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La révolution est en marche
par : Courant Communiste Révolutionnaire - Plateforme Z dans le NPA

02 Jan 2012 | A la suite du calme relatif de cet été et du mois de Ramadam, les tensions ont repris de plus bel, rendant les militaires toujours plus nerveux et violents, jusqu’à engager parfois des actions se situant au delà du rapport de force existant et les contraignant par la suite ã (...)

Par Ciro Tappeste

Rien ne va plus pour l’armée égyptienne et, par ricochet, pour ses donneurs d’ordre occidentaux, ã commencer par le Département d’État américain et la Maison Blanche. A la suite de la chute de Moubarak, déplacé par ses collègues sous la pression de la rue et des grèves afin d’éviter une explosion sociale encore plus importante, l’enjeu pour le Conseil Suprême des Forces Armées (SCAF) était de piloter une « transition démocratique ». En orchestrant des élections, l’objectif était de réformer de façon plus ou moins cosmétique le régime, ses instruments politiques et ses médiations sociales, sans rien changer sur le fond : les rapports entre l’Égypte, son tuteur impérialiste américain, son allié israélien et les intérêts des investissements étrangers (occidentaux et du Golfe) ainsi que ceux de la grande bourgeoisie égyptienne. A la suite du calme relatif de cet été et du mois de Ramadam, les tensions ont repris de plus bel, rendant les militaires toujours plus nerveux et violents, jusqu’à engager parfois des actions se situant au delà du rapport de force existant et les contraignant par la suite ã reculer.

L’armée égyptienne s’était bien gardée de se mêler ouvertement de la répression de janvier et février. Cela lui avait permis de se présenter comme une alternative au régime policier de Hosni Moubarak, ses fils et son ministre de l’Intérieur Habib Adly. Mais la large popularité dont a joui pendant un temps le SCAF s’est progressivement effritée. Longtemps au Caire personne n’osait toucher aux affiches qui montrent le Maréchal Mohamed Hussein Tantawi, chef de la Junte, rendant hommage de façon très martiale aux « shahids » ou martyrs de février, et soulignant que l’armée défend « la révolution ». Aujourd’hui dans les manifestations le nom de « Moubarak » a été remplacé dans les slogans par celui de Tantawi, « le régime [de l’ancien Raïs] » par « le SCAF ».

Les raisons de la nervosité du SCAF et de la brutalité de la répression

La raison de la grande nervosité des militaires égyptiens est ã chercher ã trois niveaux : celui des élections, de la conflictualité de classe actuelle et de la persistance des manifestations anti-SCAF.

Lors des élections législatives, dont les deux premières phases viennent de se tenir, les formations islamistes modérées et plus dures viennent d’emporter l’écrasante majorité des voix, avec un score beaucoup plus élevé que celui auquel le SCAF et les chancelleries occidentales s’attendaient. A un niveau social, les grèves qui avaient connu une pause relative au cours du Ramadam ont repris en intensité au cours des derniers mois. Pointe avancée de ce processus contradictoire enfin, une frange de la jeunesse démocratique radicale, épaulée par une partie de la gauche et par les jeunes des quartiers populaires, les gavroche du XXI° siècle, continue ã se battre au Caire mais également dans d’autres villes du pays et exigent le retrait immédiat des militaires de la vie politique. Ce sont ces jeunes manifestants qui ont été en première ligne lors du soulèvement pré-électoral de fin novembre. C’est leur noyau dur qui est en train de subir la terrible répression déchainée contre eux par la soldatesque au cours des derniers jours, qui a déjà fait plus d’une dizaine de morts.

Tous ces éléments montrent bien la complexité et les contradictions qui secouent le pays dans lequel s’est ouvert une étape révolutionnaire qui sera certes émaillée de poussées et de reflux mais que l’on peu cependant caractériser comme la première révolution du XXI° siècle, sans que cela ne détermine par avance la victoire ou non de cette même révolution. Plus largement, les derniers événements en Egypte indiquent combien ce que l’on appelle désormais « le printemps arabe » est encore un processus ouvert et la difficulté pour les classes dominantes locales et pour l’impérialisme d’y mettre un terme.

