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Crise pour la succession à la tête de la CGT

Lepaon, après Thibault : les bureaucrates se suivent même s’ils ne se ressemblent pas

26/11/2012

par Marc Barois

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La presse bourgeoisie s’en est donné ã cœur joie. Aucun titre n’a été en reste pour moquer la crise de succession à la tête de la CGT. A travers l’affaire Thibault-Lepaon, les journalistes n’ont pas perdu une occasion pour tourner en dérision et en ridicule dans leur ensemble les militants syndicalistes et les travailleurs syndiqués qui, eux, luttent réellement pour les intérêts de leur classe. Complètement dépossédée du débat et de la désignation du nouveau dirigeant de la CGT, la base a regardé tout cela de loin. Qu’en est-il, donc, de cette succession entre bureaucrates sous la forme d’un cafouillage ?

(Lepaon et thibault sur le site de Cormelles-le-Royal pendant la lutte des Moulinex en septembre 2001)

Le 16 octobre, la Commission exécutive (direction élargie) de la CGT avait déjà choisi Thierry Lepaon comme successeur de Bernard Thibault à la tête du syndicat. Le choix a été confirmé le 6 novembre, au lendemain de la remise du rapport Gallois, par Le Comité Confédéral National à la quasi-unanimité, mettant fin ã un mauvais roman-photo de plusieurs semaines au cours desquelles Thibault a été mis en minorité par l’appareil de la centrale de Montreuil et les fédérations : Nadine Prigent, sa candidate, puis Agnès Naton, ont été écartées ; Eric Aubin, le « monsieur retraite » de la CGT en profitant pour se faufiler ; et enfin Lepaon, finissant par tirer les marrons du feu. On croirait assister ã un conseil d’administration ã couteaux tirés chez les Bettencourt et non ã une discussion autour de la direction de ce qui est encore aujourd’hui de la plus grosse confédération syndicale en France. Il n’y a bien que L’Humanité pour affirmer, alors que la crise entre bureaucrates battait son plein avant les grandes vacances, qu’il n’y avait pas de « déchirement stratégique » mais plutôt une « unité presque parfaite » [1] du syndicat dans tout le processus. « Unité presque parfaite », c’est ã vérifier. Mais pour ce qui est de « l’unité stratégique », ou en tout cas de la convergence de vues, au final, sur les grands dossiers, L’Huma n’est pas loin de la vérité.

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Prigent versus Aubin : ligne dure contre ligne molle ?

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Lors de la première phase de « débats », on avait vu l’affrontement entre Nadine Prigent, candidate soutenue par Thibault, et Eric Aubin, représentant une aile plus « moderniste » dans le syndicat défendant la ligne d’une CGT plus coulante dans les négociations avec le gouvernement socialiste et plus « ouverte » avec les partenaires sociaux, ã savoir le Medef et le patronat. Pas compliqué, dans ce cadre, de faire apparaitre Prigent comme l’aile la plus « raide » de la confédération comme avait plaisir à la présenter la presse, ce qu’elle ne reniait pas. Mais il ne faut pas oublier que si Aubin a longtemps en charge des retraites à la CGT (avec les reculades et les dédits que l’on sait), c’est Prigent qui représentait à l’automne 2010 la centrale au sein de l’Intersyndicale, responsable en ce sens de la façon dont la CGT a, pour le coup, résolument, bloqué la poussée vers la grève générale contre la réforme Woerth et contre le gouvernement Sarkozy. Comme à la SNCF, où un train peut en cacher un autre, à la CGT aussi, un bureaucrate peut en cacher un autre.

Si la succession a été aussi compliquée, c’est qu’au sein de la direction de la CGT aussi, on s’interrogeait sur la façon dont les contre-réformesqu’Hollande s’apprête ã faire passer seront discutées. Comme au sein du gouvernement, les couacs et les cafouillages (renforcées dans la CGT par le caractère extrêmement bureaucratique de sa direction) recouvraient un débat plus large sur le calendrier et la façon dont le syndicat allait se positionner dans le cadre du « dialogue » social et des négociations avec le patronat et le gouvernement : de façon un peu plus « raide » ou un peu plus « souple », mais en tout état de cause dans le cadre du « compromis historique » qu’Hollande appelle de ses vœux. Dans le cadre d’une totale absence de démocratie interne, de guerre de cliques, de rapports bureaucratiques et enkystés, les militants de base ont été complètement dépossédés des discussions internes pour qu’au final ce soit un autre « rénovateur », Lepaon, qui soit nommé à la dernière heure.

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Qui est Thiery Lepaon ?

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La crise de succession s’est finalement dénouée lorsque Thibault a proposé lui-même Lepaon, ancien syndicaliste chez Moulinex, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et accessoirement membre d’un club de réflexion où se retrouvent patrons, DRH, syndicalistes, le trésorier de la CFDT et quelques francs-maçons. Certains opposants ã sa candidature se sont plaints du « manque de clarté » de son projet. Mais il ne suffit pas d’attendre les premières épreuves de la lutte de classes pour savoir quel type de Secrétaire général sera Thiery Lepaon.

