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« Basculement du monde » ou énième « basculement théorico-stratégique » ?
par : Courant Communiste Révolutionnaire - Plateforme Z dans le NPA

27 May 2012 | Dans ses « Notes préparatoires à la discussion » pour la réunion du « Comité International de la Quatrième Internationale » François Sabado considère, ã propos de la crise économique actuelle qui dure depuis quatre ans, que « sa spécificité, c’est sa conjonction avec un basculement du monde (...)

Par Juan Chingo

Dans ses « Notes préparatoires à la discussion » pour la réunion du « Comité International de la Quatrième Internationale » [1] François Sabado considère, ã propos de la crise économique actuelle qui dure depuis quatre ans, que « sa spécificité, c’est sa conjonction avec un basculement du monde ».

Il signale qu’il ne s’agit pas d’une question secondaire ou passagère puisque selon lui « ce n’est pas un changement ou un déplacement conjoncturel avec un retour à la normale, après la crise… C’est un changement où l’Occident - Europe et Etats-Unis- qui a dominé le monde depuis la découverte de l’Amérique, perd son hégémonie au profit de nouvelles puissances émergentes ou de vielles puissances qui retrouvent leur force quatre ou cinq siècles après ».

Une affirmation hâtive et sans fondements

Il est évident que dans la crise capitaliste actuelle, deux crises s’entrecroisent avec d’un côté la crise économique et de l’autre la crise de l’hégémonie nord-américaine -et celle du projet de l’UE- sur un fond de grande diversité des réalités régionales. Il suffit de songer, ã ce propos, à l’émergence de la Chine dans le Sud-est asiatique, au renforcement du Brésil en Amérique latine, ou encore au resurgissement de la Turquie dans le Proche-Orient et de l’Iran dans le Moyen-Orient et dans le Golfe (produit de l’échec militaire des Etats-Unis en Irak) ou du retour sur le devant de la scène de la Russie, après son recul dans les années 1990. Parallèlement, il est vrai également qu’il y a stagnation des pays de la « Triade » (Etats-Unis, UE et Japon). Ce sont les principales victimes des premières phases de la crise, qui coïncident avec une plus grande interaction des pays semi-coloniaux et dépendants (ou encore des « économies intermédiaires », selon certains spécialistes). Mais à la différence des expériences passées et des processus de libération nationale, ces interactions se développent en étroite collaboration avec les multinationales des pays impérialistes avec lesquelles les bourgeoisies des pays dits « émergents » ont resserré leurs liens comme jamais.

Ce que dit Sabado est fondamentalement différent. En reprenant ã son compte les théories qui parlent du XXIe siècle comme du siècle de l’hégémonie chinoise ou d’une marche vers « un monde multipolaire », sa thèse va encore plus loin, sans pour autant étayer son raisonnement de données scientifiques. De deux choses l’une. Soit « le basculement du monde » s’est déjà produit et alors on serait face ã un changement pacifique de puissance hégémonique, soit ce « basculement du monde » est en train de se produire et donc cette dispute pour l’hégémonie mondiale actualise l’époque de crises, guerres et révolutions.

Si on répond par la première hypothèse, cela revient ã renouer avec la théorie de « l’ultra-impérialisme » de Karl Kautsky, ã savoir la primauté de l’économie, sans prendre en considération le fait que la gestion politique et sociale de la reproduction du capital à l’échelle mondiale exige l’usage de la force [2]. C’est précisément ce que font les Etats-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. De son côté, la bureaucratie chinoise n’est ni prête ni ne prétend dans un futur proche ã exercer une telle fonction.

Si l’on adhère à la seconde hypothèse, (même si Sabado affirme dans son texte que les Etats-Unis conservent encore l’hégémonie politico-militaire [3]), alors il faudrait tirer de façon conséquente les conclusions d’une telle affirmation. Comment croire que Washington renoncera sans ciller ã sa stature de puissance dominante ? Il est vrai que les Etats-Unis sont en retrait par rapport à la décennie précédente. Il s’agit-là d’une des conséquences de la banqueroute étatsunienne dans les guerres d’Irak et d’Afghanistan et de la perte d’influence de Washington dans le cadre du « printemps arabe ». Mais de là ã penser que les Etats-Unis n’essayeront pas de reprendre le terrain perdu, avec les conséquences que cela implique, se révèle d’une ingénuité assez incongrue pour un dirigeant aussi expérimenté que Sabado. C’est pour cela que son affirmation selon laquelle « l’objectif [des Etats-Unis], c’est maintenant de se préparer ã renforcer leur présence comme puissance pacifique », est non seulement infondée mais extrêmement dangereuse. En effet, la dynamique sera tout ã fait contraire comme l’attestent les continuelles guerres auxquelles Washington participe depuis la fin de la « Guerre Froide » ou le simple fait que son budget militaire est de loin supérieur ã ceux des autres pays du globe [4].

Nous allons tenter de démontrer comment cette affirmation infondée et hâtive minimise les contradictions qui sont posées dans les faits pour que le « principal pays émergent », le soi-disant « impérialisme naissant », la Chine, devienne véritablement un pays impérialiste et dispute l’hégémonie aux Etats-Unis, qui connaissent, certes, un certain déclin. La thèse défendue par Sabado exagère certaines tendances de la réalité et en néglige beaucoup d’autres, à l’image des faiblesses intérieures aiguës de la Chine, qui vont mettre à l’épreuve le « miracle chinois ». Il présente également une analyse unilatérale des racines de la crise en Europe, où se trouvent pourtant les principaux groupes du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale (SU).

Quand la doctrine du « réalisme offensif » de la géopolitique bourgeoise rend mieux compte de la réalité que l’analyse marxiste

Nous ne ferons pas ici une analyse de cette doctrine et des limites de sa structure théorique. A ce propos, nous renvoyons à l’excellent article de Peter Gowan paru dans la New Left Review, « A calculus of power » [5]. A la fin de celui-ci, Gowan analyse le vaste ouvrage de John Mearsheimer, The Tragedy of Great Power Politics [6], et souligne combien « la gauche pourrait apprendre beaucoup plus de cet ouvrage que de beaucoup d’autres traités sur les futures merveilles du nouvel ordre mondial ».

Voyons donc comment Mearsheimer analyse l’évolution des rapports entre la Chine et les Etats-Unis. A l’encontre des visions qui ne tirent aucune conséquence d’une montée régionale de la Chine, il est catégorique. « Une montée de la Chine, dit-il, (…) est susceptible de conduire ã une concurrence sécuritaire entre la Chine et les Etats-Unis, avec un potentiel considérable de guerre. En outre, la plupart des voisins de la Chine, dont l’Inde, le Japon, Singapour, la Corée du Sud, la Russie, le Vietnam -et l’Australie- s’uniraient aux Etats-Unis pour contenir le pouvoir de la Chine. Pour dire les choses crûment : la Chine ne peut pas se développer en tant que puissance pacifiquement. Il est important de signaler, cependant, que je ne suis pas en train de dire que le seul comportement de la Chine conduira ã une concurrence sécuritaire. Les Etats-Unis sont aussi susceptibles d’agir de façon agressive, ce qui accroît encore les perspectives de troubles dans la région Asie-Pacifique » [7].

