FT-CI

Déclaration de la Ligue Stratégie Révolutionnaire – Quatrième Internationale

Pourquoi les travailleurs du métro de São Paulo n’ont-ils pas gagné ?

20/06/2014

Pourquoi les travailleurs du métro de São Paulo n’ont-ils pas gagné ?

La grève historique de 5 jours des travailleurs du métro de São Paulo (SP) s’est déroulée dans un contexte favorable : à la veille de la Coupe du Monde, au milieu de la plus grande vague de grèves depuis les années 1980 et en pleine année électorale. S’agissant d’un des secteurs les plus stratégiques du pays, il était impossible de la vaincre facilement. Sa défaite va avoir un impact sur l’ensemble de la classe ouvrière, peut-être plus encore que la victoire historique des balayeurs (Garis) de Rio.

Il est évident qu’une grève dans le métro de SP qui veuille aller au-delà des campagnes routinières pour le salaire, qui tout au plus paralysent la circulation pendant quelques heures pour obtenir 1% ou 2% d’augmentation, exige d’organiser une grande bataille de classe pour vaincre. Et cela est vrai même dans une conjoncture favorable car l’une des principales inquiétudes de la bourgeoisie en ce moment est celle de savoir comment mettre fin à la vague de grèves en cours. Une des expressions les plus claires de cela a été la militarisation des rues de São Paulo, des stations de métro, des places, notamment après la grève des conducteurs de bus. Il était prévisible que le gouvernement serait dur avec les travailleurs du métro (les metroviários), surtout pour ne pas faciliter et encourager d’autres luttes, particulièrement les plus offensives contre le gouverneur de l’Etat da São Paulo, Geraldo Alkmin, comme celle de l’Université de São Paulo (USP) contre la réduction des salaires.

Pour avoir une chance de vaincre il devait y avoir une mobilisation historique des travailleurs du métro… Et cela a été le cas ! L’irritation dans ce secteur augmentait depuis quelques temps non seulement ã cause de l’augmentation de la précarisation du métro comme transport public et les attaques contre les conditions de travail ces dernières années, mais aussi ã cause des campagnes routinières pour des augmentations de salaires menées par le syndicat, dirigé majoritairement par le Parti Socialiste des Travailleurs Unifié (PSTU).

En effet, les metroviários ont expulsé le Parti Communiste du Brésil (PCdoB, allié du PT de Lula et Dilma) de la tête du syndicat et attendaient beaucoup plus de la direction actuelle. Encouragés par la conjoncture et avec des grandes expectatives, les metroviários ont fait ce qu’ils avaient ã faire. Ils ont rompu le cadre des dernières campagnes où le rôle réservé à la base était d’aller aux « assemblées décisionnelles » pour voter pour ou contre la grève. Ainsi, ils ont organisé des meetings de rue avec plus de 1000 participants, et leur insubordination sur les lieux de travail s’est notamment traduite par l’émission de messages ã travers les haut-parleurs des stations, ou encore l’organisation de réunions par secteur.

Cependant, la conjoncture favorable et la disposition de lutte de la base ne suffisaient pas, il était nécessaire qu’existe une direction conséquente pour diriger cette lutte comme une réelle bataille de classe, avec une stratégie pour vaincre. Voilà le principal motif de la défaite des metroviários qui ont subi 42 licenciements et n’ont obtenu aucune de leurs revendications. Mais le pire c’est que la direction du syndicat, principalement le PSTU, pour cacher son échec affirme que la mobilisation a été victorieuse grâce aux augmentations obtenues, se faisant l’écho des arguments du gouvernement qui dénonçait nos revendications en disant qu’on avait obtenu non seulement 8,7% d’augmentation mais d’autres bénéfices.

Nous militants de la LER-QI aux côtés d’activistes indépendants du courant syndical « Metroviários pela Base » (Travailleurs du métro par la Base - MPB), constituons un courant important d’opposition dans ce secteur et avons joué un rôle actif dans cette grève. Nous présentons ici un bilan dialoguant avec d’autres aspects de la grève et voyant comment poursuivre la lutte contre les licenciements. Notre objectif est d’ouvrir le débat dans l’avant-garde ouvrière et de la jeunesse, au niveau national et international, sur les conclusions que les révolutionnaires doivent tirer de cette lutte.

