FT-CI

Le massacre de Dacca et la rébellion des ouvrières textiles

Made in Bangladesh

19/05/2013

Par Marc Barois

Ce 24 avril, des ouvrières d’une usine textile de Dacca, capitale du Bangladesh, ont senti craquer les murs autour d’elles. Elles pouvaient même l’entendre par-dessus le bruit des machines ã coudre et voir les fissures malgré la poussière. Mais on ne les a pas laissée partir et 4000 ouvrières ont continué ã coudre. Le jour même, leur immeuble dénommé Rana Plaza, qui abritait des dizaines d’ateliers de confection, s’est écroulé balayant les machines, la poussière et les corps.

La veille du 1er mai on comptait déjà 405 victimes or le 9 mai on dénombrait plus de 900 morts et 2400 blessés. Cette tragédie s’ajoute ã celle du 24 novembre et du 26 janvier derniers, faisant monter le total ã 900 morts dans l’industrie textile pour ces dix dernières années [1].

Le Bangladesh est en quelque sorte le Manchester du XXIème siècle. La délocalisation de l’industrie textile a fait un saut ces dernières décennies. Les acquis du mouvement ouvrier dans les pays centraux ont poussé les capitalistes ã délocaliser la production dans les pays d’Asie et d’Amérique Centrale et plusieurs grandes marques sont même parties de Chine pour s’installer au Bangladesh lorsque le coût du travail a augmenté ailleurs. C’est une industrie qui présente l’avantage pour les capitalistes de pouvoir se déplacer facilement aux rythmes de la crise, puisqu’elle ne nécessite que des machines ã coudre, un toit et des ouvriers prêts ã risquer leur vie pour un salaire misérable. En 2012, le pays s’était imposé comme le deuxième fournisseur de l’Union européenne en termes d’habillement, dépassant la Turquie [2]. Cela s’explique par le fait qu’environ trois millions de travailleurs et travailleuses passent plus de 10 heures par jour, six jours par semaine, devant leur machine ã coudre pour seulement 32 dollars par mois. A cela s’ajoute la baisse de 30% du salaire réel ces trois dernières années étant donnée l’inflation.

« Laissez toute espérance, vous qui entrez »

Le gouvernement n’a que 18 inspecteurs pour contrôler les conditions de travail de 100 000 ateliers qui fonctionnent ã Dacca, mais il a cru utile de compenser ceci avec une « police industrielle ». Celle-ci a été créée après les manifestations violentes de 2010 contre les salaires de misère (parmi les plus bas du monde), donc non pas pour veiller à la sécurité des salariés, mais plutôt pour discipliner, menacer et persécuter les travailleurs qui s’organisaient. Ainsi, Aminul Islam, dirigeant syndical dans l’industrie textile, a été kidnappé en avril 2012. Un mois plus tard, son corps a été retrouvé hors de la capitale présentant des traces de torture. Le crime n’a pas été résolu, mais il est connu de tous qu’il a été kidnappé en raison de son activisme par des forces de police au service d’entreprises transnationales.

Il est clair que le despotisme patronal qui règne dans ces ateliers n’est pas une invention des contremaîtres locaux, mais provient directement des cadres de grandes marques européennes et américaines telles que Zara, Levi’s, Lee, Calvin Klein, Tommy Hilfiger, Walmart, Carrefour, Nike, Ralph Lauren, Primark, etc.

En conséquence de la répression et de la persécution des militants, seules quinze des quelque 5000 usines textiles du Bangladesh sont dotées d’organisations syndicales. Cela révèle la violente hypocrisie des grandes marques lorsqu’elles parlent de « responsabilité sociale » des entreprises, tandis qu’elles partent à la chasse aux militants dans les usines.

Environ 90% des salariés de l’industrie textile sont des femmes. Elles proviennent des zones rurales du pays, ayant troqué les champs contre les usines. La double journée de travail continue donc ã être une réalité pour ces travailleuses qui cumulent le labeur de l’usine avec les tâches ménagères et l’éducation des enfants. A ces dures conditions de vie s’ajoutent le harcèlement sexuel des contremaîtres et la police industrielle. Quant aux enfants, ils sont 13 millions au Bangladesh ã prêter leurs petites mains dans les ateliers de confection, au travail domestique et dans les mines, pour 10 dollars par mois. Le secret du succès des grandes marques comme Zara et tant d’autres ne se trouve donc pas dans une quelconque stratégie commerciale, mais plutôt dans la surexploitation des forces de travail de tous les membres de la famille ouvrière, soit un infanticide à large échelle tantôt camouflé tantôt assumé, quand les tragédies éclatent au grand jour.