Cela ne veut pas dire qu’il voit cet affrontement comme imminent, surtout parce qu’à la différence de ces analyses marxistes qui s’emballent trop vite, Mearsheimer affirme qu’aujourd’hui la Chine n’est pas encore suffisamment puissante militairement et qu’elle n’est pas en mesure d’opter pour un affrontement avec Washington, malgré ses dépenses militaires croissantes. En effet, « considérons ce que fait la Chine actuellement. Elle est en train de construire des forces militaires qui ont une capacité significative de projection de puissance (…) Par exemple, les Chinois sont en train de construire une force navale qui peut projeter sa puissance dans ce qu’on appelle la ‘seconde chaîne d’îles’ du Pacifique occidental. Et ils annoncent aussi qu’ils prévoient de lancer une force navale capable d’opérer en mer d’Arabie et dans l’Océan Indien. Pour des raisons bien compréhensibles, ils veulent être capables de protéger leurs lignes maritimes et ne pas dépendre en la matière de la marine américaine. Pékin ne possède pas aujourd’hui une armée formidable et n’est certainement pas en mesure d’affronter les États-Unis. Cela ne veut pas dire que la Chine est un tigre de papier, mais en tout cas, Pékin n’est pas capable de jouer les trouble-fêtes, même dans la région Asie-Pacifique. Cependant cette situation est appelée ã changer significativement dans le temps, et il n’est pas improbable que la Chine se doterait alors d’une capacité offensive plus significative. Le moment venu, nous verrons comment le pays évoluera vis-à-vis du statu quo. Mais aujourd’hui nous ne sommes pas en mesure de prévoir avec force détails comment la Chine se comportera dans le futur, parce qu’elle a des capacités très limitées pour agir de façon agressive » [8].

Mais si la Chine continue ã se développer et se trouve en capacité de maîtriser ses contradictions sociales immenses, -ce que la théorie du « réalisme offensif » laisse de côté et que nous analyserons plus loin dans cet article- Mearsheimer prévoit que « la Chine agisse de la même manière que l’ont fait les États Unis au cours de leur longue histoire. En particulier, je pense que la Chine essaiera de dominer la région Asie-Pacifique de la même façon que les Etats-Unis dominent les Amériques. Pour de bonnes raisons stratégiques, la Chine essaiera de maximiser l’écart de force entre elle et ses voisins potentiellement dangereux comme l’Inde, le Japon et la Russie. La Chine tentera d’être assez puissante pour que personne ne soit tenté de la menacer… Pékin voudra dicter ce qui est acceptable ou non ã ses voisins, de la même façon que les Etats Unis ont clairement montré qu’ils étaient les maîtres dans les Amériques. Acquérir une hégémonie régionale est sans doute le seul moyen pour la Chine de récupérer Taïwan. Une Chine beaucoup plus puissante pourra sans doute aussi essayer d’éloigner les États-Unis de la région Asie-Pacifique, de la même façon que les États-Unis ont expulsé les grandes puissances européennes du Centre et du Sud du continent américain au XIXsiècle. Nous devons nous attendre ã une nouvelle Doctrine Monroe à la chinoise, comme le Japon impérial le fit dans les années 1930. Et quelle sera la réponse des États-Unis aux velléités chinoises de dominer l’Asie ? Jusqu’à présent, l’histoire a montré clairement que les États-Unis ne tolèrent pas de concurrents. Comme on l’a vu au XXe siècle, ils sont déterminés ã rester la seule puissance hégémonique régionale. C’est pourquoi on peu s’attendre ã ce qu’ils fassent tout pour contenir la Chine et en dernière instance, l’affaiblir jusqu’à ce qu’elle ne soit plus en mesure de dominer l’Asie. En substance, les États-Unis agiront probablement à l’égard de la Chine, comme ils ont agi à l’égard de l’Union Soviétique durant la Guerre Froide » [9].

Preuve que tout cela ne relève pas de la pure spéculation, on peut évoquer la réorientation de la politique étrangère des Etats-Unis ainsi que les différentes actions des voisins de la Chine en Asie. Dans le premier cas, le 5 janvier 2012, le président Barack Obama a annoncé son nouveau tournant stratégique, exprimé dans un document de huit pages intitulé « Soutenir le leadership mondial des Etats-Unis : une priorité pour la défense du XXIe siècle ». Obama a déclaré que Washington considérait comme close l’époque des guerres longues de la dernière décennie qui ont signifié un saut dans le déclin nord-américain, avec la défaite militaire stratégique des Etats-Unis en Irak (dont c’est l’Iran qui tire les marrons du feu, sans jamais avoir dû tirer un seul coup de feu) et bien entendu l’enlisement en Afghanistan. L’échec de la stratégie néoconservatrice de remodeler le monde de façon agressive a obligé Obama ã opérer un réajustement pour se concentrer sur la région Asie-Pacifique avec un objectif triple : contenir la Chine, diviser les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) et « séduire » l’Inde.

Ce tournant stratégique des Etats-Unis s’accompagne au niveau régional, avant comme après les déclarations officielles d’Obama, d’un certain nombre de mouvements diplomatiques et militaires. Ainsi, en octobre 2008, l’Inde et le Japon ont signé une « Déclaration de Sécurité Commune », dans une large mesure motivée par la crainte de la puissance grandissante de la Chine. Tout au long de la dernière décennie, l’Inde et les Etats-Unis sont devenus des partenaires proches après une période plus conflictuelle pendant la Guerre Froide. En juillet 2010, l’administration Obama a annoncé une reprise des relations avec les forces spéciales indonésiennes, malgré une lourde histoire d’abus contre les Droits de l’Homme. Singapour, de son côté, ville-Etat située sur le détroit de Malacca, une passe maritime fondamentale pour le commerce extérieur ainsi que pour l’acheminement du pétrole vers la Chine, continue de resserrer ses liens, pourtant déjà fort étroits avec les Etats-Unis. C’est ce qui explique la construction d’un port en eaux profondes dans sa nouvelle base navale de Changi, ce qui permettrait à la marine étasunienne d’utiliser un porte-avions hors de Singapour en cas de besoin. On songera également à la décision récente du Japon au sujet du stationnement des troupes américaines ã Okinawa afin de répondre aux inquiétudes de Tokyo par rapport aux ambitions de Pékin. On peut également penser à l’accroissement de la présence militaire en Australie où Washington compte envoyer d’ici ã 2016 2500 marines, ou encore à la récente ouverture diplomatique en direction de la Birmanie où Hillary Clinton s’est rendue. Ces mouvements sont vus par les experts ã Pékin comme une politique de « containment » [contention] ou « d’encerclement » pur et simple de la Chine.

Comme on peut le voir clairement, en dépit d’une certaine perte de vitesse, Washington essaye de réunifier ses alliés et de resserrer ses liens avec eux afin de faire sérieusement obstacle ã ce qui devrait être « l’impérialisme en formation », ã savoir la Chine.

Les contradictions internes de la Chine : l’épée de Damoclès de Pékin

Face à la possibilité d’une concrétisation d’une « montée impérialiste » de la Chine qui placerait Pékin face aux contradictions externes que nous venons d’évoquer, une analyse marxiste sérieuse devrait poser la question des fondements du « miracle » chinois et des conditions de possibilité de la continuité de celui-ci dans la prochaine période. Bien que Sabado signale certaines contradictions du modèle de développement chinois [10], aucune ne l’amène ã remettre en question la thèse centrale qui traverse tout son texte.