La base déborde la direction dans la préparation de la grève et brise le cadre des dernières luttes

La politique du PSTU et de la direction du syndicat était d’entamer la grève le 10 juin, deux jours avant le début de la Coupe du Monde. Son objectif était de faire grève au moment où la pression sur le gouvernement serait la plus grande pour que quelques heures ou un jour suffisent pour obtenir quelque chose. Mais il n’y avait pas que ça. Le PSTU, avec le PSOL, avaient organisé quelques mois auparavant un événement national qui a lancé la campagne « Na Copa vai ter luta » (« Pendant la Coupe du Monde il y aura des luttes »). Avec cette politique, en dépit de la disposition de la base à lutter et de la possibilité d’unifier les grèves, ils ont opté pour repousser tout au moment de la Coupe du Monde. Ils ont ainsi contribué à la division et à la défaite des mobilisations. Et maintenant que la Coupe du Monde est en cours, les luttes n’existent pratiquement plus et la défaite des metroviários ouvre un scénario moins favorable pour les travailleurs.

En tant que Metroviários pela Base nous avons proposé de lancer la grève au moment où, en mai, les conducteurs de bus avaient bloqué la ville lors d’une grève contre la direction du syndicat, quand les cheminots étaient mobilisés, mécontents des accords que leur direction était en train de négocier, alors que les professeurs municipaux de la ville de SP, ainsi que les salariés de l’USP, étaient également en grève. Mais la direction de notre syndicat s’y est opposée. Cependant la base était tellement disposée à lutter que lors des premières initiatives elle a fait pression sur la direction du syndicat ã travers de mobilisations massives et ã imposé la grève lors de la première assemblée générale convoquée le 4 juin. La direction a été contrainte de suivre le mouvement.

La base en tant que sujet actif VS la direction bureaucratique de la grève

Alors que la grève a été votée dans une assemblée massive, la direction du syndicat n’a pas appelé ã mettre en place des piquets, ni convoqué aucun meeting ou rassemblement dans les rues ; il n’y a pas eu de comité de grève, dans les assemblées aucun metroviário (ni même le MPB qui a un certain poids dans le secteur) n’a pas pu prendre la parole, sauf Altino (secrétaire général du syndicat et membre du PSTU) et deux ou trois membres de la direction du syndicat.

Quand la grève est rentrée dans son moment le plus critique, et qu’elle fut déclarée illégale par la Justice, la direction a commencé ã donner la parole dans les AG au… PCdoB qui ne faisait que défendre la reprise du travail. Altino, quant à lui, avait un discours « rouge » dans les AGs. Mais dans la presse, sans avoir aucun mandat de l’assemblée, il ne mettait au centre de son discours que la question des augmentations de salaires, dont le taux devenait de plus en plus bas.

A l’encontre de cette stratégie, depuis le MPB et malgré le boycott systématique de la part de la direction bureaucratique du syndicat, nous avons lutté pour que les piquets deviennent un outil pour développer un puissant activisme ouvrier. L’envie de se battre était telle que la direction du syndicat a été contrainte d’en mettre en place. Pour le PSTU, les piquets ne devaient compter qu’une poignée de personnes pour « discuter » avec les chefs qui allaient briser la grève. Pour nous les piquets devaient mobiliser un maximum de travailleurs et travailleuses pour arrêter le « plan d’urgence » qui garantissait le fonctionnement partiel du métro. Le piquet de la station « Ana Rosa », que nous avons proposé, qui a gagné une grande réputation nationale et internationale après la répression brutale de la part de la police, a été le seul qui a compté avec la participation de dizaines de travailleurs de base. Cela est le résultat d’un travail au préalable mené par le MPB. Nous avons proposé également la mise en place d’un comité de grève, suivant l’exemple des salariés de l’USP. Avant le déclenchement de la grève nous avions également lancél’idée de la gratuité des transports en débloquant les moulinets. Nous avons aussi, enfin, défendu la souveraineté des AGs, comme garantie de la volonté de la base et de ses revendications. Toutes ces propositions avaient pour but que les metroviários aient confiance en leurs propres forces et non dans les « habiletés des négociateurs », dans la bienveillance du gouverneur ou en ce qui disait la bureaucratie syndicale. Ces propositions que nous avons mises en avant ne comptaient pas seulement pour cette grève, mais c’est ce que nous distingue dans le secteur.

A l’USP, où nous intervenons en tant que minorité au sein du SINTUSP, la grève en cours est dirigée par un comité de grève de plus de 100 délégués élus par la base et révocables. Dans cette grève la direction du syndicat se soumet au comité de grève, qui en devient ainsi la direction effective.

Un tel comité de grève serait la façon la plus adéquate de développer une nouvelle couche de travailleurs activistes et de dirigeants, liés organiquement à la base et garantissant l’unité nécessaire dans le secteur des travailleurs du métro. Les assemblées à l’USP finissent généralement avec des meetings publics où participent des centaines voire des milliers de travailleurs, les piquets sont convoqués et organisés activement par les principaux dirigeants du syndicat et ne sont pas dans la conciliation avec les chefs. Tout ceci est un exemple permettant de démontrer que les syndicats, en tant qu’outil de la lutte de la classe ouvrière, doivent être dans les mains de travailleurs.

