit, médicament, chambre), l’augmentation du risque d’erreur médicale, sont des revendications du secteur des soignants, qui se retrouvent au-delà des infirmières, mais elle pose également la question d’une lutte pour l’accès à la santé pour tous.

Ce mot d’ordre peut trouver un écho certain au sein des secteurs les plus stratégiques de l’industrie : comme chez les travailleurs de Goodyear, qui se sont battu pour faire reconnaître la responsabilité de l’entreprise dans la mort de plusieurs ouvriers, après des années d’inhalation de produits toxiques utilisés dans la fabrication des pneus [2], ou chez les travailleurs de l’automobile, abîmés par des année sur la chaîne, et dont certains sont poussés au suicide du fait des méthodes de harcèlement et de pression imposé par l’ordre patronal. Il faudrait pour cela articuler la remise en cause de la gestion capitaliste de santé publique dans les hôpitaux, ã celle d’un système qui exploite et détruit la santé des travailleurs. Ce n’est que de cette manière là que pourra s’organiser une réelle solidarité de classe contre l’organisation capitaliste de la santé. Et c’est ce dont ce mouvement a fait défaut.

La lutte des infirmières pour défendre leur statut est une lutte légitime contre l’exploitation qu’elles subissent au quotidien. Mais elles ne peuvent parvenir ã faire aboutir leurs revendications, ni en tant que femmes, ni en tant que travailleuses, si elles restent isolées. Allier les autres secteurs de la classe ouvrière à la prise en charge de la santé pour tous n’est pas seulement légitime. C’est aussi une question stratégique pour construire un mouvement véritablement organisé à la base, ã même d’imposer un rapport de force qui leur soit favorables.

Ni pigeonnes ! Aujourd’hui, la relève des infirmières ?

Tout au long de la décennie 1990, leur mouvement tentera diverses formes d’action [3]. Les petites victoires accumulées pendant ces années de lutte n’ont pour autant pas réussi ã modifier en profondeur les conditions de travail des infirmières. Manque de moyens dans les hôpitaux, isolement des infirmières, effectifs trop faibles, horaires surchargés… L’offensive néo-libérale sur les hôpitaux ne s’est pas arrêtée à la porte des années 2000, loin de là . Déjà en 2007, les étudiants infirmiers s’étaient mobilisés pour la reconnaissance de leur diplôme (diplôme ã Bac +3 considéré comme Bac+2).

A l’automne dernier, une nouvelle vague de mobilisation a été lancée, autour d’un appel diffusé sur facebook. Le slogan de 1988 est repris et actualisé à la sauce 2012 : « Ni bonnes, ni nonnes, ni pigeonnes ! ». Après le mouvement des soi-disant « pigeons », qui contestaient la mesure (bien vite abandonnée) du gouvernement Hollande pour l’imposition du capital au même titre que celle du travail, les infirmières rappellent qui sont les vrais « pigeons » du système capitaliste : les travailleurs et travailleuses exploitées, dont les infirmières !

Au cours des mois derniers, ce sont les personnels infirmiers, aides soignants, médecin des services d’urgence qui se sont mis en grève ã Pontoise [4], ã Rambouillet [5], qui se mobilisent ã Poissy et ã Maison-Laffite pour dénoncer les plans de réorganisation et le sous-effectif structurel, tout en continuant ã travailler du fait de l’avis de réquisition. Même si ces mouvements de débrayage et de mobilisations restent ponctuels et isolés, ils montrent que la grogne au sein du secteur de la santé n’a pas désemplie depuis l’époque de la Coordination infirmière, et présage de s’accentuer avec l’accentuation de la crise capitaliste et sa traduction par des coupes sévères dans le budget de la santé.

L’histoire du mouvement des infirmières n’est donc pas encore enterrée. Elle doit aujourd’hui s’appuyer sur cet héritage de lutte et d’auto-organisation pour relever la tête et renverser le système de la santé capitaliste.

 

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