Cependant, les obstacles économiques, politiques et sociaux que la Chine doit surmonter pour passer ã un nouveau stade de développement sont énormes et risquent de transformer cet immense pays en l’un des principaux centres de la lutte de classes au XXI siècle.

D’un point de vue sociopolitique, la Chine a exploité deux avantages centraux ayant permis l’avènement de ce fameux « miracle ». Il y a, d’une part, le développement décentralisé et la recherche d’investisseurs étrangers par les autorités locales afin de favoriser la croissance économique locale. D’autre part, on songera à l’importance du Parti-Etat qui dirige la Chine d’une main de fer, réprimant les aspirations des travailleurs et les revendications sociales et sociétales. Comme le note le spécialiste chinois Ho-fung Hung, « ces deux processus, une fois engagés sur la vaste échelle démographique et géographique de la Chine, feront facilement de la Chine le centre le plus dynamique pour l’accumulation capitaliste dans le système mondial. Mais ce même cadre sociopolitique est aussi la source du déséquilibre et de la vulnérabilité en Chine. Tandis que la centralisation de la gouvernance économique accélère le surinvestissement, une polarisation sociale, peu prise en compte, comprime la croissance de la consommation interne. Ce déséquilibre est particulièrement handicapant quand on compare le modèle de développement chinois avec celui des autres tigres asiatiques ã des stades de développement similaires » [11].

La centralisation, dans les autres expériences de développement capitaliste dans la région, que ce soit au Japon impérialiste, en Corée du Sud ou ã Taïwan, a permis une rapide et efficace répartition des ressources financières et des ressources en général. C’est ce qui a favorisé la croissance non seulement dans les premiers stades de développement, mais aussi dans les périodes suivantes de progression économique. Dans le cas de la Chine, au contraire, la décentralisation accentue le problème du surinvestissement, ce qui fait que les régions agissent da façon planifiée seulement au niveau local. Au niveau national cependant, ces efforts donnent lieu ã une concurrence anarchique entre les régions. Le résultat de cette situation est la construction, sans aucune coordination, de capacités de production et d’infrastructures redondantes, ce qui aggrave l’appétit de profits des grandes multinationales aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Chine pour ne pas rester en marge de la course à la croissance chinoise.

Les conséquences de cette surcapacité de production sont profondément négatives. Déjà en 2009, une étude de la European Union Chamber of Commerce in China signalait que « la sous-utilisation d’industries en surcapacité signifie que des ressources sont gaspillées. Les entreprises dont la capacité de production excède la production effective sont forcées de réduire leurs coûts dans le but de conserver des marges de profit. Et souvent réduire les coûts n’est pas suffisant. Des entreprises dans cette situation pourraient se sentir obligées d’aller plus loin, sans égard pour les standards de santé, de sécurité et d’environnement, et en circonvenant aux lois sociales et au droit du travail. En termes pratiques, la surcapacité contribue ã réduire la hausse des salaires, ce qui pourrait accentuer les inégalités entre provinces, auquel cas le segment des bas salaires serait le plus touché. Comme les entreprises en surcapacité souffrent d’un taux de profit bas, elles manquent de liquidités pour des projets de recherche et développement, ce qui conduit ã moins d’innovation. Puisque, en conséquence, ces entreprises ne peuvent améliorer leur chaîne de valeur, elles sont forcées d’augmenter encore plus leur capacité, dans l’espoir d’augmenter leur compétitivité en général. Ceci représente un obstacle général dans la quête du gouvernement vers une économie à la fois innovante et soutenable » [12].

Mais dans le cas chinois, cette crise de suraccumulation ne se résout pas avec l’élimination des capitaux les moins productifs comme c’est le cas habituellement dans le capitalisme. Pour des raisons économiques et sociales liées ã son modèle de développement, c’est le contraire qui se produit. Comme le remarque Ho-fung Hung, « ã cause du sous-développement des marchés financiers, il est difficile pour les entreprises de réorienter leur épargne pour investir dans les nouveaux secteurs en manque d’investissement et qui offrent des profits plus élevés, ce qui restreint leurs choix ã des investissements fixes dans leurs propres secteurs. De surcroît, des grandes banques publiques encouragent ces investissements par des taux d’emprunts faibles, plutôt que de discipliner ces entreprises et de les détourner de leurs engagements excessifs sans retours importants… Par contraste, les entreprises privées, même les plus prospères, sont désavantagées pour obtenir un soutien financier des grandes banques publiques. L’ironie qui fait que des entreprises publiques déficitaires puissent obtenir du crédit plus facilement que des entreprises privées profitables, place la Chine très loin des expériences de développement des autres Etats d’Asie de l’Est, où des banques industrielles publiques allouent efficacement leurs ressources aux ‘gagnants’ et non pas aux ‘perdants’. Si les banques d’État étendent leurs prêts pour permettre ã des entreprises publiques non profitables de garder la tête hors de l’eau, c’est pour maintenir par ce biais une stabilité sociale et politique en ralentissant les licenciements massifs de la part de ces entreprises » [13]. Cette spécificité du modèle chinois montre les limites qui pèsent encore sur le fonctionnement total de la loi de la valeur dans ce pays.

L’autre grande caractéristique du modèle de développement chinois qui représente un obstacle important pour une croissance plus équilibrée et orientée vers le marché interne, c’est la sous-consommation du marché domestique. Ainsi, « A niveau de développement équivalent, tous les États d’Asie de l’Est étaient gouvernés par des régimes autoritaires. Mais ces régimes étaient dictés par la géopolitique de la Guerre Froide. Juste ã côté de la Chine communiste, ils tâchaient d’éradiquer toute influence socialiste dans les classes populaires. Ils y parvinrent par le biais de politiques redistributives, comme la réforme agraire ou l’éducation gratuite, mais aussi par une répression des organisations ouvrières et paysannes indépendantes. En laissant les fruits de l’expansion économique atteindre les classes populaires, en particulier la population rurale, ces régimes autoritaires devinrent économiquement inclusifs, même s’ils étaient très exclusifs politiquement. La réduction des disparités de salaire et l’augmentation du revenu dans les classes populaires permît de créer des marchés domestiques conséquents dans ces économies nouvellement industrialisées. Même si le succès de ces économies est essentiellement imputable ã une croissance portée par les exportations, la consommation domestique a joué un rôle indispensable dans le processus de développement en offrant ã ces économies un amortisseur face aux caprices du marché mondial et en offrant aux industries naissantes une demande interne suffisante avant leur internationalisation complète. Par contraste, l’Etat-parti chinois des années 1990 a simplement recherché une croissance économique rapide sans parvenir ã infléchir l’importante polarisation sociale, ce qui fut aggravé par la suppression totale de toute dissidence. Les inégalités de classe, l’écart entre villes et campagnes et les disparités interrégionales n’ont cessé d’augmenter avec le miracle économique. La pauvreté s’est intensifiée dans les régions rurales de l’intérieur et les vieux bastions de l’industrie étatique sont profondément marqués par le chômage. Comme les emplois créés par le capital étranger, orienté vers l’export, ne pouvaient compenser les emplois disparus dans les entreprises d’État, la Chine a expérimenté une perte nette en termes d’emplois manufacturiers depuis le milieu des années 1990, avec un taux d’emploi manufacturier beaucoup plus faible que dans les économies nouvellement industrialisées. Les paysans devenus ouvriers à la suite du boom des villes du littoral ne se portent pas vraiment mieux. Du fait de la taille colossale de l’excédent de main d’œuvre et du ‘régime despotique dans les usines’ sous les auspices de l’État-parti, la hausse du salaire manufacturier permise par le miracle chinois est peau de chagrin si on la compare aux hausses de salaires des autres économies asiatiques nouvellement industrialisées ã des moments similaires » [14].