Le très bon score des différentes formations islamistes

La situation est d’abord éminemment contradictoire ã un niveau politique et c’est ce dont témoignent les élections. Premièrement, la participation n’a certainement pas été aussi élevée que ce qui a été annoncé dans un premier temps, indiquant une certaine désaffection à l’égard d’un processus étroitement contrôlé par les militaires. D’un autre côté, par delà les incertitudes quant aux chiffres exacts donnés par les autorités, les formations islamistes sont les grandes gagnantes du processus, et ce malgré le fait que leurs directions n’aient joué aucun rôle révolutionnaire au cours des événements de janvier-février. Le parti de la Justice et de la Liberté, étroitement lié aux Ikhwans (Frères Musulmans) fait en moyenne 40% dans les différents gouvernorats où les élections ont été organisées. Le parti salafiste Al-Noor remporte quant à lui un tiers des suffrages en moyenne.

Au delà de leur défense d’une religiosité plus ou moins rigoriste, très présente de toutes façons dans la société égyptienne, notamment dans les fractions les plus pauvres et opprimées de la population, ces deux formations n’expriment pas la même tendance politique et ne représentent pas exactement le même bloc social. Les suffrages remportés par le Parti de la Justice et de la Liberté expriment avant tout un vote modéré et islamiste de secteurs de la population – et notamment des classes moyennes – réclamant une stabilisation de la situation. Les voix récoltées par Al-Noor correspondent en revanche ã sa base de mobilisation, celle qui était notamment descendue massivement dans la rue au Caire le 1er juillet : des centaines de milliers de très pauvres et leur famille, exigeant à leur manière, par leur vote en faveur de l’application de la zakat (l’impôt musulman de charité) et de la loi coranique la fin de la corruption obscène et de la misère dans laquelle ils se trouvent plongés [1] . C’est d’ailleurs cette pression sociale objective qui a fait que Azem Abou Ismail, prêcheur salafiste et candidat aux présidentielles, a ouvertement appelé ã soutenir les manifestants et ã descendre dans la rue en novembre, contrairement aux Ikhwans et à l’orientation des salafistes eux-mêmes cet été, très radicalement opposés à l’occupation de la Place Tahrir en juin et juillet.

D’un autre côté, l’importance du vote islamiste a forcé les militaires ã plusieurs reculades. Ils se sont vus obligés de publier les résultats ã mesure où la première puis la seconde phase des législatives prenait fin, contrairement ã ce qui avait été annoncé. Ils sont néanmoins fortement opposés aux exigences démocratiques élémentaires posées par les Frères Musulmans. Ces derniers demandent que le gouvernement actuel de Kamal Al-Ganzouri, nommé après le soulèvement de novembre, soit remercié et qu’un nouveau cabinet s’installe, représentatif de la majorité islamiste qui est en train de se dessiner au Parlement. Cela illustre également la volonté ferme de la part des militaires de continuer ã corseter les travaux de la prochaine assemblée au nom de la défense de « principes supra constitutionnels » dont l’armée post-nassérienne serait garante. Tout ceci entre bien entendu en contradiction avec ce qu’ont exprimé les élections, et dévoile le caractère étroitement contrôlé d’un processus de « transition démocratique » qui de « démocratique », même bourgeois, n’a que le nom et qui est en train de faire eaux de toutes parts.