Coordination réelle des luttes VS confiance en la bureaucratie et utilisation des assemblées comme une tribune

Le PSTU n’a pas seulement empêché la coordination avec les conducteurs de bus, les cheminots, les professeurs de la ville de SP et l’USP avant la grève. Quand la grève a commencé seule l’USP restait en lutte er lançait des appels à l’unité, des manifestations dont l’axe central était la solidarité avec les metroviários et d’autres initiatives n’ont pas manqué.

Au lieu de diffuser ces initiatives parmi les travailleurs et d’organiser concrètement l’unité dans tous les secteurs où le syndicat CSP-Conlutas est présent, les dirigeants n’ont fait qu’envoyer des motions et autres soutiens individuels (qui, même s’ils sont fondamentaux, ne demandent aucune organisation de la base). Ajouté ã cela il faut mentionner la venue de candidats aux élections ou des figures syndicales qui sont venus prendre la parole dans nos assemblées comme s’il s’agissait d’une tribune. Dans la jeunesse, le PSOL et le PSTU n’ont fait que boycotter toutes nos initiatives. Enfin, ils ont alimenté toute sorte d’illusions vis-à-vis de la bureaucratie syndicale, le summum ayant été atteint lorsqu’ils ont dit que s’il y avait des licenciements, alors il y aurait une grève générale au niveau de la ville de São Paulo, prouvant alors leur sincérité de en donnant la parole aux bureaucrates syndicaux de tout poil.

Pour nous la CSP-Conlutas aurait dû mettre toutes ses forces en action pour que la grève au métro de São Paulo soit victorieuse, et ã partir de cette action unifiée, exige l’intervention des grandes centrales syndicales, tout en expliquant les limites de cette exigence pour que les travailleurs ne fassent confiance qu’en leurs propres forces en alliance avec les autres secteurs en lutte et la population qui les soutenait.

Une alliance réelle avec la population VS des fausses exigences au gouvernement

La population a beaucoup soutenu la grève. Même si l’exigence opposée au gouvernement de permettre aux gens de voyager gratuitement le temps des négociations était très populaire, la raison de ce soutien était plus profonde. En effet, depuis les manifestations de juin 2013, la revendication d’un transport public de qualité est devenue centrale et les grèves des travailleurs ont connu un soutien inouï. Ce soutien était la base pour concrétiser l’alliance entre les metroviários et la population, ce qu’en tant que MPB nous défendons depuis des années. Mais il était nécessaire d’aller au-delà de cette exigence.

Il était nécessaire de mettre au centre de nos revendications effectives (et pas seulement en parole) la lutte pour la réduction des tarifs du transport et pour l’étatisation des transports sous contrôle des travailleurs et des usagers. C’est cela que nous défendions même avant la grève. Si nous voulons sortir du cadre routinier et entamer une grève longue pour nos revendications structurelles, c’est seulement ã travers cette alliance solide que nous pouvons le faire. C’est seulement comme ça que nous pouvons lutter contre la manipulation de la population par le gouvernement qui l’a retournée contre nous ã cause des perturbations du trafic provoquées par la grève. La lutte pour de meilleures conditions de travail pour les metroviários doit être menée avec la population pour le transport public, et sous contrôle des travailleurs et les usagers.

Le PSTU et la majorité de la direction mettent fin à la grève alors qu’il y avait des licenciés et qu’il était possible de retourner la situation !

Ici nous développons une politique alternative ã celle qui a été imposée par la direction du syndicat. Une politique que nous n’avons même pas pu défendre dans des assemblées bureaucratiques. Avec cette stratégie erronée de la direction, avant et pendant la grève, il était très difficile de gagner, même avec toute la force héroïque dont la base avait fait preuve au cours de cette mobilisation.

Mais une chose était claire pour des secteurs très larges des metroviários : sortir de cette grève avec des salariés licenciés, c’est-à-dire avec une défaite, était complètement inacceptable. Il est vrai qu’après que la grève ait été déclarée illégale, certains travailleurs ont eu peur et ont repris le travail. Mais il s’agissait d’une minorité. Leur nombre n’a augmenté que lorsque le syndicat a commencé ã enterrer la grève. Maintenant, la direction du syndicat rejette la faute exclusivement sur les travailleurs qui ont repris le travail, comme si elle n’était pas la principale responsable de la défaite.