En mai on parlait assez peu de celui qui est désormais à la tête de la CGT. Comment a-t-il pu se propulser aussi vite à la tête de la confédération ? Bien informé, Le Nouvel Observateur soulignait que « rien ne vaut de bons réseaux. Thierry Lepaon n’a jamais pris part à la guerre de succession qui secoue la CGT depuis des mois [ce qui est une parfaite contre-vérité, mais la presse bourgeoise prépare le terrain…]. Mais il a un bon carnet d’adresses. En tant que président du groupe CGT au CESE, il a su cultiver depuis deux ans les contacts importants. Résultat, deux personnes, très influentes auprès [de] Bernard Thibault, lui ont glissé son nom à l’oreille : Maryse Dumas, ex numéro 2 de la CGT, aujourd’hui membre du CESE, et Pierre Ferracci, président de la société Alpha, un groupe qui accompagne les comités d’entreprise et conseille les employeurs lors des plans sociaux » [2]. Tout un programme donc.

Aussitôt élu successeur, L’Humanité a présenté le nouveau secrétaire comme quelqu’un qui a toujours été un « farouche adversaire » des accords de compétitivité-emploi. Qu’il soit « farouche », c’est ã prouver. En revanche, il n’est en rien « adversaire » de la bien mal nommée « modernisation sociale ». Tout son parcours de bureaucrate est là pour en témoigner. Fidèle à la ligne de Montreuil comme avant ã celle de Moscou, L’Huma présente Lepaon comme un « militant de terrain dans le secteur privé, mais aussi dans la ligne politique de Bernard Thibault » [3]. Certes Lepaon est encarté au PCF comme Thibault avant lui. Mais c’est plus globalement une même ligne qu’ils défendent, par-delà les modalités ã travers lesquelles ils le font : maintien du dialogue, de la négociation et de l’appui, en dernière instance, au gouvernement Hollande, à l’image du Front de Gauche, qui continue ã se situer dans la « construction » et non dans « l’opposition ».

Lepaon collectionne également les louanges du côté du Medef. Son ancien patron le considère comme « un pragmatique, un syndicaliste de haut vol ». On comprend mieux, avec cela, la défaite de la lutte des Moulinex. Mais il a également l’honneur d’être considéré comme « un interlocuteur fiable et sérieux pour les pouvoirs publics » par Raymond Soubie, ex-conseiller de Nicolas Sarkozy. C’est d’ailleurs ce dernier qui a sauvé la vice-présidence de la CGT du CESE, quand Lepaon a failli se faire expulser. C’est dans cette institution, qui se veut un des « conseillers du gouvernement », qu’il a tissé des liens privilégiés avec des représentants du patronat français et où il a activement participé aux discussions sur la privatisation des chemins de fer.

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Une CGT de bureaucrates ou un syndicat lutte de classes ?

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Dans les années 1930, Trotsky affirmait que les syndicats peuvent servir de courroies de transmission du capitalisme pour discipliner les ouvriers et faire obstacle à leur insubordination, voire même empêcher les révolutions, soit, au contraire, se transformer en de véritables instruments au service du prolétariat et du mouvement ouvrier. En France, la bureaucratie syndicale de la CGT comme ses partenaires européens de la CGIL en Italie, de la CGTP au Portugal ou de la FGTB en Belgique, cherche ã faire pression sur le gouvernement afin qu’il « assouplisse » les mesures d’austérité (ou en France les accords de compétitivité ou de réforme du marché du travail) sans préparer un véritable plan de bataille qui soit à la hauteur de la situation.

Lepaon n’est ni pire ni mieux que Thibault. Prigent n’aurait été pas meilleure. Sans même parler d’Aubin. La CGT, aujourd’hui, est dirigée par des bureaucrates qui sont plus intéressés par le rôle qu’ils auront ã jouer dans le « compromis histoirique » que Hollande appelle de ses vœux que par la défense des intérêts des travailleuses, des travailleurs et de la jeunesse. Cela ne remonte pas ã hier, certes, mais la tendance va en s’aggravant. Pour les équipes syndicales combatives, pour les militant-e-s de terrain, pour les travailleurs-ses, les employé-e-s, les salarié-e-s qui n’entendent pas que le gouvernement et le patronat leur marchent sur la tête, une chose est sure en tout cas : ce n’est pas du côté de la nouvelle direction de Montreuil qu’il faudra se tourner pour chercher un allié. C’est par la mobilisation et la coordination qu’on réussira ã faire reculer ceux qui veulent nous faire payer la crise. C’est aussi par la mobilisation et la coordination par en bas qu’on réussira ã reconstruire un syndicat lutte de classes au service du monde du travail et des classes populaires en France.

13/11/12.

  • NOTAS
    ADICIONALES
  • [1« Crise de succession à la CGT », L’Humanité, 01/06/12.

    [2« Thierry Lepaon, le nouveau Bernard Thibault », Le Nouvel Observateur, 16/10/12.

    [3« CGT : Thierry Lepaon choisi pour succéder ã Thibault » L’Humanité, 16/10/12.

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