Une poussée ouvrière sans précédent

Sur le front social, les débrayages, parfois massifs, se sont multipliés au cours des derniers mois. Comme le note Ann Alexander, « Une vague de grèves et de manifestations coordonnées sur l’ensemble du territoire, à l’image des actions menées par les postiers, les enseignants, les travailleurs de l’industrie sucrière et des transports publics du Caire, est la principale cause de la paralysie qui a saisi le régime militaire en septembre et a donc ouvert la voie pour le soulèvement de novembre. Les luttes sociales et politiques continues (…) en sont encore à leur début. Pourtant, plusieurs caractéristiques de la vague de grèves de septembre 2011 indiquent que le degré d’organisation actuel du salariat égyptien replace la classe ouvrière comme un facteur central sur la scène politique nationale ã un niveau historique en Égypte depuis plus de soixante ans. Qu’est-ce qui rend la reprise de la vague de grèves de fin août si importante ? La première raison est l’ampleur des protestations. On peut estimer que le nombre de travailleurs impliqués dans des actions collectives de toutes sortes (grèves, sit-in et manifestations) connaît une croissance en septembre par rapport à la période de mars ã août [avec environ 400.000 travailleurs impliqués dans des actions collectives entre mars et août 2011 contre 500 ã 750.000 pour le seul moi de septembre]. [...]. Cependant, par rapport aux sommets de la vague de grèves d’avant la révolution, septembre 2011 montre une forte augmentation par rapport ã 2008, année au cours de laquelle seulement 540 000 travailleurs ont pris part ã des actions collectives [2] ».

Les revendications de ces mouvements de grève sont économiques, alors que l’économie égyptienne est exsangue et que les conditions de vie des masses populaires se sont plutôt dégradées depuis la chute de Moubarak. Les revendications de ces mouvements sont aussi d’ordre politique, exigeant la fin de l’ancien régime dans les entreprises et sur les lieux de travail, un ancien régime qui continue ã perdurer jusqu’à présent et dont les multiples ramifications mènent tout droit au SCAF. Au quotidien, les travailleurs des divers secteurs exigent le déplacement de tel gérant, lié à l’ancien régime, ou la reconnaissance du nouveau syndicat indépendant, autonome de l’ancienne bureaucratie de l’ETUF liée à l’ancien parti moubarakiste, le PND. Ces mouvements de grève se répercutent également au niveau territorial, dans les quartiers, les municipalités et les gouvernorats, où la population réclame le départ de tel maire ou gouverneur, et lorsqu’un nouveau est nommé, redescend ã nouveau dans la rue parce qu’elle l’estime trop lié aux militaires. Le même type de mouvement a pu être observé dans les universités, avec une rénovation quasi complète, et parfois violente, des instances de direction, rénovation qui dans l’état actuel des choses ne donne pas satisfaction aux franges étudiantes les plus actives.

Tous ces mouvements et leur approfondissement sont autant de sources de conflits ouverts qui rejaillissent, menaçant la stabilité politique et sociale du pays, sans que quiconque aujourd’hui ne soit en capacité d’y répondre, tant « ã droite » bien entendu « qu’à gauche ». La loi sur l’État d’urgence et l’interdiction des grèves, les 12.000 procès militaires intentés ã des militants et activistes n’y font rien. Comme le souligne cependant Ann Alexander, « il n’y a aucun doute que la conscience et le degré d’organisation des travailleurs demeurent inégalement développés. Presque aucun des approximativement 700 épisodes distincts d’action collective des travailleurs que j’ai étudiés depuis mars n’a soulevé des ‘revendications politiques’ classiques, liées ã des questions telles que la liberté d’expression, la libération des détenus (…). Malgré le soutien de la Fédération égyptienne des syndicats indépendants pour le sit-in de Tahrir le 19 novembre et son rejet du gouvernement Al-Ganzoury, il n’y a eu aucune vague de grèves pour soutenir un appel exigeant que les militaires quittent le pouvoir [3] ».