Les différentes vagues de luttes pour les salaires témoignent du surgissement d’un nouveau mouvement ouvrier en Chine (même s’il est encore ã ses étapes initiales) [15]. Ces grèves indiquent également l’apparition des premières fissures structurelles dans le modèle chinois de contrôle et de gestion de la force de travail. C’est précisément ce modèle qui a permis la maximisation de l’exploitation des travailleurs et l’obtention de bénéfices juteux, notamment pour les grands conglomérats industriels comme Foxconn ou Yue Yuen [16] qui profitent de l’économie ã grande échelle pour faire baisser leurs coûts.

La montée ouvrière et les différents symptômes de ce réveil [17], dans le cadre de la crise capitaliste mondiale et du rétrécissement de la demande suite à la crise de la zone euro et à la faillite du modèle nord-américain basé sur la surconsommation et le surendettement, sont en train de faire apparaître très clairement les limites du « miracle chinois ». Dans ce cadre, des secteurs de la bureaucratie restaurationniste de Pékin, et également de l’intérieur du pays, poussent ã une transition et ã une réorientation en direction du marché intérieur. Mais leurs intentions se heurtent aux intérêts des autorités de la côte qui seraient les grands perdants d’un tel processus. Ainsi, la divergence entre soutien au modèle exportateur et tournant vers la consommation interne continue de subsister. Si ce conflit au sommet de l’Etat se poursuit et si la brèche entre la capacité de production et la consommation domestique n’est pas résorbée ã temps, le développement d’une crise de suraccumulation ouverte est très probable. Cela déclencherait la troisième phase de la crise capitaliste, dont certains symptômes commencent déjà ã apparaitre dans les « pays émergeants », touchés par le ralentissement de la croissance chinoise.

Dans cette perspective d’une gigantesque crise asiatique, les pronostics quant à l’avenir de la Chine sont incertains. Considérant que la voie empruntée vers l’équilibre de l’économie est correcte (même si, ã vrai dire, elle n’a rencontré que très peu de succès), Ho-fung Hung fait une projection vers le futur en dressant un parallèle avec les Etats-Unis des années 1920 : « La mauvaise nouvelle c’est que les mesures prises pour inverser la tendance ne sont pour l’instant ni assez profondes, ni prises dans les temps, et que les acquis de la trajectoire de développement actuelle résistent en dernière instance ã ces efforts. Dans l’Amérique du début du vingtième siècle, les changements dans la structure socio-politique, nécessaires pour une croissance soutenable et équilibrée, sont venus avec les réformes du New Deal pendant la Grande Dépression. Pour être plus précis, ce fut la Grande Dépression, et la Seconde Guerre Mondiale qui en a procédé, qui rendit possible ces réformes longtemps ajournées et qui avaient été estimées trop radicales pour être réalistes pendant le boom des années vingt [« Roaring Twenties »]. Il reste ã voir si la récente crise économique globale, qui présente de nombreux défis à l’économie chinoise, permettra, pareillement, un rééquilibrage de l’économie chinoise ».

Bien que cet auteur partage avec Sabado l’optimisme sur la montée de la Chine à long terme, il prend cependant plus de précautions que le premier dans ses pronostics. « Nous avons des raisons d’attendre que l’essor de la Chine et les transformations globales que cela implique durent sur le long terme. Mais, comme il a fallu une dépression et une guerre mondiale pour que l’essor des États-Unis se réalise pleinement, il est certainement possible que cette émergence de la Chine, sur le long terme, soit traversée par les affres des turbulences économiques, des conflits géopolitiques et des bouleversement sociaux ã moyen terme. Ce moyen terme est un cadre assez confus, et se risquer ã un pronostic est quasiment impossible, car c’est un cadre au sein duquel les actions stratégiques contingentes des États, entreprises, mouvements sociaux et autres agents humains, en Chine et hors de Chine, jouent un rôle déterminant » [18].

Cette analyse est méthodologiquement plus correcte que celle de Sabado qui est, elle, superficielle et impressionniste. En effet, ce dernier ne mentionne pas le fait qu’en cas de consolidation de la montée de la Chine, s’ouvrirait une période historique de lutte pour l’hégémonie. Dans cette période, on peut penser que, par blocs ã définir, les « pays émergeants » et les « métropoles » se mèneraient une lutte sans merci. Une telle lutte impliquerait évidemment des guerres pouvant conduire ã des niveaux de barbarie comparables ã ceux de 1914-1918 ou de 1939-1945… ã moins qu’une vague de révolutions prolétariennes ne vienne empêcher un tel scénario. Et rien n’exclut, à l’heure actuelle, que la Chine ne puisse pas être touchée par une telle vague révolutionnaire.

Et si la Chine ne réussissait pas ã couper ses liens de dépendance vis-à-vis de l’économie mondiale dominée par l’impérialisme ?

Pour Sabado, « la Chine est une puissance impérialiste en formation, sur le plan militaire, sur le plan de l’exportation des capitaux, sur l’échange inégal avec les pays d’Afrique ou d’Amérique latine, en particulier avec l’achat de millions d’hectares de terres agricoles » [19]. Cependant, malgré ces tendances, la Chine doit encore démontrer qu’elle est capable de dépasser la limite imposée au développement de tous les « miracles économiques » des pays dépendants que l’on a connu au long du XXe siècle, ã savoir l’économie mondiale dominée par l’impérialisme. Autrement dit, les avancées surprenantes et rapides de la Chine au cours des trois dernières décennies doivent être comparées à l’économie mondiale qui, dans la même période, a connu un fort processus de concentration et de centralisation du capital. En s’appuyant uniquement sur les réussites de la Chine, on pourrait dire, en reprenant Trotsky, que l’analyse de Sabado omet le fait que « le rapport des forces actuelles est déterminé non par la dynamique de croissance, mais par l’opposition de la puissance totale des deux adversaires telle qu’elle s’exprime dans les réserves matérielles, la technique, la culture et avant tout dans le rendement du travail humain » [20]. Plus encore, comme l’expliquent Peter Nolan et Jin Zhang, les difficultés des entreprises des pays semi-coloniaux et dépendants, loin d’avoir diminué, ont au contraire augmenté. C’est-là une des conséquences des transformations qu’a connues le capitalisme au cours des dernières décennies. Dans ce contexte, « des firmes réputées, dotées de technologies supérieures et de marques puissantes, ont émergé en tant ‘qu’intégrateurs systémiques’. Dans le processus de consolidation de leur gestion, ces entreprises géantes exercent une pression intense sur leurs fournisseurs et contribuent ã augmenter la concentration en les poussant ã se battre pour satisfaire à leurs conditions. Cet ‘effet cascade’ a des implications profondes sur la nature de la concurrence et du progrès technique. Cela signifie aussi que les défis auxquels sont confrontées les entreprises des pays en développement sont beaucoup plus grands qu’il n’y paraît ã première vue. Elles ne sont pas seulement confrontées ã des difficultés immenses pour rattraper les intégrateurs systémiques dominants, c’est-à-dire la partie visible de l’iceberg de la structure industrielle. Elles sont aussi en concurrence avec les puissantes firmes qui dominent aujourd’hui presque tous les segments des chaines d’approvisionnement globales, ou la partie invisible de l’iceberg. Ainsi, seulement deux entreprises produisent 75% de la demande mondiale en systèmes de freinage pour les grands avions commerciaux ; trois entreprises produisent 75% des joints homocinétiques pour les automobiles. Les entreprises des pays développés essaient d’entrer sur le ‘champ de bataille global’ ã une époque où la consolidation du pouvoir économique n’a jamais été aussi forte » [21] .