Matériau inflammable

La tragédie de Dacca était tristement prévisible. En effet, le 23 avril, les travailleurs avaient dénoncé les fissures du bâtiment et refusé d’entrer dans l’usine. Le lendemain, 30 minutes après avoir été forcés de reprendre le travail, l’immeuble s’écroulait.

Pour le moment la seule vraie réponse au désastre a été la colère des ouvriers. Dès le lendemain du drame, plusieurs dizaines de milliers de travailleurs sont descendus dans les rues, en étant brutalement réprimés avec des balles de caoutchouc, des gaz lacrymogènes et des canons ã eau. Le samedi suivant, les piquets de grève se sont étendus partout et les exportations de l’industrie textile (qui représentent 80% des exportations du pays) ont été bloquées. Ce 1er mai des milliers de travailleurs sont encore descendus dans les rues de Dacca et partout dans le pays en exigeant plus de justice et de meilleures conditions de travail.

Le gouvernement a arrêté quatre personnes, dont le propriétaire des ateliers, ainsi que des fonctionnaires corrompus qui la veille du drame affirmaient que l’immeuble était aux normes. Mais il s’agit surtout d’une tentative de calmer une situation sociale potentiellement explosive. Des affrontements avec la police ont suivi le jour de la tragédie et les ouvriers textiles ont paralysé la production de toute la branche dans la ville. Ils ont aussi forcé les propriétaires ã fermer les portes des ateliers, et ceux qui ont refusé ont été accueillis par une pluie de pierres.

L’offensive néolibérale des années 1990 a étendu le capitalisme aux quatre coins de la planète. Des millions de paysans travaillent et meurent aujourd’hui dans des usines en Chine, en Inde et au Bangladesh. Pourtant, Dacca n’est pas si loin que l’on pense : ce sont les mêmes entreprises, les mêmes méthodes, le même capitalisme qui exploite et opprime en France et à l’étranger.

Si l’on prend l’exemple de la Grande-Bretagne, en 1865 celle-ci comptait 12 inspecteurs du travail pour 3217 mines. En d’autres termes, chaque mine ne pouvait être visitée que tous les 10 ans ! Il n’y avait alors pas de quoi se surprendre des catastrophes ã répétition qui, comme en 1866 et en 1867, ont été jusqu’à toucher 200 ã 300 ouvriers. « Ce sont, comme disait Marx, les beautés de la ’’libre’’ production capitaliste ! » Deux semaines seulement après l’effondrement du Rana Plaza, un autre incendie se déclenchait dans une usine textile au Bangladesh, occasionnant la mort de huit personnes. Et il ne faut pas croire que ces catastrophes industrielles ne se produisent plus que dans les pays semi-coloniaux. Aux Etats-Unis mêmes, une explosion dans une usine d’engrais chimiques du Texas faisait 14 morts et 160 blessés le 15 avril dernier, dans un pays où tous les ans les accidents au travail font plus 4000 morts. Telle est la condition ouvrière de notre époque, qui, dans l’essentiel, a bien peu changé depuis le capitalisme décrit par Marx au milieu du XIXème siècle.

La crise capitaliste, dans les pays centraux, et les nécessités du marché et de la division internationale du travail, dans le cas du Bangladesh et de bien de pays périphériques, forceront toujours plus les capitalistes ã plonger les travailleurs dans l’enfer de l’esclavage salarié. Mais au Bangladesh comme ailleurs, comme on l’a vu à la suite de la tragédie du Rana Plaza, les travailleurs sont aussi en capacité de riposter. Tout l’enjeu se situe au niveau de la façon dont ils sauront reprendre réellement l’initiative dans ce combat historique, pour briser les chaînes du salariat.

08/05/13

  • NOTAS
    ADICIONALES
  • [1Samedi 26 janvier 2013, un incendie dans un atelier textile de Smart Exports Garments a occasionné la mort de sept ouvrières, dont quatre avaient ã peine 17 ans. Pourtant, pas plus tard qu’en novembre 2012, un incendie avait déjà fait la une, tuant plus de 120 ouvriers dans une usine de neuf étages ã Dacca.

    [2Les commandes de l’Union Européenne se sont élevées ã 8,3 milliards d’euros pour la seule année 2012.