Les affrontements violents de novembre et décembre et les enjeux actuels

Troisième expression du caractère convulsif de la situation, une fraction très radicalisée de la jeunesse est redescendue dans la rue au cours des dernières semaines pour exiger la fin immédiate du régime militaire. Dès septembre, la tentative de jouer sur les rivalités confessionnelles avec l’attentat contre l’église copte en Haute Égypte, et la répression de la manifestation devant la Tour Maspéro de la télévision d’Etat au Caire, annonçait le niveau de répression actuel. Mais en novembre les violences de l’armée ont au contraire radicalisée et massifiée la protestation, sans que cette dernière ne réussisse ã entraver la mascarade électorale orchestrée par le SCAF. La pression en ce moment même est quelque peu retombée, sans que des noyaux de jeunes manifestants très déterminés ne s’avouent vaincus pour autant, au Caire notamment, devant le siège du Conseil des ministres. Les militaires ont essayé de tirer profit de leur isolement relatif pour faire un exemple, en tentant de s’appuyer sur un certain sentiment de ras-le-bol conservateur contre les mobilisations et les manifestations existant dans certains secteurs de la classe moyenne égyptienne. Les images qui passent en boucle à la télévision d’État ne sont pas celles de la jeune manifestante trainée par les militaires qui lui sautent sur la poitrine ã tour de rôle et qui ont fait le tour du monde. Les responsables du SCAF se succèdent à l’antenne pour dénoncer un complot étranger, accuser les manifestants d’être des casseurs qui sont payés en hamburgers (sic.) et affirmer que l’armée se doit de « défendre les bâtiments du peuple que les terroristes veulent bruler ». La propagande ne diffère pas énormément de celle que diffusait en boucle la télévision moubarakiste, qui a été la première ã inventer l’argument ridicule des hamburgers et du KFC.

Il n’est pas improbable cependant qu’à nouveau cette répression brutale ne déchaîne des réactions en chaine et surtout discrédite encore un peu plus le SCAF dont l’image est déjà passablement écornée. En témoigne par exemple l’attitude de la direction des Frères Musulmans, qui, après s’être pourtant désolidarisée de toutes les manifestations ces dernières semaines, s’est vue obligée d’exiger des militaires des excuses pour la terrible répression de ces derniers jours [4] . Ainsi, les deux fractions en présence de la bourgeoisie, avec d’un côté le SCAF et de l’autre les Ikhwans, sont contraintes de tenir compte des coordonnées sociales de la situation politique (et essayent aussi d’en jouer) afin d’essayer de mettre l’autre en minorité, de prendre de l’ascendant ou de rasseoir son pouvoir. L’atout qu’ils détiennent jusqu’à présent est que, en dépit de la poussée ouvrière sans précédent et du soutien formel de la nouvelle Fédération Syndicale Indépendante aux manifestants, le mouvement ouvrier n’a pas opéré de jonction avec les jeunes manifestants, à la différence de ce qui s’était passé en février. Il s’agit-là d’une des principales limites de la phase actuelle du processus. La classe ouvrière est la seule capable de un coup décisif à la bourgeoisie nationale, à la junte militaire et à l’impérialisme en paralysant l’économie de façon ã renverser la dictature. D’autre part parce qu’il est urgent que la classe ouvrière en alliance avec les jeunes et les masses radicalisés organisent l’autodéfense face à la répression brutale de la part des forces de répression.

Le SCAF comme les Frères Musulmans ont pour objectif la stabilisation de la situation, mais les instruments qu’ils ont choisi ou qu’ils sont contraints d’adopter ne coïncident pas complètement ã moyen terme avec leurs objectifs, ce qui complique encore plus les choses pour eux. Les militaires poursuivent sur le chemin de la répression, sans pour autant réussir ã faire taire le mécontentement. Certains analystes soulignent qu’ils pourraient être tentés par l’option coup d’État, en se faisant passer pour les sauveurs de la nation. Cette hypothèse est cependant aujourd’hui politiquement impensable tant son coût serait élevé, et tant le SCAF est impopulaire. Les Frères Musulmans de leur côté ne peuvent accéder au gouvernement avec l’objectif affiché de mettre fin à la révolution « au nom de la défense des intérêts de la révolution », car le SCAF les en empêchent. Étant maintenus dans l’opposition, ils ne sont pas complètement maîtres de leur politique, qui est donc partiellement imposée par la rue, alors que leur base dans la jeunesse et les classes populaires se radicalise et parfois même se détachent d’eux en les accusant de modérantisme. Tant qu’ils resteront, même malgré eux, dans l’opposition, ils ne pourront être le facteur de stabilisation qu’ils souhaitent devenir.