En prenant ces éléments en considération, voyons la distance qui sépare la Chine des principales puissances impérialistes. « Les réserves de la balance commerciale chinoise ont atteint plus de 2,3 trillions de dollars en 2009, beaucoup plus qu’aucun autre Etat. En guise de comparaison, la capitalisation boursière des dix plus grandes firmes américaines se montait ã 2,4 trillions de dollars tandis que les cinq-cents plus grands gestionnaires d’actifs avaient plus de 63,7 trillions de dollars d’engagements, dont plus de 96% étaient gérés par des sociétés européennes, nord américaines et japonaises. Rappelons aussi que les réserves de la balance commerciale chinoise ne sont que de 1.800 dollars par habitant contre 5.600 pour la Corée ou 8. 400 pour le Japon.

Ces dernières années, les plus grandes firmes de la République populaire de Chine (RPC) ont rapidement augmenté leurs acquisitions d’actifs étrangers : le stock extérieur d’investissements directs étrangers (IDE) est passé de 28 billions de dollars en 2000 ã 149 billions en 2008. Cependant, les entreprises chinoises n’en sont encore qu’au tout premier stade de construction globale. Leur niveau d’IDE est bas comparé aux immenses systèmes de production qui ont été construits dans le monde entier par les firmes transnationales dominantes. Parmi les pays en développement, le stock total d’IDE extérieurs chinois est moins grand que celui de la Russie, de Singapour ou du Brésil. Il représente moins du dixième de celui du Royaume-Uni et moins du vingtième de celui des Etats-Unis. Significativement, près des deux tiers des IDE chinois sont dirigés vers Hong Kong et Macao et moins d’un dixième vers les pays ã hauts revenus, dans lesquels les compagnies chinoises n’ont virtuellement aucune présence. Le stock extérieur total d’IDE de la Chine ne représente qu’une petite fraction de la valeur totale des actifs accumulés par une grande firme transnationale dominante comme Vodaphone, Royal Dutsch Shell ou Toyota. Le stock total des IDE chinois dans les économies avancées n’atteint que 17 milliards de dollars, moins de 5% de son stock d’IDE entrants, dont la plupart proviennent d’entreprises basées en Europe, en Amérique du Nord et en Asie de l’Est. Les grandes firmes de ces régions sont profondément insérées dans l’économie chinoise, tandis que les sociétés chinoises sont presque invisibles au sein des pays avancés.

Les banques d’Etat géantes de la Chine ont engagé des réformes significatives ces dernières années. En 2009, les trois plus grandes banques mondiales en termes de capitalisation boursière étaient chinoises. Cependant, les opérations internationales des principales Banques chinoises restent très loin de celles des principales banques impérialistes. La Chine n’a pas une seule banque parmi les 50 premières banques classées par étendue géographique. La crise financière de 2008 semblait offrir une occasion rêvée pour acquérir des actifs bancaires dans les pays ã haut revenu. Malgré la taille de leur capitalisation boursière, les banques chinoises ont brillé par leur absence dans la vague de fusions et acquisitions dans ce secteur. Un énorme bond est nécessaire pour passer d’une puissante banque domestique, opérant dans un marché local lourdement protégé, ã une banque qui soit compétitive à l’échelle globale et capable de finaliser des fusions-acquisitions internationales ã grande échelle. De surcroît, les quelques tentatives faites par des entreprises chinoises pour faire une acquisition substantielle ou un investissement d’envergure sur fonds propres aux Etats-Unis ont entraîné une très large surveillance médiatique et politique. Cela complique sérieusement les possibilités d’expansion des opérations internationales des firmes chinoises » [22].

En conclusion donc, selon nos deux auteurs, « la Chine est encore un pays en développement, loin d’avoir ‘rattrapé’ les économies avancées. Bien que la population chinoise dépasse de 300 millions celle de l’ensemble des pays ã haut revenu, la production nationale chinoise est moins du cinquième de la leur et ses exportations moins du dixième. Les entreprises chinoises ont fortement augmenté leurs ventes et leur capitalisation boursière et ont fait des progrès technologiques significatifs. Pourtant elles sont confrontées ã des défis réels pour répondre aux besoins de développement de la République Populaire de Chine : des technologies innovantes pour le transport, la production et la distribution d’énergie, la capture et stockage du carbone, la construction et la production alimentaire. La relation entre les entreprises chinoises et les firmes multinationales pour le progrès technique du pays évolue toujours. Entre-temps, l’intensité de la concurrence inter-firmes a sévèrement augmenté pendant la période de la globalisation, tandis que la taille des firmes a augmenté et que l’intégration des marchés s’est accrue. La faiblesse relative des grandes firmes chinoises dans la compétition internationale a été reflétée par le fait qu’elles ont joué un rôle minime dans le processus de fusion-acquisition ouvert par la crise financière ».

Si l’on approfondit l’analyse quant au niveau d’innovation, on s’aperçoit que les entreprises chinoises sont clairement en retard. Comme le souligne The Economist, « aujourd’hui, le niveau d’innovation en Chine est extrêmement contrasté. Il y existe des entreprises privées remarquables, comme Mindray, qui produit des instruments médicaux, et Huawei, un géant des télécommunications. Il existe également des ingénieurs peu coûteux au regard de leurs compétences et des niveaux de salaires dans les pays centraux, qui développent des technologies qui sont moins chères et parfois meilleures que celles de leurs concurrents des pays avancés. Les entreprises manufacturières opérant sur le littoral, qu’elles soient chinoises ou étrangères participent au ‘processus d’innovation’ et améliorent constamment la façon dont elles produisent. Et c’est avec un génie certain que les start-ups internet chinoises ont copié les modèles économiques occidentaux et les ont adaptés au marché chinois. Mais l’innovation c’est plus que cela. Une bonne façon de la définir serait ‘une pensée neuve qui crée une valeur que les gens achèteront’. Selon cette définition, la Chine n’est pas le champion mondial. Par sa sueur, elle produit beaucoup des biens mondiaux, mais ce sont des designers en Scandinavie et des marketeurs en Californie qui créent et capturent le plus la valeur de ces produits » [23].

En même temps, les mesures protectionnistes n’ont pas toujours les résultats escomptés par les autorités. Le marché de l’automobile est peut-être un cas paradigmatique. Aujourd’hui la Chine est devenue le plus grand marché d’automobiles au niveau mondial. Cependant, malgré des prix élevés, conséquence du protectionnisme, aucune grande entreprise nationale ne s’est affirmée dans cette branche de l’industrie.