Notas relacionadas

No hay comentarios a esta nota

Periodicos

  • PTS (Argentina)

  • Actualidad Nacional

    MTS (México)

  • EDITORIAL

    LTS (Venezuela)

  • DOSSIER : Leur démocratie et la nôtre

    CCR NPA (Francia)

  • ContraCorriente Nro42 Suplemento Especial

    Clase contra Clase (Estado Español)

  • Movimento Operário

    MRT (Brasil)

  • LOR-CI (Bolivia) Bolivia Liga Obrera Revolucionaria - Cuarta Internacional Palabra Obrera Abril-Mayo Año 2014 

Ante la entrega de nuestros sindicatos al gobierno

1° de Mayo

Reagrupar y defender la independencia política de los trabajadores Abril-Mayo de 2014 Por derecha y por izquierda

La proimperialista Ley Minera del MAS en la picota

    LOR-CI (Bolivia)

  • PTR (Chile) chile Partido de Trabajadores Revolucionarios Clase contra Clase 

En las recientes elecciones presidenciales, Bachelet alcanzó el 47% de los votos, y Matthei el 25%: deberán pasar a segunda vuelta. La participación electoral fue de solo el 50%. La votación de Bachelet, representa apenas el 22% del total de votantes. 

¿Pero se podrá avanzar en las reformas (cosméticas) anunciadas en su programa? Y en caso de poder hacerlo, ¿serán tales como se esperan en “la calle”? Editorial El Gobierno, el Parlamento y la calle

    PTR (Chile)

  • RIO (Alemania) RIO (Alemania) Revolutionäre Internationalistische Organisation Klasse gegen Klasse 

Nieder mit der EU des Kapitals!

Die Europäische Union präsentiert sich als Vereinigung Europas. Doch diese imperialistische Allianz hilft dem deutschen Kapital, andere Teile Europas und der Welt zu unterwerfen. MarxistInnen kämpfen für die Vereinigten Sozialistischen Staaten von Europa! 

Widerstand im Spanischen Staat 

Am 15. Mai 2011 begannen Jugendliche im Spanischen Staat, öffentliche Plätze zu besetzen. Drei Jahre später, am 22. März 2014, demonstrierten Hunderttausende in Madrid. Was hat sich in diesen drei Jahren verändert? Editorial Nieder mit der EU des Kapitals!

    RIO (Alemania)

  • Liga de la Revolución Socialista (LRS - Costa Rica) Costa Rica LRS En Clave Revolucionaria Noviembre Año 2013 N° 25 

Los cuatro años de gobierno de Laura Chinchilla han estado marcados por la retórica “nacionalista” en relación a Nicaragua: en la primera parte de su mandato prácticamente todo su “plan de gobierno” se centró en la “defensa” de la llamada Isla Calero, para posteriormente, en la etapa final de su administración, centrar su discurso en la “defensa” del conjunto de la provincia de Guanacaste que reclama el gobierno de Daniel Ortega como propia. Solo los abundantes escándalos de corrupción, relacionados con la Autopista San José-Caldera, los casos de ministros que no pagaban impuestos, así como el robo a mansalva durante los trabajos de construcción de la Trocha Fronteriza 1856 le pusieron límite a la retórica del equipo de gobierno, que claramente apostó a rivalizar con el vecino país del norte para encubrir sus negocios al amparo del Estado. martes, 19 de noviembre de 2013 Chovinismo y militarismo en Costa Rica bajo el paraguas del conflicto fronterizo con Nicaragua

    Liga de la Revolución Socialista (LRS - Costa Rica)

  • Grupo de la FT-CI (Uruguay) Uruguay Grupo de la FT-CI Estrategia Revolucionaria 

El año que termina estuvo signado por la mayor conflictividad laboral en más de 15 años. Si bien finalmente la mayoría de los grupos en la negociación salarial parecen llegar a un acuerdo (aún falta cerrar metalúrgicos y otros menos importantes), los mismos son un buen final para el gobierno, ya que, gracias a sus maniobras (y las de la burocracia sindical) pudieron encausar la discusión dentro de los marcos del tope salarial estipulado por el Poder Ejecutivo, utilizando la movilización controlada en los marcos salariales como factor de presión ante las patronales más duras que pujaban por el “0%” de aumento. Entre la lucha de clases, la represión, y las discusiones de los de arriba Construyamos una alternativa revolucionaria para los trabajadores y la juventud

    Grupo de la FT-CI (Uruguay)