L’acte II de la Révolution égyptienne

Comme le soulignent les camarades Socialistes Révolutionnaires qui impulsent aux côté de dirigeants ouvriers le Parti Démocratique des Travailleurs, les évènements de ces derniers jours « font suite ã une vague montante de protestations ouvrières et à l’annonce par un grands nombres d’organisations d’ouvriers de leur intention de manifester et d’occuper pour poursuivre les tâches révolutionnaires visant ã nettoyer les institutions publiques des vestiges du régime Moubarak et ã redistribuer la richesse dans la société. C’est pourquoi il était nécessaire de briser le sit-in par la force armée, pour empêcher la possibilité d’une jonction entre les masses laborieuses, qui ont renversé le régime Moubarak par leurs grèves [en février], et les révolutionnaires participant au sit-in devant le siège du gouvernement [5] ».

Alors oui, l’acte II de la révolution égyptienne a bien commencé. Les revendications démocratiques structurelles et sociales restent les mêmes qu’en janvier et février. Le paradoxe c’est que le moteur de la révolution, la classe ouvrière, s’est mise en branle sans pour autant jouer le rôle explosif qui a été le sien en février, lorsque le pays était au bord de la grève générale. Les travailleurs continuent plus que jamais ã être actifs, mais pour l’instant centrés sur les lieux de travail ou coordonnés entre eux, mais sans pour autant se poser en antagonisme vis-à-vis du pouvoir militaire, héritier du moubarakisme. Il ne s’agit pas cependant d’un repli faisant suite ã une défaite, mais d’une phase du conflit de classe qui continue ã se jouer en Égypte. Et plus les travailleurs se mettent en mouvement, plus ils se rendent compte que leurs intérêts sont insolubles dans le capitalisme semi-colonial égyptien. La jeunesse la plus radicalisée continue ã exiger le départ complet des militaires, une autre revendication en parfait antagonisme avec ce que sont prêts à là¢cher l’impérialisme et la bourgeoisie.

C’est donc bien une dynamique de révolution permanente qui taraude aujourd’hui les contradictions d’un pays qui reste la pointe avancée du printemps arabe, qui est lui-même loin d’être achevé. C’est en ce sens que toutes ces poussées de la révolution égyptienne exigeraient du mouvement ouvrier et de la jeunesse en Occident, ã commencer par l’extrême gauche qui agit en son sein, la solidarité la plus déterminée et résolue. Il en va de notre capacité ici ã riposter contre ceux qui, en Égypte, sont du côté des militaires : le gouvernement, les multinationales et les banques françaises. C’est une question décisive pour que l’Égypte exprime pleinement le caractère révolutionnaire d’une période historique dont nous ne subissons ã présent que les crises, la réaction et les tendances au bonapartisme et au césarisme qu’expriment en Europe les gouvernements grecs et italiens.