Certains rétorqueront que nous oublions que la Chine est la deuxième puissance mondiale en termes de PIB, ce qui serait, en tant que tel, un succès. Comme le soulignait Trotsky en analysant le cas de l’URSS des années 1930, « quand on nous dit que l’U.R.S.S. prendra en 1936 la première place en Europe pour la production industrielle, succès énorme en lui-même, on néglige non seulement la qualité et le prix de revient, mais encore le chiffre de la population. Or le niveau du développement général du pays et, plus particulièrement, la condition matérielle des masses, ne peuvent être déterminés, ne serait-ce qu’à grands traits, qu’en divisant la production par le nombre des consommateurs » [24]. En prenant en compte ce dernier élément, malgré l’avancée formidable de l’économie chinoise, son revenu par habitant est loin de celui des Etats-Unis. Et par rapport à l’économie japonaise, que Pékin vient de dépasser en termes de PIB, le PIB par habitant de la Chine est d’autour de 4.500 dollars, mais celui du Japon est de près de 40.000 dollars.

Enfin, en termes de productivité du travail les différences sont immenses. C’est ce que souligne l’économiste marxiste Hillel Ticktin pour la Chine, mais également pour l’Inde, un autre pays faisant partie des BRICs. « Rien n’est plus absurde, écrit Ticktin, que cette référence constante à l’importance de la Chine et ã son rôle en tant que prochaine grande puissance. La référence similaire à l’Inde est elle aussi un non-sens. Il est dit que la Chine et/ou l’Inde pourraient sauver le monde de sa crise actuelle. (…) En ce qui concerne l’Inde, ‘l’énergie et les protéines absorbés par habitant n’a fait que chuter pendant les deux dernières décennies, puisque la majorité de la population n’a pas les moyens de s’acheter de la nourriture’. Selon [l’essayiste indien] Pankaj Mishra, cette propagande ã propos de l’Inde est proche des mythes produits dans d’autres pays (il pense probablement à l’URSS) ‘où les statistiques étaient honteusement manipulées et où une élite privilégiée restreinte dominait la vie politique et économique’. Le fait est que les niveaux de productivité en Chine ou en Inde sont une proportion minime de celle des Etats-Unis et ces deux pays n’ont aucune chance de rattraper l’Ouest dans le cadre du système capitaliste » [25].

En prenant en compte ces inégalités de puissance et de productivité avec les principaux centres et entreprises impérialistes au niveau mondial, il n’est pas étonnant que la production chinoise, dans le cadre de la production mondiale, soit limitée ã des secteurs ã faible taux de valeur ajoutée. Les processus de production ã haute valeur ajoutée restent la chasse-gardée des grands pays impérialistes ou de certains pays de l’Est asiatique (Japon, Taïwan, Corée du Sud) qui jouent le rôle de fournisseurs pour les entreprises d’assemblage chinoises.

Dans ce cadre, comme nous l’avons dit plus haut, on ne peut pas écarter l’hypothèse selon laquelle la progression de la Chine pourrait donner lieu ã de nouveaux conflits. Il ne s’agit cependant pas de la seule hypothèse. Le rôle subordonné que joue la Chine dans la structure de l’économie mondiale peut générer bien d’autres scénarios si la situation de relative solidité conjoncturelle dont jouissent la Chine et les autres « pays émergents » change. Comme nous l’avons déjà écrit dans de précédents articles, la crise mondiale actuelle est née aux Etats-Unis. Elle s’est déplacée vers l’Europe et va finir par s’abattre sur l’Asie. Certains symptômes montrent que cela commence ã être déjà le cas. Quand la crise de suraccumulation latente en Chine éclatera, à la différence de ce qui s’est passé lors de la crise asiatique de 1998 en Corée du Sud, l’impérialisme ne pourra pas lui imposer une issue néolibérale, c’est-à-dire un approfondissement du marché capitaliste accompagné d’une liquidation de la protection étatique. Les conséquences sociales seraient encore plus graves qu’en Corée à l’époque, étant donnés les déséquilibres aigus du modèle chinois. Cette hypothèse n’est pas même considérée dans le texte de Sabado.

Soit dit en passant d’ailleurs, si l’émergence de la Chine en tant que puissance impérialiste est une hypothèse passablement improbable, le « basculement du monde » vers les « pays émergents », comme l’affirme Sabado, n’est même pas soutenable. Cette affirmation trop rapide ne peut qu’être source de confusion. La distance entre la Chine et les autres économies qualifiées également d’« émergentes » est énorme aussi bien sur le plan de la production, des exportations que des réserves. En outre, beaucoup de ces économies ont avancé en tant que fournisseurs du modèle chinois. C’est par exemple le cas de l’Argentine dont la croissance est étroitement liée au cycle favorable aux matières premières. Cela ne change rien cependant au positionnement structurel de Buenos Aires dans la division internationale du travail. Pour ce qui est de la Russie ou du Brésil, c’est la rente pétrolière d’un côté et la rente agricole de l’autre qui expliquent la progression de ces deux pays. C’est une différence majeure avec la Chine dont la clef de voute repose sur le développement industriel, en dépit de toutes les limites que nous avons évoquées ici et dans d’autres travaux [26].

Parallèlement, alors que la Russie et la Chine maintiennent une position politiquement autonome au niveau étatique par rapport à l’impérialisme (c’est pour cela d’ailleurs qu’on peut les définir comme des « pays dépendants »), ce n’est pas le cas du Brésil (qui est même défini comme un « sous-impérialisme » par Sabado), de l’Inde ou de l’Argentine bien entendu [27]. La stabilité relative dont jouissent ces pays par rapport à la crise économique et la faiblesse politique des pays centraux ne doit pas nous empêcher de voir qu’il s’agit d’une tendance conjoncturelle, d’une « discordance des temps » de la crise. On a d’ailleurs déjà connu un phénomène similaire pendant la crise d’accumulation capitaliste des années 1970 [28]. En aucun cas cependant la « théorie du découplage » (« decoupling theory ») ne se confirme, et encore moins le fait que l’on se dirigerait vers une « deuxième mondialisation » comme l’affirment certains analystes.

Qu’en est-il du rôle de l’Allemagne dans la crise européenne ?

Sabado affirme également que « l’on ne peut pas expliquer la crise européenne sans ce basculement du monde. Ils veulent aligner le marché du travail européen sur le marché mondial ». Bien que la deuxième partie de l’affirmation soit correcte, la première partie est totalement unilatérale et ne permet pas comprendre les racines de la crise européenne. En effet cette thèse ne fait aucunement mention du rôle qu’a joué et continue de jouer l’Allemagne dans la tendance à la désindustrialisation des pays du Sud de l’Europe, y compris la France, base de la crise de l’euro. L’imposition de l’euro, qui a enlevé la possibilité aux impérialismes moins compétitifs de rééquilibrer leur position ã travers des dévaluations successives (alors que l’Allemagne obtenait le droit d’accès sans restriction à leur marché intérieur grâce aux avantages du marché unique), voilà un des éléments centraux des déséquilibres générés en Europe. Ces déséquilibres ont pu être occultés jusqu’avant le développement de la crise de la dette grâce aux taux d’intérêts très bas dont bénéficiait l’Allemagne.