En effet, lors de l’assemblée qui a suivi l’annonce des licenciements, l’aile de la direction liée au PSTU a proposé une défense très faible de la continuité de la grève. Une autre aile a proposé de suspendre la grève pour la reprendre le jour du match d’ouverture de la Coupe du Monde. Ce secteur s’est allié au PCdoB qui voulait mettre fin à la grève dès dimanche 8 juin. Malgré toutes ces manœuvres la base démontrait sa détermination et le vote de la suspension de la grève n’est passé que grâce ã une petite majorité (6o% contre 40% pour continuer la grève).

Mercredi 11 juin, la veille du début de la Coupe du Monde, le PSTU est venu à l’assemblée avec l’intention ouverte de mettre fin à la grève. Ils ont employé un discours hypocrite et enflammé sur une « déclaration de guerre contre les licenciements »… « guerre » que jusqu’à présent personne n’a vu, ã part les efforts de la LER-QI en ce sens. Même après les discours démoralisateurs, près de 20% des travailleurs ont voté pour continuer la grève.

Des centaines de travailleurs savent que nous avions les forces au moins d’empêcher les licenciements et d’obtenir le paiement des jours de grève – ce qui aurait constitué une grande victoire politique - car ceux d’en face étaient divisés de peur que la grève ne continue pendant la Coupe du Monde. En ce sens même Lula avait déclaré qu’Alkmin devait céder. Dans cette conjoncture, il aurait été difficile pour le gouvernement de l’Etat de São Paulo de maintenir les 42 licenciements et la menace qui pesait sur 300 autres salariés car il avait déjà utilisé tous ses atouts et la pression sur le gouvernement augmentait au fur et ã mesure que le début de la Coupe du Monde s’approchait. Le PSTU et le PSOL, qui lors des manifestations de juin 2013 n’avaient joué aucun rôle déterminantdans la lutte de classes, ont montré encore une fois la faillite stratégique dans laquelle ils se trouvent, cette fois à la direction du syndicat des travailleurs du métro.

La lutte conséquente pour la réintégration des licenciés dépend de la mobilisation de la base

Il est possible encore de revenir sue les licenciements. Mais nous ne pouvons plus faire confiance en la politique « faciliste » du syndicat qui affirme qu’étant donné les irrégularités du dossier la réintégration des licenciés est garantie, qu’il suffirait de s’occuper de la partie juridique et de faire une campagne pour la forme. Non ! Nous devons développer la plus grosse lutte contre les licenciements que ce pays n’ait jamais vue, et nous ne pouvons pas nous attendre ã ce que ce soit la direction du syndicat qui mène cette lutte.

Une telle campagne cependant dépend de la mobilisation de la base. Continuons ã montrer notre force. Nous devons évidemment utiliser tous les ressources juridiques et les brèches de la justice. Mais il y a une grande détermination dans d’autres secteurs et dans la jeunesse pour s’allier ã notre lutte. Nous pouvons gagner mais seulement si nous reprenons en nos mains cette bataille, non seulement avec les très importants soutiens symboliques, mais en discutant avec les bases des mesures ã prendre comme des grèves partielles, manifestations, etc.

Construisons un courant de centaines de metroviários pour une alternative combattive et de classe !

Malgré la défaite, les metroviários ont donné un grand exemple de mobilisation et se sont intégrés à l’avant-garde de la classe ouvrière. Mais nous pourrons faire peser notre secteur en tant que tel seulement si nous arrivons ã construire un courant combattif et de classe de centaines de metroviários, ã partir de la base, pour prendre la direction du syndicat et pour mener une politique conséquente comme celle que nous défendons. Nous devons nous appuyer sur les leçons des mobilisations de juin 2013, qui ont commencé ã travers la lutte pour la réduction des tarifs des transports publics, et des diverses grèves des travailleurs du transport qui ont eu lieu cette année. Cette tache va au-delà des forces actuelles de la LER-QI et du MPB dans notre secteur. C’est pour cela que nous appelons tous les metroviários ã nous rejoindre dans cette perspective.

Laisser la défaite des travailleurs du métro se consolider serait une défaite pour l’ensemble de notre classe et pour la jeunesse engagée dans les mobilisations de juin 2013, qui ont changé la situation dans le pays. Laisser passer ces licenciements signifierait donner de la confiance au gouvernement, et le laisser se renforcer au point de pouvoir augmenter ã nouveau les tarifs du transport public. Et surtout ce serait un coup porté ã notre lutte stratégique pour l’étatisation des transports publics sous contrôle des travailleurs et des usagers. C’est pour cela que nous appelons aussi la jeunesse qui a lutté en juin 2013 et ã tous les travailleurs et travailleuses à lancer avec nous cette grande campagne pour la réintégration des 42 metroviários.

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