Comme le soulignait Al Masry Al Youm début décembre, « au cours des manifestations contre le SCAF (…) une ligne de fracture s’est dessinée entre les ‘Gandhis’ et les ‘Guevaras’, entre les milliers de manifestants qui scandaient des slogans et défilaient pacifiquement Place Tahrir et les centaines de manifestants armés de pierres et de cocktails molotovs dans les rues adjacentes du centre-ville. ‘On se bat parce que les flics sont des ordures’, disait Mohamed Karam, un jeune manifestant de 17 ans se préparant à lancer son cocktail molotov. ‘Ceux qu’on a en face de nous, les membres des Forces Centrales de Sécurité (CSF), ce sont les mêmes que sous Moubarak. Ils sont peut-être encore plus brutaux depuis le début de la révolution’ (…). C’est le sentiment dominant chez ceux qui manifestent en première ligne. ‘Les autorités disent de nous que nous sommes des casseurs à la radio et à la télévision d’État, mais ce sont les flics, les vrais casseurs’ souligne Ahmed Atwa, un vendeur ambulant de 29 ans. Tirant sur son t-shirt, il laisse voir la large cicatrice qui lui traverse l’épaule. ‘Ça c’est ce que m’ont fait un officier de police et ses hommes quand ils m’ont torturé au commissariat d’Helwan [la grande banlieue ouvrière de la capitale] en 2001’. La plupart, ã quelques exceptions prés, de ces ‘Guevaras’ sont comme Karam et Atwa, des ouvriers ou des chômeurs encore adolescents ou ã peine adultes qui viennent des quartiers les plus pauvres de Caire [6] ».

L’enjeu consiste donc ã construire ici aussi la solidarité la plus grande à l’égard de l’aile marchante de la révolution, de façon ã contribuer au renforcement de ceux qui luttent pour que la classe ouvrière en tant classe intervienne comme en février et, à la différence de février, structure la protestation, par la grève générale, de façon ã ce que le pouvoir n’échoie dans les mains ni de nouveaux militaires recyclés, ni dans celles de politiciens bourgeois de l’ancienne opposition, libéraux ou islamistes, de façon ã ce que ce soit la classe ouvrière, les paysans et le peuple d’Égypte qui soient maitre de leur destin et de leur gouvernement. C’est la seule façon de concrétiser le slogan repris en chœur par tous les Karam et Atwa d’Egypte ces derniers jours, alors qu’ils affrontent les balles des militaires : « Thawra hatta al nasr ! », « la révolution, jusqu’à la victoire ! ».

19/12/11

[1] Comme le note Jacques Chastaing au sujet des formations islamistes, « c’étaient les seuls ã avoir un programme social concret qui s’adresse à la population face ã ses difficultés économiques. Un programme de charité certes mais qui rend service car ils organisent des marchés de nourriture moins chers, disposent de dispensaires de santé, (…) et, pendant la campagne électorale ont multiplié ces activités par des soins gratuits, (…) des distribution de médicaments, de nourriture, notamment de viande, etc. La société égyptienne est très islamisée par ce biais. Et c’est l’Etat des militaires qui l’a islamisée ainsi depuis environ trente ans avec la vague de mondialisation libérale qui a détruit le peu de protections sociales d’État et de services publics les laissant glisser dans les mains des mosquées. En même temps que l’armée islamisait d’autorité le pays ã partir de la moitié des années 1970 (…) en faisant de la Charia en 1980 l’article deux de la Constitution (« l’islam est la religion de l’État, la charia est la source de la législation »), en rendant obligatoire en 2006 l’attribution d’une religion sur les cartes d’identité (…). Cette islamisation de la société, c’est l’armée qui l’a faite, pour ajouter une police des mœurs quand son autorité issue de l’indépendance s’essoufflait, même si par ailleurs elle persécutait les Frères musulmans pour leurs ambitions politiques ». (J. Chastaing, NPA Mulhouse, « Note de conjoncture », 04/12/11).

[2] A. Alexander, « The strike wave and the crisis of the Egyptan state », Ahramonline, 16/12/11.

[3] A. Alexander, art. cit.

[4] Tout en dénonçant les violences policières, les Ikhwans ont également demandé aux jeunes manifestants de respecter les institutions, le Parlement et surtout de ne pas entraver la troisième et ultime phase des législatives. Ils ont même essayé, sans beaucoup de succès d’ailleurs, de s’interposer entre les manifestants et les militaires au centre du Caire, non loin de Tahrir.

[5] Déclaration de RS (al-ishtirakiyyun at-thawriyyun), 17/12/11, (traduction de l’anglais de PY Sallingues).

[6] J. Charbel, « The Gandhis and the Guevaras », Al Masry Al Youm, 01/12/11

 

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