Pour ce qui est de la France, des analystes bourgeois comme Patrick Artus et Marie-Paule Virard notent dans leur dernier ouvrage combien « entre 1995 et 2010, la France a abandonné 35% de ses parts de marché. (…) La part de marché de la France dans le commerce mondial est ainsi descendue sous la barre des 4% en 2010 alors qu’elle en représentait encore 6% en 1980. Et ce qui frappe dans l’aventure française, c’est à la fois l’ampleur et le spectre du décrochage. Il touche pratiquement tous les secteurs – même si la tendance est moins prononcée pour les biens d’équipement et le matériel de transport – et toutes les régions du monde, ã commencer par la zone euro : les parts de la France y sont passées de 17% en 1998 ã 13% en 2010, et en particulier vis-à-vis de notre premier partenaire, l’Allemagne. En réalité, la France a davantage perdu du terrain face aux Allemands ou aux Italiens que face aux Chinois ou aux Indiens ». Nos auteurs ajoutent que « la compétitivité de l’industrie française est à la cave. L’évolution du ratio ‘exportations françaises/exportations allemandes’ (ce que les économistes appellent le ‘taux de couverture’) dans les produits manufacturés est plus éloquent qu’un long discours : alors que les exportations de produits manufacturés français représentaient encore un montant équivalent ã 56% des exportations allemandes en 2000, huit ans plus tard elles étaient descendues ã 37%. Et le même ratio calculé cette fois par rapport à l’ensemble de la zone euro (hors Allemagne) n’est pas moins inquiétant : il est passé de 26% ã 20% sur la même période. La France compte aujourd’hui ã peine plus de 90.000 entreprises exportatrices quand l’Allemagne en affiche plus de 240.000. Et elle en a perdu 10% depuis 2005 quand sur la même période sa voisine en a gagné autant » [29].

Une nouvelle définition objective qui cherche ã justifier l’absence de stratégie des révolutionnaires

Nous sommes globalement d’accord avec Sabado lorsqu’il affirme, d’un point de vue subjectif, que « depuis le début des crises capitalistes, il n’y a jamais eu, en même temps, une crise aussi profonde du système capitaliste et, un mouvement ouvrier aussi faible face ã ce type de crise, a l’exception des conjonctures ou le mouvement ouvrier est physiquement liquidé par le fascisme ou les dictatures militaires ». Cela est lié à la situation dans laquelle se trouve la classe ouvrière face à la crise après trente ans d’offensive néolibérale, ce que nous avons appelé « période de restauration bourgeoise » [30]. Sabado évoque une série d’éléments qui ont conduit le prolétariat à la situation dans laquelle il se trouve. Il cite ainsi les transformations au sein de la classe ouvrière, l’amalgame entre le communisme et le stalinisme et le tournant néolibéral de la social-démocratie. Rien n’est dit en revanche du rôle des marxistes révolutionnaires dans tout cela, et encore moins des responsabilités du SU qui a été l’un des courants les plus importants du mouvement trotskyste [31].

Une des conséquences de cette situation est, effectivement, le fait qu’il y ait « un décalage entre l’explosivité de la situation et la traduction politique, organique de ces mouvements : pas de renforcement des syndicats, des partis réformistes, de la gauche radicale, de la gauche révolutionnaire ou de courants de gauche dans les organisations, ni même émergence de nouvelles organisations ». Voir le verre ã moitié vide est cependant une fâcheuse tendance. Le verre en question commence ã se remplir. Pour la première fois depuis les années 1970 un espace de lutte idéologique s’est ouvert. C’est pour partie le fruit de la profondeur de la crise capitaliste mondiale pour laquelle la bourgeoisie n’a pas (encore) trouvé d’issue. C’est une opportunité d’intervention pour les révolutionnaires, en dépit de toutes les limites auxquelles nous faisions allusion plus haut. Mais comme nous allons le voir, Sabado exagère les éléments objectifs de la situation mondiale afin de justifier les carences à la fois pratiques et théoriques de son courant international.

L’ouverture d’un certain espace idéologique est due à la faillite de l’idéologie néolibérale et ã sa perte de légitimité à la suite de la banqueroute de Lehman Brothers et la pire crise capitaliste depuis la Grande Dépression des années 1930 [32]. Cette crise idéologique et de légitimité du système capitaliste ainsi que des politiques appliquées par les Etats est un sujet de débat dans les revues les plus influentes de la bourgeoisie internationale. On songera par exemple à la section spéciale du Financial Times intitulée « Capitalisme en Crise » dans laquelle a été publié l’article de Gideon Rachman « Why I’m feeling strangely Austrian » (« Pourquoi je me sens étrangement Autrichien ? »). Rachman y parle des principales tendances idéologiques, apparues après la crise du « paradigme néolibéral », et qui se disputent l’hégémonie idéologique. Le plus intéressant de cet article, qui permet d’ailleurs de réfléchir aux opportunités qui s’ouvrent et aux tâches qu’ont les révolutionnaires, c’est qu’entre les quatre tendances idéologiques les plus fortes, l’auteur ne parle pas seulement des courants bourgeois, ã savoir le populisme de droite, le keynésianisme social-démocrate et le libéralisme hayekien. Il existe également selon lui une quatrième tendance, qu’il qualifie « d’anticapitaliste-socialiste ». Rachman souligne combien « l’incapacité de la gauche dure ã capitaliser sur la crise économique démontre ã quel point le communisme a été discrédité par la chute du système soviétique. Mais le chômage de masse en Europe pourrait créer les conditions nécessaires à la résurgence d’un mouvement anticapitaliste » [33].

L’objectif de notre article n’est pas de développer la polémique sur le terrain des idéologies bourgeoises. Notons seulement que ce que Rachman appelle « tendance hayekienne » (du nom de l’économiste autrichien Friedrich von Hayek) celle qui s’oppose ã toute intervention de l’Etat (y compris le sauvetage des banques) et en général à la centralisation étatique. Cette tendance s’exprime fondamentalement aux Etats-Unis dans les tendances les plus extrêmes du parti Républicain [34]. Quant à la tendance « keynésienne social-démocrate », que l’auteur identifie ã Obama, elle se situe, comme nous l’avons noté, ã des années lumière du « compromis keynésien ». Les économistes associés à la tendance « keynésienne social-démocrate » actuelle sont des néokeynésiens influencés par le néolibéralisme. Le prix Nobel de l’Economie Paul Krugman, qui en est un des représentants, se situe même ã « gauche » de ce que fait réellement le gouvernement d’Obama [35]. Sur la gauche du spectre politique, on pourrait également placer, pour ce qui est de l’Europe, le Front de Gauche et Syriza, qui défendent tous deux des programmes keynésiens de gauche. Pour ce qui est de la tendance populiste de droite, aujourd’hui en plein essor en Europe, il suffit de songer ã tous ces partis qui pèsent de plus en plus sur l’échiquier politique et qui défendent des positions chauvines et furieusement xénophobes.

Pour les marxistes révolutionnaires bien entendu, l’enjeu central est de disputer l’espace « anticapitaliste-socialiste ». Minoritaire jusqu’à présent par rapport aux autres tendances, il s’est cependant exprimé ã travers le mouvement des indignés dans l’Etat Espagnol, le renforcement de la gauche radicale en Grèce, les mouvements « Occupy » aux Etats-Unis, le mouvement étudiant, plus en général ã travers les résistances aux plans d’austérité en Grèce mais également dans les processus révolutionnaires en Egypte et en Tunisie, sans même parler des épisodes contestataires qui commencent ã se développer en Chine.

Malgré la crise du marxisme, liée aux éléments sur lesquels nous nous sommes arrêté, -laquelle nous pourrions rajouter l’impasse des partis anticapitalistes larges et l’impuissance de courants plus « orthodoxes » à l’image de Lutte Ouvrière en France (qui n’a pas de stratégie révolutionnaire mais une pratique syndicaliste et électoraliste)-, la dureté de la crise et ses conséquences sont en train de provoquer un grand retournement idéologique. Des millions de travailleurs et de jeunes ã échelle internationale sont de plus en plus convaincus qu’il n’y a pas d’issue progressiste et favorable pour les exploités et opprimés dans le cadre de ce système capitaliste.

Même si dans une certaine mesure ce phénomène peut être comparé à la naissance du mouvement anti-globalisation entre 1999 et 2001, la grande différence c’est qu’aujourd’hui les mouvements que nous avons évoqués se développent dans le cadre d’une crise capitaliste historique et d’une dégradation des mécanismes de la démocratie bourgeoise dans les pays centraux. C’est ce qui contribue ã créer une situation de plus grande polarisation sociale et politique. Aux Etats-Unis par exemple, le principal mot d’ordre idéologique du mouvement « Occupy », « nous représentons 99% de la population et vous 1% », répond au creusement de profondes inégalités sociales sous le néolibéralisme, accentuées par la crise économique. Cela ne veut pas dire que ces mouvements évolueront sur des positions anticapitalistes. C’est d’ailleurs ce qu’indique la récupération électorale qu’est en train de tenter l’équipe de campagne d’Obama. Autrement dit, on ne parle pas ici d’une tendance idéologique ou politique qui soit déjà révolutionnaire, mais d’un phénomène, d’une sorte d’idéologie anticapitaliste confuse sur laquelle les trotskystes peuvent intervenir de façon offensive.

Cela implique d’avoir un point de vue international, d’étudier le développement de la crise capitaliste, ses perspectives, les tendances géopolitiques, les nouveaux phénomènes politiques et de la lutte de classes. Il s’agit également d’intervenir, armés d’une politique révolutionnaire lorsque cela sera possible, mais aussi d’intervenir de façon offensive sur le terrain idéologique afin de démontrer que le programme historique du trotskysme est la seule réponse progressiste pour les exploités face à la crise économique, politique et sociale que nous vivons. Il nous faut intervenir en indiquant que, si les exploités et opprimés n’arrivent pas à lutter pour cette perspective, le monde sera voué à la barbarie, ã un niveau incomparablement supérieur ã ce que nous avons connu au cours du XXe siècle. A différentes reprises les camarades du Courant Communiste Révolutionnaire, nos camarades au sein du NPA, ont souligné l’importance des revendications transitoires dans les situations de crise historique, mais également que ces revendications peuvent gagner. Nous pensons notamment à l’occupation des usines sous gestion ouvrière contre les fermetures, comme cela a été l’exemple de Zanon en Argentine à la suite de la crise de 2001, à la nationalisation des banques, du commerce extérieur et de l’ensemble des ressources stratégiques de l’économie, sous gestion ouvrière, à l’échelle mobile des salaires et des heures de travail ou encore à la nécessité de l’auto-défense pour faire face aux groupements ou mouvements fascistes.

L’effort que nous devons faire est d’essayer de synthétiser ce qu’exprime potentiellement aujourd’hui le programme trotskyste en tant qu’alternative à la crise. Il nous faudrait passer à l’offensive et dire que nous luttons pour la révolution ouvrière et socialiste, pour la nationalisation des principales ressources de l’économie et sa planification démocratique afin de satisfaire l’ensemble des nécessités humaines ; souligner combien notre projet est distant d’un régime bureaucratique et totalitaire, comme celui vers lequel a dégénéré l’URSS, mais se base, à l’inverse, sur une démocratie des conseils de travailleurs, une organisation politique supérieure ã tous les autres régimes politiques ayant existé jusqu’à présent. Une telle démocratie permettrait l’intervention politique, la délibération et la décision des fractions les plus larges des classes populaires et du monde du travail, afin de déterminer leur propre avenir. C’est ce qui pourrait créer les conditions pour la plus large indépendance et créativité du genre humain. Voici la perspective que les révolutionnaires doivent défendre face à l’assujettissement du monde du travail aux diktats du capital -le fameux « 1% » qu’évoquent les manifestants du mouvement « Occupy ». C’est cette orientation qu’il nous faut également défendre face aux autres programmes et idéologies bourgeoises qui présupposent, ã court ou moyen terme, de nouvelles guerres pour le contrôle des marchés, des formes de fascisme ou de proto-fascisme. C’est dans cette perspective qu’il nous faut construire des partis révolutionnaires et lutter pour la reconstruction de la IV Internationale.

Mais ce n’est pas dans cette direction que vont les dernières réflexions de Sabado en conclusion de son texte. « Ces ‘décalages’ ou ‘désynchronisations’, dit-il, entre la résistance sociale et la faiblesse de forces de gauche radicale, n’est elle pas une donnée de la nouvelle période que nous vivons ? Si nous posons les problèmes en termes de basculement du monde dans une nouvelle période historique après plusieurs siècles de domination de l’Europe et des Etats-Unis, s’il y a des changements structurels du capital à l’échelle mondiale, une nouvelle place des Etats-nations dans la globalisation, une crise structurelle de la démocratie parlementaire, une tendance à l’intégration des syndicats – Trotsky évoquait déjà cette tendance en 40 – une marche vers des régimes autoritaires. Tout cela ne peut-il pas ne pas avoir des conséquences sur la réalité du mouvement ouvrier, la place des partis ? N’y a t-il pas une fin de cycle historique pour le mouvement ouvrier européen tel qu’il s’est configuré à la fin du XIXe siècle et tout au long du XXe siècle ? La globalisation et la crise de l’État-nation ne sapent-elles pas la base des partis et syndicats tels qu’ils se sont formés au cours de ces décennies ? ».

Comme nous voyons, la définition hâtive et sans fondements du « basculement du monde » a pour but de renforcer, par des éléments objectifs, la théorie de la « nouvelle époque, nouveau programme, nouveau parti », qui annonçait la fin du cycle ouvert par la révolution russe après la chute du Mur de Berlin, sur un plan subjectif. Ce réajustement stratégique pendant les années 1990 est aujourd’hui insuffisant pour expliquer les mésaventures de la direction actuelle du SU, notamment de son parti le plus important en France où la moitié de l’ancienne Ligue Communiste Révolutionnaire se prépare ã quitter le NPA pour rejoindre Mélenchon et le Front de Gauche, reprochant à la majorité actuelle d’avoir défiguré les principes fondateurs du NPA. Au lieu de discuter de la justesse de construire un parti sans délimitation stratégique dans une période de crise capitaliste ouverte, la nouvelle définition de « basculement du monde » a pour but d’éviter de tirer un bilan, trois ans après la fondation du NPA et face à l’impasse dans laquelle se trouve le projet de parti anticapitaliste large en France. Pour notre part, nous croyons qu’il serait central d’adopter une méthode radicalement différente. Il faut, à l’inverse, « confronter le projet du NPA aux leçons politiques et stratégiques de la lutte de classes » [36]. La question essentielle ne se trouve pas du côté des changements réels ou supposés de la situation internationale, mais plutôt du côté des limites de la théorie et de la pratique des révolutionnaires.

02/05/12

 

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